Grèce : un résumé en quatre erreurs majeures

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Les Grecs, premiers fautifs

Les Grecs sont les premiers responsables de leur situation. L’Allemagne a subi la destruction totale suite à la seconde guerre mondiale, puis la difficile réunification avec à chaque fois des coûts économiques et sociaux colossaux. Cela n’a pas empêché les Allemands de se relever et de devenir la première puissance économique en Europe.

A l’opposé, les Grecs, après avoir maquillé leurs comptes publics (avec l’aide de Goldman Sachs) pour entrer dans la zone euro, ont bénéficié d’une décennie de crédits à bas taux parce que l’entrée dans la zone euro signifiait bénéficier de la politique monétaire expansive de la BCE, et de la garantie implicite de l’Allemagne pour les obligations d’Etat. Par ailleurs, ils ont bénéficié de transferts communautaires de l’ordre de 10% du PIB. Loin de mettre à profit cette manne pour restructurer et améliorer leur économie, l’Etat grec a augmenté les fonctionnaires de 120% en 10 ans, multiplié les dépenses excessives par rapport à la productivité du pays. Exemples parmi d’autres : en 2009, la Grèce dépense 13% de son PIB en retraites, le quatrième de l’OCDE au niveau de l’Autriche ou de la France (pays beaucoup plus solides économiquement que la Grèce). Les dépenses sociales en faveur des ménages atteignent près de 20% du PIB en 2012, soit le premier rang de l’OCDE (le second étant la France, et le troisième l’Italie). Et c’est sans parler de leur énorme budget militaire (le premier européen, le deuxième de l’OTAN après les États-Unis) qui reste, en 2013, encore un point de PIB au-dessus de la moyenne européenne, etc.

Finalement en 2009, le déficit public grec dépasse les 15% (oui : 15%) du PIB.

Dit comme cela, ça ne paraît pas grave. En chiffre absolu, cela signifie que ce pays de 11 millions d’habitants dépensait 36,3 milliards d’euros de plus qu’il ne disposait de revenus ! 36,4 milliards d’euros alors que la France a le plus grand mal à faire 4 milliards d’économie. Jean Quatremer

Tout cela ne serait (presque) rien sans l’incapacité de l’Etat grec à lever efficacement l’impôt. Étonnant d’ailleurs que tant de gens se disant “de gauche” pleurent aujourd’hui la Grèce : être de gauche aujourd’hui, n’est-ce pas défendre l’Etat et l’intervention des pouvoirs publics dans l’économie ? Or, quel est le principal problème grec sinon les défaillances institutionnelles, au premier chef desquelles l’incapacité de son État à récupérer l’impôt ? La fraude fiscale, est-ce de gauche ? L’économie souterraine serait estimée entre 20 et 40% du PIB (d’autres estimations sont plus modestes, mais toujours au-dessus de 10%). Les recettes fiscales des pouvoirs publics grecs, a 7500$ environ par an et par habitant en 2012, situent se pays bien au-dessous de la moyenne de l’OCDE (14 190). En Grèce, la fraude est difficile à contrôler en partie parce qu’il y a beaucoup plus d’indépendants que dans les autres pays européens (il est plus facile de récolter l’impôt sur une population majoritairement salariée).

Responsabilités extérieures

Ce qui précède n’excuse pas les erreurs des Européens dans la gestion de la crise grecque. Citons trois erreurs majeures :

1. Avant : avoir laissé la Grèce entrer dans la zone euro, avoir fermé les yeux sur ses dérapages.

Pour des raisons culturelles, historiques (« la patrie de Platon », selon l’expression de VGE), les principaux pays de l’UE ont laissé la Grèce entrer dans l’UE (puis dans la zone euro) malgré une économie connue pour être peu productive et surtout un État peu efficace.

Pour les mêmes raisons et d’autres raisons économiques (on vend beaucoup d’armes à la Grèce), les leaders européens se sont aveuglés sur les défaillances grecques. Il faut dire qu’en 2003, Chirac et Schröder de concert n’ont pas hésité à violer les règles qu’ils avaient eux-mêmes institué (les critères de Maastricht) et éviter les sanctions de la Commission européenne. Les dérapages français et allemand n’ont certes pas grand chose à voir avec le cas grec, il n’empêche qu’il est difficile de vouloir faire respecter les règles communes par des petits pays périphériques quand les deux géants à l’origine de la construction européenne ne les respectent pas.

