Note de lecture : Cours de philosophie politique, par Blandine Kriegel

Cours de philosophie politique - Poche - B. Kriegel - Achat Livre | fnac

Cours de philosophie politique promet ce que le titre annonce : il s’agit d’un excellent petit condensé sur les thème des démocraties, synthétisant dans une langue absolument limpide les enjeux et les débats de chaque point important : l’Etat de droit, les droits de l’homme, républiques et démocraties, Etats-nations et nationalismes, etc. S’agissant de la retranscription de séances de cours que l’autrice (une philosophe et politologue assez peu connue) a donné à l’Université de Moscou dans les années 1990, il s’agit d’une vraie réussite. Bien sûr, le texte n’a rien de très original et celui qui a déjà suivi quelques leçons en matière de droit constitutionnel ou de philosophie politique n’apprendra pas grand chose. Mais il a le grand mérite de la synthèse courte, claire et précise.

I. Etat de droit, démocraties et droits de l’homme

Dans la première partie, Kriegel rappelle les fondements des démocraties, tant historiques que philosophiques et juridiques. Elle rappelle comment les révolutions du XVIIIème siècle, d’abord l’américaine (1776) puis la française (1789) ont peu à peu imposé l’idée de droits fondamentaux (droits naturels) : cette idée selon laquelle tous les hommes sont dotés dès la naissance de droits inaliénables tels que la liberté de culte ou d’expression.

Kriegel fait une distinction judicieuse entre droits-libertés et droits-créances. Les droits-libertés, ce qu’on entend le plus souvent par droits fondamentaux, c’est-à-dire les domaines dans lesquels la puissance publique s’interdit d’intervenir, ou dans les proportions les plus restreintes possibles : ainsi de la liberté d’expression. Selon l’adage révolutionnaire français, elle s’arrête là où commence celle des autres ce qui signifie que tout est permis sauf ce qui est expressément interdit par la loi (art.5 DDHC 1789), c’est-à-dire “l’abus de la liberté d’expression” qui “trouble l’ordre public” (art. 10 et 11 du même texte). Pour garantir la liberté d’expression, l’Etat doit s’abstenir d’y légiférer, ce que la Constitution américaine (1er amendement du 15 décembre 1791) traduit très bien par la formule Congress shall make no law (Le Congrès ne fera aucune loi qui…).

Les droits-créances sont beaucoup plus tardifs que les droits-libertés : il s’agit à l’inverse de droits que l’on exige de l’Etat, ce qui suppose une intervention directe, au moins financière. Ainsi des droits au logement, au travail, à la santé, à une retraite… qui se développent dans le cadre des mutuelles ouvrières d’abord (fin XIXème), puis plus largement dans l’extension d’une Sécurité sociale universelle dans la plupart des pays développés, en particulier en France, à partir de 1946.

Citant Hobbes et Spinoza, Kriegel rappelle que le premier des droits de l’homme est le droit à la sûreté (art 2 DDHC), lequel signifie la sécurité de la vie garantie par la loi, ce qui met fin au cycle infinie des vengeances interpersonnelles des sociétés tribales. Le droit à la sûreté, avance Kriegel, requiert que le pouvoir politique n’ait pas droit de vie et de mort sur les citoyens, ce qui s’oppose jus vitae necisque de l’empereur romain et plus généralement du chef de famille dans la Rome antique : il s’agit donc d’un droit anti-esclavagiste qui borne les limites de la puissance souveraine : les Etats sont sous la dépendance du droit et non l’inverse. Il exige cependant un Etat suffisamment puissant et stable pour assurer concrètement la paix civile (le Leviathan dans la pensée de Hobbes).

Kriegel développe ensuite avec Spinoza et Locke les autres droits fondamentaux, en insistant sur le fait que ceux-ci peuvent se déduire de la raison seule (il n’est pas nécessaire de croire en Dieu pour penser la liberté), même s’ils dérivent souvent d’un type de disposition philosophico-théologique qui est d’inspiration chrétienne : pour penser l’égalité en effet, il est nécessaire d’accorder à chaque être humain la même valeur morale, c’est-à-dire de concevoir l’humanité toute entière comme une réalité unique, sans différence de nature entre les nations : ceci est très conforme à la pensée chrétienne (paulinienne en particulier), mais très contraire à la majorité des penseurs et des cultures antiques, selon lesquels il y a des droits individuels, ceux des maîtres en particulier (la minorité citoyenne des hommes libres dans la démocratie athénienne par exemple), mais en aucun cas des droits de l’homme universels. Les droits de l’homme ne viennent pas des droits de Rome (Michel Villey) mais bien du christianisme ; en même temps, pour que les droits de l’homme s’épanouissent vraiment, il a fallu s’émanciper de la tutelle de l’Eglise et développer la liberté de conscience, qui implique l’indépendance de la vie civile par rapport à la vie religieuse. Processus qui a pris plusieurs siècles…

La fin de la première partie est constituée d’une interrogation assez classique mais parfaitement claire autour de la distinction entre république et démocratie, c’est-à-dire du meilleur type de régime pour assurer les droits fondamentaux. On peut la résumer en disant que pour Kriegel, contrairement au célèbre texte de Debray, démocraties et républiques ne s’opposent pas vraiment : la république détermine l’objet de la vie civile, c’est-à-dire l’intérêt général ou le bien commun (la recherche de la vie bonne, eu zen chez Aristote), alors que la démocratie détermine le sujet de la vie civile, ce qui la gouverne, la dirige. D’un côté le quoi, de l’autre le qui. Certes, pour reprendre Debray, “une république malade dégénérera en caserne, comme une démocratie malade en bordel. Une tentation autoritaire guette les républiques incommodes, comme la tentation démagogique les démocraties accommodantes”, mais en réalité tout régime démocratique est républicain : il n’y a aucune république possible en dehors d’une démocratie garantissant au sujet de droit (le citoyen) des droits fondamentaux.

En même temps, la France en particulier a développé sa conception spécifique de la citoyenneté républicaine, insistant en dernière instance sur la raison, ce qui explique l’importance donnée à l’instruction publique et à l’Education nationale. Il y a toujours l’idée latente chez nous que “ce qui définit d’abord et avant tout le citoyen civilisé, c’est son entendement et sa culture. Un homme qui n’est pas véritablement policé par l’instruction civile et par le savoir demeure un barbare. La grandeur d’une telle conception est d’avoir contribué au développement de l’instruction et d’avoir été responsable de l’alphabétisation et du progrès culturel, d’avoir su transformer les hommes en citoyens. Mais sa limite est d’ôter aux peuples, réputés barbares, l’appartenance à l’humanité [justifiant ainsi la colonisation], tout en enlevant aux pauvres en esprit la participation à la citoyenneté [voire aux pauvres tout court avec le suffrage censitaire, jusqu’en 1848 et masculin jusqu’en 1944]”.

II. Droits des Etats vs droits de l’homme vs droits des peuples ?

La deuxième partie s’intéresse au concept de Nation et cherche à articuler trois types de droits : les droits de l’homme qu’on vient de voir mais aussi les droits des Etats dans le cadre de l’ordre international, enfin les droits des peuples.  En effet Kriegel admet l’intérêt légitime des Etats (notamment via le concept de souveraineté) mais aussi l’intérêt légitime des peuples, lequel inscrit le droit dans une histoire, une géographie et une culture :

Le rationalisme abstrait, l’universalisme abstrait des Lumières avaient cru possible de construire la civilité par le seul serment de la citoyenneté : par ce pacte que David a représenté génialement, anticipant dès 1784 dans Le Serment des Horaces la civilité républicaine. Le Romantisme objecte ici qu’un peuple n’est pas seulement un contrat. Objection si forte que les républicains les plus attachés à la tradition du XVIIIème siècle ne pourront que l’introjeter. Mais cette objection légitime du principe des nations et du droit des peuples a connu sa déviation et sa pathologie qui ont conduit les nations au nationalisme. (…) A la vérité, aucune nation européenne du XIXème n’a été véritablement préservée du nationalisme, même si certains pays s’y sont adonnés, avec le pangermanisme et le panslavisme, avec plus de ferveur que d’autres… Quel est le principe du nationalisme qui a trouvé son expression radicale dans les fameux Discours à la nation allemande de Fichte (1808) ? Le principe du nationalisme est double : il absolutiste et éternise le principe de la nation.

Pour Kriegel, les droits de l’homme sont premiers parce qu’ils garantissent l’individualité de la personne humaine, disposant d’un agir et d’une conscience propre que l’Etat ne saurait entraver. Ils sont le fondement de la démocratie.

La nation est quant à elle le “lieu où se déploie l’histoire et où se manifeste le développement (…) le cadre du déploiement de la nation est celui du développement politique. L’universel ne peut être l’attribut du développement national parce que celui-ci emprunte toujours des voies insolites, aléatoires, particulières.”

Le droits des Etats, enfin, introduit l’idée d’un ordre international et rejette l’idée impériale autant que l’idée féodale. Cela suppose la reconnaissance de la pluralité des Etats dont les relations doivent être régies par le consentement et par le pacte ; cela suppose également la prééminence de la politique intérieure sur la politique extérieure, la suprématie de la dimension civile sur la dimension militaire.

A ce stade Kriegel, en bonne constitutionaliste, introduit et assume une hiérarchie très claire : d’abord et en premier, les droits de l’homme. Ensuite les droits des peuples. Enfin les droits des Etats. Réconcilier des principes parfois irréductibles impose de garder cette hiérarchie en tête. Les droits de l’homme abstraits en dehors d’un cadre national sont impossibles, parce que ce n’est pas ainsi que s’écrit l’histoire des hommes. Mais le droit des peuples ou celui des Etats sans les droits de l’homme produisent des dérives terrifiantes : nationalismes, totalitarismes, autoritarismes.

Conclusion

Kriegel aborde d’autres points sur la liberté moderne ou le développement politique européen qui sont très intéressants mais déborderaient le cadre de cette courte synthèse. Je me contenterai pour finir d’en recommander la lecture, en particulier pour ceux qui sont peu familiers avec le concept de démocratie !