2. Après : la lenteur de Merkel, la faiblesse de Sarkozy

Lorsque Gorgios Papandréou se présente en novembre 2009 devant le Parlement et “découvre”  que le déficit public grec n’était pas de 3,7% du PIB, comme l’indiquait les chiffres officiels, mais de 12,5%, puis lorsque s’ensuit une panique généralisée et que démarre la crise grecque, voici ce que les dirigeants européens, au premier chef desquels la France et l’Allemagne, auraient du faire :

  • Rassurer immédiatement les marchés en affirmant que l’Eurozone ne laissera pas tomber la Grèce ;
  • Faire pression sur la BCE pour qu’elle intervienne (par un simple déclaration, dans un premier temps) de façon à prévenir une hausse brutale des taux d’intérêt obligataires ;
  • Préparer un plan d’aide à la Grèce, avec le FMI si nécessaire ;
  • Entamer d’urgence les négociations pour procéder à des réformes structurelles massives (mais progressives) en Grèce, conditions sine qua none pour l’obtention d’une aide quelconque. C’est le point plus facile à dire qu’à faire : car convaincre/obliger les Grecs à des réformes en les aidant parallèlement implique de trouver un moyen de pression pour que les obligations soient réellement respectées. L’échelonnement des plans d’aide est un moyen possible, mais ne résout pas un problème plus profond : que faire si démocratiquement les Grecs rejettent les réformes, et donc le plan d’aide ? Que faire si le politique rejette l’économique ?

DSK dira justement (dans le documentaire Le roman de l’euro) : lorsqu’un chef d’entreprise est en difficulté, il négocie avec ses créanciers pour restructurer sa dette passée : on l’étale et on annule ce qu’on ne pourra pas payer, tout en garantissant la confiance pour l’avenir, c’est-à-dire en réempruntant et en restructurant l’entreprise de façon à engranger des bénéfices.

Les Européens et Merkel en tête ont (volontairement ?) fait tout le contraire. D’abord en tergiversant : allait-on aider les Grecs ou non ? Ensuite, Merkel a sermonné les marchés d’avoir cru en la Grèce (en mode : ça vous apprendra à faire confiance aux pays du club Med, vous le paierez de votre poche), démolissant la confiance future, tout en exigeant de l’État grec, à l’encontre du bon sens, qu’il rembourse tout jusqu’au dernier centime ! Et Sarkozy a laissé faire (cf. sommet de Deauville). S’agissait-t-il, dans l’esprit allemand, de punir les grecs pour leurs erreurs et leur trahison ? De faire un exemple pour menacer les autres pays fragiles (Espagne, Portugal…), et recentrer la zone euro autour de quelques pays « vertueux » ? Comme le souligne DSK, il n’est pas anodin qu’en allemand, Schuld signifie à la fois faute et dette. La dette étant perçue comme quelque chose de mal en soi.

Finalement, devant l’incapacité évidente de l’État grec à faire face à ses échéances, Merkel finira par battre sa coulpe mais bien trop tard. Entre temps, les taux obligataires grecs sont devenus usuraires (dépassant les 30% en mai 2011). A ce moment, la Grèce n’a plus accès aux marchés financiers et doit donc, contrairement à la plupart des pays, rembourser réellement ses dettes car elle ne peut plus emprunter pour rembourser les emprunts passés. Seule l’intervention de Draghi en juillet 2012 calmera les choses mais encore une fois, beaucoup trop tard.

3. Tout du long : une mécompréhension du problème grec

Le problème grec est d’abord un problème institutionnel : État incapable de recouvrir ses impôts, clientélisme, corruption généralisée, etc. D’après une étude, 40% du déficit de 2009 serait du aux sommes dissimulées au fisc ! Il s’agit donc, en premier lieu, d’augmenter les recettes fiscales. Il s’agit aussi de lutter contre l’économie souterraine. Ce n’est pas pour rien que l’actuel ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, déclare « We need to adjust to a new culture of paying taxes » !