Les aides publiques aux entreprises : un commentaire sur le rapport de l’IRES

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En mai dernier, l’IRES (Institut de Recherches Economiques et Sociales, un organisme d’études économiques syndical) a sorti un rapport sur les aides publiques aux entreprises via un groupe de travail de l’Université de Lille. Le rapport se lit ici. J’ai appris l’existence du rapport par Twitter et j’ai trouvé que le sujet abordé, en plus d’être fondamental, était largement sous-médiatisé. En effet, les aides publiques aux entreprises sont nombreuses en France, coûtent énormément d’argent public, et on en parle paradoxalement peu (par rapport au “pognon de dingue” que constituerait la redistribution). Le rapport est fort long (environ 200 pages) et relativement technique, aussi j’essaie ici d’en faire une synthèse critique :

1. De quoi est-il question ?

Des aides publiques aux entreprises. Cette notion apparemment simple est en fait relativement complexe, ce que le rapport explique très bien : en première approche, on pense aux aides directes, lorsque l’Etat verse une certaine somme (subvention) à une entreprise dans un but particulier. On peut déjà noter à ce stade que dans le cadre européen, les aides directes aux entreprises qui remplissent certains critères sont interdites, car elle reviennent à fausser la concurrence. En pratique, de nombreuses exceptions sont admises, notamment lorsque l’aide est inférieure à 200 000€.

D’emblée, le rapport indique que la notion européenne assez stricte d’aide d’Etat est loin de couvrir toutes les aides publiques aux entreprises en France : en effet, si les aides directes sont en augmentation (elles atteindraient 20 milliards en 2019), ce n’est rien en comparaison des crédits d’impôts, le principal mécanisme utilisé pour soutenir l’économie en France.

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Ainsi le rapport de l’IRES considère qu’une dérogation fiscale au droit commun, c’est-à-dire une réduction d’impôt, est bien une “aide publique aux entreprises”, puisqu’elle se traduit par une perte de recette pour la puissance publique voire un remboursement de trop-perçu (crédit d’impôt).

2. Qu’est-ce qui n’est pas compté ?

Le rapport exclu deux grands éléments de son comptage :

  • Les dépenses publiques envers les entreprises qui font l’objet d’une contrepartie. Ainsi les commandes publiques (une mairie qui achète une ligne de tram à une entreprise privée), les prises de participation (l’Etat qui nationalise EDF), les prêts et avances de trésorerie (pendant le covid, par exemple) ne peuvent pas être sérieusement considérés comme des aides publiques aux entreprises puisqu’il y a une contrepartie, l’Etat dépensant tout en s’enrichissant : soit par l’acquisition d’une infrastructure ou d’actifs financiers (qu’on peut revendre ensuite), soit par des intérêts. Une aide publique doit être sans contrepartie directe.
  • Les aides qui bénéficient en premier ressort aux ménages ou aux associations sans but lucratif, puisque ce n’est pas l’objet du rapport. On verra que ce point est loin d’être simple.

3. Combien ?

Question simple, réponse très compliquée. C’est tout l’enjeu du rapport de sa médiatisation. Dans le cadre des contestations autour de la réforme des retraites, justifiée selon le gouvernement par une grosse dizaine de milliards de déficit, de nombreuses personnalités de gauche ont souligné que le montant des aides publiques aux entreprises était beaucoup, beaucoup plus élevé (entendez la réforme n’est pas nécessaire, prenons l’argent là où il est).

Avant de discuter montant, il est cocasse de remarquer qu’il n’existe pas de chiffrage homogène et exhaustif du montant des aides publiques aux entreprises. On ne peut donc pas se contenter d’aller sur le site de l’INSEE (ce serait pratique et le rapport serait inutile). Cela tient, selon les auteurs, à la nature de ces aides : disséminées dans de nombreux dispositifs différents ayant des effets ou des objectifs différents, les recenser toutes s’apparente à un travail “d’explorateur”. Il suffit de jeter un œil à la liste à la Prévert des impôts en France (plusieurs centaines)  pour imaginer la quantité de niches fiscales possibles : 465 niches dans le projet de loi finances de 2023!

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Surtout, le résultat dépend entièrement de la définition qu’on a choisi du terme “aides publiques aux entreprises”. Comme on l’a dit, il s’agit d’une aide directe (subvention) ou indirecte (cas le plus courant, crédit d’impôt) bénéficiant sans contrepartie à une entreprise. Mais la définition d’une dépenses fiscale implique une dérogation au droit commun : il y a dépense parce que la puissance publique perd des recettes par rapport à ce qu’elle aurait perçu sans cette mesure, c’est-à-dire par rapport au droit commun. Or, justement, il y a tellement de niches fiscales et de régimes dérogatoires en France qu’il est parfois difficile de parler d’un droit commun en matière de fiscalité, c’est-à-dire de définir une norme fiscale à laquelle le crédit d’impôt dérogerait. François Ecalle, qui anime le site de référence en finances publiques fipeco, expliquait ainsi que “la définition de la norme fiscale est inexistanteen France, prenant en exemple le régime de TVA des cantines d’entreprise ou le quotient familial :

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Autre exemple mentionné dans le rapport de l’IRES : doit-on considérer comme une aide publique aux entreprises une réduction d’impôt une année N qui devient l’année suivante une mesure de droit commun ? Le cas du CICE (Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi) est un exemple parfait : pensé au départ (rapport Gallois 2012) comme un crédit d’impôt pour restaurer les marges des entreprises au sortir de la crise de 2008, il a été transformé par Macron en baisses durables de cotisations (sur les cotisations maladie et chômage, notamment) pour les entreprises qui emploient des salariés en dessous de 2,5 SMIC : dès lors qu’il s’agit du régime de droit commun, le CICE est-il une aide publique aux entreprises ?

Cette complexité a conduit les fiscalistes à distinguer les dépenses fiscales classées (elles sont comptabilisées dans les projets de loi finances) et les dépenses fiscales déclassées (elles sont désormais considérées comme relevant du droit commun).

4. Combien (bis) ?

Ces préalables étant posés, le rapport de l’IRES propose une recension des différents chiffrages effectués jusque-là, qui vont de 15 milliards par an dans les approches les plus strictes, ne comptant que les aides directes de l’Etat, à plus de 230  dans l’approche la plus large, incluant les dépenses classées et déclassées, les prises de participation, les avances de trésorerie, soit un rapport de 1 à 15 (!) selon le périmètre et la définition “d’aide publique” retenu.

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Si on s’en tient à l’approche sans contrepartie, on trouve un chiffrage de 70 milliards en 2005 :

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Passons maintenant aux chiffrages des auteurs du rapport proprement dit :

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Si l’on exclut les dépenses déclassées (considérées comme faisant désormais partie du droit commun mais il s’agit d’une convention… qu’un gouvernement pourrait changer), on aboutit à la somme déjà gigantesque de 60 milliards par an, soit à peu près le budget de l’Education nationale, pour bien fixer les ordres de grandeur. Dont 27 milliards de crédits d’impôt.

Enfin, si l’on cumule tous les éléments, soit les dépenses fiscales qu’on vient de mentionner, les dépenses budgétaires (subventions directes) et les dépenses socio-fiscales (soit les réductions de cotisations dont le CICE), on atteint la somme pharaonique de 156 milliards, et même plus de 200 milliards si l’on inclut les dépenses déclassées.

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Pour les ordres de grandeur, cela représente plus de trois fois le budget de l’Education nationale, 6% du PIB ou encore 31% du budget de l’Etat.  Dans ces conditions, les douze milliards qui manquent pour les retraites ne semblent pas grand chose, non ?

Pas si vite.

5. Interpréter le rapport : deux critiques méthodologiques

Cette avalanche de chiffres ne doit pas masquer qu’il y a plusieurs interprétations du rapport. Certaines dépendent tout simplement de grilles de lecture politiques (je dirai la mienne). D’autres sont plus méthodologiques.

La première lecture méthodologique qu’il faut impérativement garder en tête, est qu’il s’agit dans tous les cas d’un coût brut (cf. p 28 du rapport) c’est-à-dire que le rapport ne s’intéresse pas en détail aux effets de ces différentes dépenses sur l’économie, c’est-à-dire à leur efficacité. Il n’y a donc pas ce que les spécialistes appellent un “bouclage macroéconomique” c’est-à-dire une étude estimant l’impact budgétaire de chaque dépense fiscale en incluant ses effets sur le comportement des agents. Par nature, ce type d’étude est complexe, repose sur de très sophistiqués modèles macroéconomiques et le résultat dépend très fortement des hypothèses retenues. Il demeure important de garder en tête qu’en aucun cas on ne peut facilement “récupérer” 200 milliards pour financer les retraites (ou les services publics, ou n’importe quoi d’autre).

Pour le comprendre, imaginez que l’on supprime toutes les réductions de cotisations sociales sur les bas salaires, soit une rentrée directe dans les caisses publiques de l’ordre de 50 milliards par an. Largement de quoi payer le déficit des retraites, pas vrai ?

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Non, car cela augmenterait instantanément le coût du travail. Actuellement, un salarié au SMIC touche 1330€ net et en coûte de l’ordre de 1800€ à son employeur. Supprimer les allègement de cotisations mis en œuvre depuis la fin des années 1990 au niveau du SMIC représenterait une augmentation immédiate du coût du travail de l’ordre de 40%, soit un coût du SMIC chargé de 2500€ environ. Pas besoin d’être un macroéconomiste confirmé ni un ultralibéral convaincu pour comprendre que ton boulanger n’a pas les moyens de payer un SMIC chargé à 2500€ au lieu de 1800€, et que ces 700€ de charges en plus chaque mois par salarié feront couler bon nombre de PME/TPE françaises qui ont une partie de leurs salariés au SMIC. Celles qui ne couleront pas cesseront d’embaucher pour survivre. Le gain immédiat de 50 milliards pour les finances publiques sera donc amoindri (voire annulé) par la montée du chômage et/ou les baisses de cotisations qui résulteront des moindres embauches. Dans quelles proportions ? Je n’en sais rien, je ne suis pas macroéconomiste, mon propos se résume à dire que les effets macroéconomiques ne permettent pas de récupérer sans coûts les sommes avancés dans le rapport.