Secondement (et seulement secondement) on peut envisager une diminution des dépenses. Mais la Troïka et les créanciers de la Grèce ont privilégié le court-terme et le remboursement immédiat des dettes. Frédéric Lordon écrivait justement :

L’opinion financière, agence et opérateurs ici confondus, réclament donc à cors et à cris la rigueur, et vendront les dettes publiques s’ils ne l’ont pas. Mais ils ne veulent pas des conséquences de la rigueur et vendront la dette publique s’ils les ont.

Certes, une partie de la dette a été annulée/restructurée en 2012. Les créanciers privés ont subi au passage des pertes de 50% (tout de même), mais ce sont là les risques de la Bourse : on ne peut pas vouloir des rendements fantastiques en allant jouer en Bourse et se plaindre quand on subit les risques qu’on a pris. Surtout, tout cela s’est fait à un coût exorbitant. Je ne parle même pas du coût social de la cure d’austérité brutale imposée  à la Grèce ! Uniquement des résultats économiques : primo, la méthode a permis en 2014 de dégager un (léger) excédent primaire (et encore les chiffres officiels du gouvernement grec à ce sujet sont-ils contestés par Eurostat, voir ici et surtout là), mais cet excédent a surtout servi à rembourser les dettes (voir ici et ), ce qui fait que les créanciers, dans leur grande bonté, prêtent à la Grèce pour se rembourser eux-mêmes. Certes, étaler les remboursements, recapitaliser les banques, annuler une partie de la dette et reprêter à taux faible pour aider son débiteur à rembourser est bien une forme d’aide : il n’empêche que la plus grande partie des aides européennes n’a pas servi directement à améliorer l’économie grecque.

Secundo, et c’est le plus important, le remède de la Troïka faisant  s’effondrer la confiance, elle entraîne la croissance : finalement, ô surprise, avec 164% du PIB en 2012 (177 en 2014), la dette grecque ne diminue pas. Comme l’explique Alexandre Delaigue, il est toujours navrant de voir que ce qui est un lieu commun pour 99,9% des économistes (l’austérité trop brutale produit de mauvais résultats et même des résultats contraires à ceux espérés) n’est toujours pas un consensus en Europe.

Dire que les dettes dans certains pays européens sont intenables et devraient être restructurées, que l’austérité budgétaire généralisée nuit à la croissance pour des gains très faibles en matières de finances publiques; Que les réformes structurelles n’ont au mieux qu’un effet limité, et ne suffisent en aucun cas à générer de la croissance, tout cela est remarquablement banal et assez consensuel; en Europe, c’est un propos totalement tabou. Les seuls partis qui proposent un programme que les économistes du monde entier jugeraient consensuel sont les partis extrémistes, ce qui est bien paradoxal. Mais pas tellement surprenant, parce que l’Europe est une affaire politique, dans laquelle la crise économique est un mécanisme poussant vers plus d’unification politique.

Conclusion

Ceux qui pleurent la Grèce doivent d’abord se souvenir que les premiers responsables de la situation grecque sont les grecs eux-mêmes. Certains critiquent violemment l’austérité et les réformes en Grèce : ils n’ont pas forcément tort, mais que proposent-ils ? Dépenser plus dans l’espoir que la croissance reparte ? Ce genre de keynésianisme primaire a fait son temps. Sortir de l’euro, dévaluer et laisser l’inflation exploser pour retrouver une croissance nominale ? Une stratégie dangereuse et risquée, avec des effets totalement incertains à long terme, et probablement désastreux à court-terme. Annuler toute la dette ? Cela éteint l’incendie au prix d’un coût important pour tous les contribuables européens, mais ne résout aucun des problèmes grecs. Et puis si l’on annule la dette grecque, que vont dire les Espagnols ? Les Italiens ? Les Portugais ? Pourquoi ne pas  annuler leur dette également ? Après tout, ils ont aussi connu de grosses difficultés économiques… Plus généralement, n’oublions pas qu’annuler la dette, c’est procéder à une redistribution des richesses : il y a des gagnants et des perdants. Citons Alexandre Delaigue, une fois encore :

Les gagnants, ce sont bien entendu ceux qui voient leurs dettes annulées. Et cela pose un problème : l’annulation des dettes est une politique qui, par définition, ne bénéficie qu’à ceux qui sont endettés. Or ceux-ci ne sont pas forcément ceux qui ont le plus besoin d’aide. L’adage dit qu’on ne prête qu’aux riches; dans la pratique, les gens qui ont pu aller à la banque et obtenir un crédit sont probablement dans une meilleure situation que ceux qui s’y sont fait envoyer promener. De la même façon, les retraités ont moins de possibilités de s’endetter que les actifs; il s’agit donc d’un transfert générationnel.