La France a l’un des coûts du travail les plus élevés au monde pour financer sa très généreuse protection sociale (surtout son système de retraites). Embaucher quelqu’un au salaire médian vous coûte 3270€ par mois alors que la personne en touche… 1848, soit un taux de charges sociales de 75%. La solution retenue de baisser les cotisations sur les bas salaires a son mérite mais engendre une multitude d’effets pervers, à commencer par une incitation pour les employeurs à maintenir les salaires bas pour continuer à bénéficier des dispositifs (trappes à bas salaires). Le coût pour la Sécurité sociale est l’autre problème. Cependant ce n’est parce que ces mesures ont un coût élevé et présentent des effets pervers qu’on pourrait les supprimer gratuitement. Il n’est absolument pas certain que supprimer les réductions de cotisations sociales au niveau du SMIC représenterait à la fin (lorsque les agents auront modifié leur comportement) un gain net pour les finances publiques.

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Une seconde critique méthodologique porte sur la distinction aides publiques aux entreprises vs aides publiques aux ménages. Le rapport exclut explicitement les aides publiques aux ménages de son champ d’étude. Or, ce choix est tout à fait discutable. Disons-le clairement,  il y a un tropisme en faveur des ménages (donc en faveur de la consommation) et hostile aux entreprises (donc à la production) dans le rapport, mais aussi en France en général. L’idée n’est jamais explicitement formulée mais on comprend, si je caricature un peu, que les aides publiques aux entreprises c’est mal (parce que ça soutient le profit, donc le capital, dans une lecture marxiste), tandis que les aides publiques aux ménages c’est bien, parce que ça soutient le pouvoir d’achat des salariés, donc le travail.

Or je pense que ce tropisme marxiste est binaire et masque trop de choses importantes pour être très pertinent. D’abord, parce que si l’on regarde le coût des niches fiscales les plus importantes, la plupart profitent aux ménages, même quand elles apparaissent de prime abord comme bénéficiant aux entreprises.

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C’est qu’il n’est pas si simple de dire qui bénéficie de quoi. Principe de l’incidence fiscale : celui qui envoie/reçoit le chèque de l’Etat n’est pas forcément celui qui en bénéficie économiquement. La TVA à 10% sur les travaux de rénovation énergétique est une dépense fiscale qui profite en dernier ressort aux ménages réalisant des travaux dans leur résidence principale (puisqu’ils paient moins chers que sans le dispositif), alors que ce sont les entreprises de rénovation qui reçoivent le chèque. On peut en dire autant de toutes les baisses de TVA, d’ailleurs, dont la plus connue est la TVA alimentaire à 5,5%. Toujours d’après Fipeco, le coût des diverses réductions de TVA en direction des ménages est de 50 milliards par an (tiens, autant que les allègements de cotisations).

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En fait, savoir si une baisse de TVA profite à l’entreprise ou aux ménages est délicat, parce que cela dépend du comportement de l’entreprise : si le secteur est très concurrentiel, elle va probablement baisser ses prix, et c’est le consommateur qui empoche l’essentiel du gain. Si, à l’extrême inverse, l’entreprise est en monopole, elle n’a qu’à augmenter ses marges, et le consommateur n’en touche rien.

Ma conclusion est qu’il y a une part d’arbitraire à trier les aides aux ménages des aides aux entreprises : une part des aides attribuées aux entreprises bénéficient en fait aux ménages sous forme de baisses de prix, notamment dans les secteurs concurrentiels. De plus, si l’on quitte un instant le tropisme marxiste, certaines aides aux entreprises soutiennent en fait l’emploi (donc le pouvoir d’achat) des travailleurs au SMIC, comme les réductions de cotisations sociales ; tandis que certaines aides aux ménages, sinon la plupart, bénéficient aux ménages aisés et de ce fait entretiennent les inégalités (comme le crédit d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile qui coûte la bagatelle de 10 milliards par an). On peut dénoncer les allègements de charges sur les bas salaires et le CICE, mais alors pourquoi ignorer le crédit d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile, les multiples avantages fiscaux des retraités (presque tous injustifiés, comme la réduction de CSG ou l’abattement de 10% sur l’IR pour frais professionnels, LOL) ou encore les exonérations sur les heures supplémentaires qui bénéficient avant tout aux cadres ?

6. Interpréter le rapport : une critique politique

La lecture marxiste du rapport (on soutient le capital alors qu’on assomme le travail) est tout à fait discutable. Il y aurait même une lecture libérale du rapport, que je partage en partie, selon laquelle ces multiples aides et niches fiscales sont la contrepartie du pays qui a les prélèvements obligatoires parmi les plus élevés au monde. La France, ce pays qui a les impôts les plus élevés au monde, mais aussi les niches fiscales les plus élevées au monde, selon le mécanisme bien connu : on met un impôt (généralement à un taux élevé) pour taxer un truc qui fait plaisir à l’opinion publique puis on créé des tonnes d’exemptions fiscales pour les gens pas contents qui ont les moyens faire savoir qu’ils sont pas contents (les lobbies, qui peuvent être des ménages ou des entreprises).

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D’ailleurs, le rapport aborde cette critique (p. 52) en la balayant selon l’argument suivant : les dépenses fiscales en direction des entreprises sont compensées par la hausse des prélèvements sur d’autres agents (les ménages, typiquement) :

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Autrement dit : si l’on supprimait les aides aux entreprises, on pourrait alléger d’autres impôts. Cela est absolument vrai, mais repose la question (sous-jacente) de la distinction entre aides aux ménages = bien et aides aux entreprises = mal. Il est notable qu’il y a une tendance en France à “déplacer la contrainte socio-fiscale relative au financement de la protection sociale sur les ménages” (p. 64), avec la hausse de la CSG et les baisses de cotisations sociales :

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Mais, selon moi, cela n’ôte pas le fort biais en faveur de la consommation du système socio-fiscal français, notamment via notre (extraordinairement coûteux) système de retraite qui maintient les revenus des retraités à un niveau égal ou supérieur au revenu des actifs, alors même qu’ils ont bien plus d’épargne et des dépenses contraintes (notamment de famille, de transport et de logement) très inférieures aux actifs :

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Dans le même genre, on pourrait mentionner le fort soutien de l’Etat aux revenus des ménages pendant la crise du covid puis la crise énergétique, les ménages ayant très peu perdu d’argent sur la période 2019-2022 :

May be an image of text that says "Répartition des pertes de revenu réel en 2022 par rapport à 2019 liées à la détérioration des termes de l'échange énergétiques, avant ajustement des comportements privés (en Md€) 90 80 70 60 50 40 30 20 10 32 Avant mesures de soutien Ménages Après mesures de soutien Entreprises État"

Last but not least : les cotisations sociales sont des prélèvements qui ouvrent des droits dans le système de redistribution (à la retraite, à la maladie, au chômage…), contrairement aux taxes assises sur le capital. Comparer les cotisations sociales avec les taxes assises sur les dividendes (par exemple) est donc un peu biaisé : une cotisation retraite vous ouvre un droit à la retraite (même si le système est très injuste), pas le prélèvement forfaitaire unique ou l’impôt sur les sociétés.

Conclusion

Quel que soit l’interprétation qu’on lui donne, le rapport de l’IRES est important et mérite d’être lu. Il n’a pas bénéficié de la médiatisation qu’il aurait mérité, peut être en raison de sa grande technicité. La question de la répartition de la charge fiscale entre les ménages, qui consomment et créent la demande, et les entreprises, qui produisent et créent l’offre, reste ouverte. Pour moi, on devrait supprimer une subvention ou une dépense fiscale lorsqu’elle n’atteint visiblement pas les objectifs qu’elle s’est fixée et/ou qu’elle profite à une petite catégorie de ménages aisés en entretenant les inégalités et/ou qu’elle encourage des rentes de monopole. Inversement, une dépense fiscale qui soutiendrait un comportement vertueux, spécialement dans le domaine écologique (un investissement, une consommation), favorise l’emploi, s’adresse au plus grand nombre ou améliore la formation des travailleurs bref, engendre des externalités positives (dans le jargon des économistes) est moins discutable, qu’elle bénéficie en dernier ressort aux ménages ou aux entreprises. Ce qui importe, il me semble, c’est l’effet final de la dépense sur l’économie, plus que son bénéficiaire initial ou administratif (entreprise ou ménage).

A cette aune, le CICE ou le CIR (Crédit d’Impôt Recherche), qui font chacun l’objet d’un long chapitre dédié dans le rapport, sont très critiquables, car leur coût est élevé et leur résultat médiocre : pour le CICE, cf. note du CAE de 2019 ; pour le CIR, voir à partir de la page 114 du rapport. Plus anecdotique mais pas moins choquant : pourquoi les journalistes bénéficient toujours d’un abattement de 7500€ au titre de l’impôt sur le revenu ? En revanche, il paraît douteux qu’on supprime toutes les réductions de charges au niveau du SMIC ou le crédit d’impôt pour dons aux associations (par exemple), ce qui ferait s’effondrer le tissu associatif français.

Dans tous les cas, il faudra bien s’atteler à ce sujet : la puissance publique perd chaque année des sommes folles dans les niches fiscales alors qu’on manque d’argent pour les services publics régaliens les plus élémentaires. La France dépense beaucoup plus que la moyenne européenne dans les subventions à l’économie (j’en avais déjà parlé ici) mais moins que la moyenne dans l’éducation ou l’hôpital.

Derrière chaque niche fiscale, il y a un chien qui aboie. Gilles Carrez, ancien président de la Commission des finances

Plus fondamentalement, une niche fiscale est une rupture dans le principe révolutionnaire (que la France a inventé !)  à revenu égal, impôt égal. La question n’est pas de savoir s’il faut des subventions et des aides aux ménages ou aux entreprises, la question est de savoir s’il en faut pour 60 milliards (sans parler de 200). Qui paie quoi sera toujours la grande question sociale : Piketty le disait déjà il y a plus de dix ans. La fiscalité peut être aussi technique qu’elle voudra, elle reste fondamentalement une question politique.