Les perdants sont difficilement identifiables. Il serait confortable de s’imaginer que ce ne sont que des riches exploiteurs du peuple, ou des entités abstraites (les banques, les étrangers). C’est comme toujours le problème de l’incidence fiscale; les perdants sont au bout du compte ceux qui ne peuvent pas transférer la charge sur d’autres. Les banques peuvent aisément compenser en augmentant les charges sur leurs clients, ou répercuter directement le défaut sur les épargnants. Lors du défaut sur les emprunts russes, aucun intermédiaire financier n’a été ruiné, contrairement à tous les français qui avaient cru leurs promesses.

Il y a aussi des conséquences indirectes. Si les créanciers savent que les dettes peuvent être annulées, qu’elles ont été annulées dans le passé, ils vont exiger des taux d’intérêt plus élevés à l’avenir. Et cet effet peut durer très longtemps : Rogoff et Reinhart ont constaté que lorsqu’un pays faisait défaut sur sa dette, il en payait les conséquences sous forme de taux plus élevés pendant plus d’un siècle. Les perdants d’une annulation de dette, ce sont aussi les générations futures, qui devront payer plus cher lorsqu’elles souhaiteront emprunter, les gouvernements futurs, qui auront plus de mal à financer les dépenses publiques.

Cela pose donc la question de l’efficacité de cette politique. Si on veut redistribuer, ne vaudrait-il pas mieux consacrer les dépenses publiques à des investissements éducatifs, construire des infrastructures, etc… choses qui pourraient bénéficier à la population dans son ensemble, plutôt qu’une mesure d’annulation de dettes qui n’avantage que les gens qui ont eu le seul mérite de s’endetter au bon moment ?

Dans le cas présent, annuler la dette d’un État qui s’endette tous les jours ne sert à rien : c’est comme verser de l’argent dans un puits. La Grèce a vécu longtemps largement au-dessus de ses moyens (c’est-à-dire au dessus de sa capacité productive) et il est temps que les Grecs réagissent. La restructuration d’une nouvelle partie de la dette grecque est certainement une voie possible, mais combien, à quelles conditions, et pour quelles contreparties ? Quelles réformes Syriza a-t-il entreprise depuis son accession au pouvoir il y a 6 mois ?

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Source : OCDE.

Toutes ces affirmations n’enlèvent cependant rien aux erreurs des Européens. Les responsabilités sont partagées. Ils ont très mal géré la crise, révélant, bien au-delà des problèmes grecs, les défauts inhérents à la construction européenne : avoir fait l’Europe sur une volonté purement politique avec une trop faible coordination et sans envisager les mécanismes économiques adaptés. Manque de coordination politique, absence d’un véritable exécutif, dissensions entre France et Allemagne, désaccords au sein même de la BCE…et pire : absence d’une véritable unité politique européenne.

La comparaison que fait Lordon avec les régions est équivoque : l’Ile de France ou le Rhône, régions les plus riches de France, acceptent des transferts importants vers les régions déclinantes de la « diagonale du vide » sans avoir l’impression d’être de rigoureux Allemands soutenant des Grecs fainéants…de même pour les transferts inter-Etats aux États-Unis, etc. précisément parce qu’il y  a un peuple Français, Américain.

Au final, l’euro a été fait sans unité politique véritable, et on n’a envisagé ni mécanisme pour aider un pays en difficulté, ni moyen d’harmoniser les divergences inhérentes à des politiques économiques différentes, ni, évidemment, de moyen pour en sortir. Toutes les mesures ont été prises au fil de l’eau, dans l’urgence. Certains estiment même que les crises sont inhérentes à la construction européenne, qu’elles font partie intégrante du processus, le seul moyen d’obliger les européens à aller vers une harmonisation des politiques économiques étant une situation de crise.

L’avenir de la Grèce dépendra surtout des décisions de la BCE. Mais celle-ci joue un jeu trouble, plus politique qu’économique. Compte tenu du blocage actuel des négociations (et à moins qu’elles ne reprennent), seule cette dernière  a réellement le pouvoir de décider si, oui ou non, la Grèce restera dans la zone euro.

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