Taxer les riches

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Tout le monde sait ce qu’est un pauvre. Du moins, presque tout le monde. Bien qu’il en existe plusieurs définitions statistiques, par la pauvreté monétaire absolue (moins de 1,9$ par jour, définition de l’ONU), par la pauvreté monétaire relative (moins de 60% du revenu médian soit en France 1128€ par mois pour une personne seule), par l’approche administrative (toucher le RSA) ou encore par la privation de biens essentiels (logement décent…), elles renvoient toutes à la même idée : devoir se priver pour vivre et ne pas accéder, ou difficilement, à des biens et des services essentiels.

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La France et les 1% de CO₂ : cinq arguments pour nuancer

Il revient régulièrement dans le débat public l’argument selon lequel la France n’a aucun impact sur le réchauffement climatique car “elle ne représente que 1% des émissions mondiales de CO2”. Argument souvent avancé par des politiques de droite, qui dit en substance : lâchez-nous la grappe avec nos SUV, le problème c’est la Chine. Lire la suite

Le retour de l’inflation

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Depuis plusieurs années, les Européens vivent dans un monde avec une inflation faible et stable autour de 1% par an. Ce qui était devenu une habitude dans nos latitudes est cependant loin d’être la norme mondiale. En Afrique, il est rare de trouver des pays avec une inflation annuelle inférieure à 2%: dans cette liste du site Statista, il n’y en a d’ailleurs aucun. Le Cap-Vert est à 2,3% et le record est détenu par le Soudan à 245%, la plupart des pays étant entre 5 et 10%. Autre exemple, l’Argentine, bien connue pour être marquée depuis des décennies par une inflation endémique, contre laquelle les gouvernements successifs ne sont pas parvenus à lutter :

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Le salaire des enseignants

Convention Banque de France – ministère de l'Éducation nationale | Citéco

Ceci est une version développée d’un article paru dans la revue Esprits, dont vous trouverez le lien ici

 

La question des salaires est une question socioéconomique cruciale. Elle est à la fois économique (qu’est-ce qui détermine les rémunérations du travail ?), sociale (pourquoi des inégalités salariales ?), éthique (quel travail, et donc quelle fonction dans la société, « mérite » quel salaire ?). Les économistes et les sociologues s’intéressent depuis longtemps à ces questions, mais nous allons ici nous centrer sur une profession en particulier, dont la rémunération a fait l’objet de nombreux débats durant la campagne présidentielle : celle des enseignants.

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Note de lecture : Le monde sans fin (Blain & Jancovici)

Bon, finalement, je chronique une deuxième bédé…Winking smile

Les auteurs

Christophe Blain est bien connu dans le monde de la bédé. C’est le seul auteur à avoir remporté deux fois le prix du meilleur album du festival d’Angoulême. Je n’ai lu que son œuvre la plus connue : Quai d’Orsay, une chronique diplomatique sur la vie du ministère des Affaires d’Etrangères sous Dominique de Villepin. Dit ainsi, ça ne semble pas très excitant, mais la série est géniale, foncez ! Le dessin de Blain est toujours drôle, propre, original. Il convient parfaitement au projet ici chroniqué. Lire la suite

Note de lecture : l’Empire, une histoire politique du christianisme (1/2)

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J’ai écrit une quinzaine de notes de lectures sur ce blog mais c’est la première fois que je chronique une bande dessinée. Ce n’est pas faute d’en lire (beaucoup !) mais elles ne se prêtent pas au genre d’analyse que j’aime faire. Cela dit, L’Empire (sous titre : Une histoire politique du christianisme) n’est pas tout à fait une bédé. Le scénario en a été entièrement rédigé par Olivier Bobineau qui est en fait un… sociologue et politologue, spécialiste des religions et membre du groupe Sociétés, Laïcités, Religions du CNRS. Aux dires de l’auteur, L’Empire “est le fruit de vingt années de travail scientifique et académique”.

L’ambition de l’ouvrage (en deux tomes publiés, un à paraître) est énorme, presque démesurée : il s’agit d’écrire une histoire du christianisme des origines à nos jours sous l’angle des rapports de pouvoirs. Je dirais un mot rapide des dessins de Pascal Magnat : ils servent utilement le propos en l’illustrant ou avec une touche d’humour, mais ils n’ont rien d’extraordinaires non plus. Dans tous les styles, j’ai vu beaucoup mieux. Néanmoins, ils ne gâchent rien, et rendent évidemment la lecture plus agréable que s’il eut s’agit d’un essai (cela reste une bédé !) Lire la suite

Note de lecture : Mémoires vives, par Edward Snowden

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L’auteur

Est-il besoin de présenter le lanceur d’alerte le plus célèbre de la planète ? En 2013, Snowden a acquis une attention médiatique internationale en divulguant des documents classifiés sur la manière dont la NSA (National Security Agency) américaine espionnait le monde entier, y compris les Américains. Il faut reconnaître à l’auteur un courage phénoménal puisqu’il a sacrifié sa carrière, son salaire confortable, son pays, la plupart de ses relations familiales et amicales restées aux Etats-Unis pour pouvoir divulguer ce qu’il a divulgué : en 2021, poursuivi pour des crimes fédéraux aux Etats-Unis, il vit toujours en Russie où il a obtenu le droit d’asile avant de s’y marier. Lire la suite

Que faire de la dette Covid (2/2) ?

Economics 101 : politique budgétaire et monétaire

Depuis la crise des subprimes en 2008, la macroéconomie a connu un certain nombre de bouleversements. Traditionnellement, les économistes distinguent la politique budgétaire et la politique monétaire : la politique budgétaire est menée par les Etats avec le vote parlementaire du budget, et a pour outil le couple dépenses publiques/recettes publiques, et pour objectifs la croissance, l’emploi et la répartition des richesses ; la politique monétaire est menée par une Banque centrale, traditionnellement indépendante des Etats (surtout dans la zone euro) et a pour outils la fixation d’un ensemble de taux dont le principal, le taux directeur, représente le taux auquel la Banque prête aux banques commerciales. Toutes les banques commerciales ont un compte à la Banque centrale : schématiquement, quand la Banque centrale veut rendre le crédit plus cher (pour ralentir l’inflation) elle augmente son taux directeur, ce qui, par effet d’entraînement, augmente le coût du crédit bancaire dans toute l’économie ;  et quand elle veut rendre le crédit moins cher (pour relancer la croissance et abaisser le chômage) elle diminue son taux directeur.

Regarder l’évolution des taux directeurs sur longue période, c’est regarder les cycles économiques :  en période de forte croissance, les taux ont tendance à monter pour freiner la surchauffe, et inversement en période de crise. On remarquera que la Banque centrale européenne a tendance à suivre (avec retard) les taux de la FED (Banque centrale américaine), suivant la conjoncture économique mondiale. Une divergence apparaît à partir de 2015 : alors que l’économie américaine est déjà sortie de la crise des subprimes depuis un moment, le chômage atteignant un point bas historique, l’économie européenne subit les contrecoups de la crise grecque de 2010-2011 et de la crise des dettes souveraines qui a suivi : de là, une divergence de stratégie qui s’atténue en 2020 à la faveur de la crise sanitaire mondiale (le graphique ne le montre pas, mais le taux principal de la FED est actuellement à 0,25%).

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Que faire de la dette COVID ? (1/2)

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La dette publique, éternel sujet maltraité

De tous les sujets économiques maltraités dans le débat médiatique (et il y en a beaucoup), la dette publique est sans doute le pire. On en finirait pas d’établir la liste des approximations régulièrement proférés par une variété de politiques, journalistes, pseudo-experts et vaguement économistes dans tous les médias et sur tous les tons sur ce thème.

C’était déjà vrai avant la crise sanitaire. Depuis, la dette publique française a atteint près de 120% du PIB (une grande partie étant lié aux mesures de soutien à l’économie durant le premier confinement, et notamment aux mesures de chômage partiel, on peut donc parler de “dette COVID”) et la litanie des bêtises a repris du service.

A vrai dire, même si ce n’est guère original (mais je n’essaie généralement pas d’être original sur ce blog !), on peut essayer de jouer au jeu des sept erreurs en guise d’introduction. Voici donc six arguments sur la dette publique qui contredisent les clichés médiatiques (nous répondrons à la question proprement dite dans la seconde partie) :

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Note de lecture : la gauche, la droite et le marché (D. Spector)

Le libéralisme peut-il être de gauche ?

La gauche, la droite et le marché (2017) est un livre étonnant. Ecrit par un économiste, il s’agit davantage d’un livre d’histoire des idées économiques et politiques, très riche de références et servi par une plume d’une grande clarté.

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A quoi sert l’économie ?

De la scientificité des sciences sociales

Il y a un peu plus d’un an j’ai écrit un long article intitulé « à quoi sert la sociologie ? » qui traite de sciences sociales en général et de sociologie en particulier, et essaie de défendre la scientificité de la sociologie. L’objet de cet article est de développer ce point de vue en se concentrant, cette fois, sur l’économie. Il sera complémentaire d’un autre article sur le même thème, que j’avais écrit en conclusion d’une série sur l’histoire des courants économiques, consacrée à l’économie contemporaine et où je digressais sur la scientificité de l’économie.

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Note de lecture : La nature du social (L. Cordonier)

La nature du social (2018) est un ouvrage qui traite de questions fondamentales sur le rapport entre nature et culture et l’explication du comportement humain en général.  Laurent Cordonier, sociologue, a pour objectif de créer des ponts entre des disciplines que l’on imagine souvent irréconciliables : la sociologie (et les sciences sociales en général) et les « sciences de la nature humaine » (psychologie cognitive, biologie évolutionniste).

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Note de lecture : Sapiens, une brève histoire de l’humanité (Y. N. Harari)

Un bon essai est un mélange entre une fiction et un article scientifique : il doit être aussi agréable à lire que le premier tout en s’approchant de la rigueur du second. Ce qu’on attend d’un essai, c’est une langue claire et fluide, mais néanmoins des arguments, si possible fondés, voire des idées nouvelles. Un essai peut même se permettre de prendre beaucoup de hauteur par rapport aux sujets très circonscrits qui sont l’objet des articles scientifiques, quitte à être démesurément ambitieux ou très original : ce n’est pas si grave.

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