Les aides publiques aux entreprises : un commentaire sur le rapport de l’IRES

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En mai dernier, l’IRES (Institut de Recherches Economiques et Sociales, un organisme d’études économiques syndical) a sorti un rapport sur les aides publiques aux entreprises via un groupe de travail de l’Université de Lille. Le rapport se lit ici. J’ai appris l’existence du rapport par Twitter et j’ai trouvé que le sujet abordé, en plus d’être fondamental, était largement sous-médiatisé. En effet, les aides publiques aux entreprises sont nombreuses en France, coûtent énormément d’argent public, et on en parle paradoxalement peu (par rapport au “pognon de dingue” que constituerait la redistribution). Le rapport est fort long (environ 200 pages) et relativement technique, aussi j’essaie ici d’en faire une synthèse critique :

1. De quoi est-il question ?

Des aides publiques aux entreprises. Cette notion apparemment simple est en fait relativement complexe, ce que le rapport explique très bien : en première approche, on pense aux aides directes, lorsque l’Etat verse une certaine somme (subvention) à une entreprise dans un but particulier. On peut déjà noter à ce stade que dans le cadre européen, les aides directes aux entreprises qui remplissent certains critères sont interdites, car elle reviennent à fausser la concurrence. En pratique, de nombreuses exceptions sont admises, notamment lorsque l’aide est inférieure à 200 000€.

D’emblée, le rapport indique que la notion européenne assez stricte d’aide d’Etat est loin de couvrir toutes les aides publiques aux entreprises en France : en effet, si les aides directes sont en augmentation (elles atteindraient 20 milliards en 2019), ce n’est rien en comparaison des crédits d’impôts, le principal mécanisme utilisé pour soutenir l’économie en France.

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Ainsi le rapport de l’IRES considère qu’une dérogation fiscale au droit commun, c’est-à-dire une réduction d’impôt, est bien une “aide publique aux entreprises”, puisqu’elle se traduit par une perte de recette pour la puissance publique voire un remboursement de trop-perçu (crédit d’impôt).

2. Qu’est-ce qui n’est pas compté ?

Le rapport exclu deux grands éléments de son comptage :

  • Les dépenses publiques envers les entreprises qui font l’objet d’une contrepartie. Ainsi les commandes publiques (une mairie qui achète une ligne de tram à une entreprise privée), les prises de participation (l’Etat qui nationalise EDF), les prêts et avances de trésorerie (pendant le covid, par exemple) ne peuvent pas être sérieusement considérés comme des aides publiques aux entreprises puisqu’il y a une contrepartie, l’Etat dépensant tout en s’enrichissant : soit par l’acquisition d’une infrastructure ou d’actifs financiers (qu’on peut revendre ensuite), soit par des intérêts. Une aide publique doit être sans contrepartie directe.
  • Les aides qui bénéficient en premier ressort aux ménages ou aux associations sans but lucratif, puisque ce n’est pas l’objet du rapport. On verra que ce point est loin d’être simple.

3. Combien ?

Question simple, réponse très compliquée. C’est tout l’enjeu du rapport de sa médiatisation. Dans le cadre des contestations autour de la réforme des retraites, justifiée selon le gouvernement par une grosse dizaine de milliards de déficit, de nombreuses personnalités de gauche ont souligné que le montant des aides publiques aux entreprises était beaucoup, beaucoup plus élevé (entendez la réforme n’est pas nécessaire, prenons l’argent là où il est).

Avant de discuter montant, il est cocasse de remarquer qu’il n’existe pas de chiffrage homogène et exhaustif du montant des aides publiques aux entreprises. On ne peut donc pas se contenter d’aller sur le site de l’INSEE (ce serait pratique et le rapport serait inutile). Cela tient, selon les auteurs, à la nature de ces aides : disséminées dans de nombreux dispositifs différents ayant des effets ou des objectifs différents, les recenser toutes s’apparente à un travail “d’explorateur”. Il suffit de jeter un œil à la liste à la Prévert des impôts en France (plusieurs centaines)  pour imaginer la quantité de niches fiscales possibles : 465 niches dans le projet de loi finances de 2023!

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Surtout, le résultat dépend entièrement de la définition qu’on a choisi du terme “aides publiques aux entreprises”. Comme on l’a dit, il s’agit d’une aide directe (subvention) ou indirecte (cas le plus courant, crédit d’impôt) bénéficiant sans contrepartie à une entreprise. Mais la définition d’une dépenses fiscale implique une dérogation au droit commun : il y a dépense parce que la puissance publique perd des recettes par rapport à ce qu’elle aurait perçu sans cette mesure, c’est-à-dire par rapport au droit commun. Or, justement, il y a tellement de niches fiscales et de régimes dérogatoires en France qu’il est parfois difficile de parler d’un droit commun en matière de fiscalité, c’est-à-dire de définir une norme fiscale à laquelle le crédit d’impôt dérogerait. François Ecalle, qui anime le site de référence en finances publiques fipeco, expliquait ainsi que “la définition de la norme fiscale est inexistanteen France, prenant en exemple le régime de TVA des cantines d’entreprise ou le quotient familial :

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Autre exemple mentionné dans le rapport de l’IRES : doit-on considérer comme une aide publique aux entreprises une réduction d’impôt une année N qui devient l’année suivante une mesure de droit commun ? Le cas du CICE (Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi) est un exemple parfait : pensé au départ (rapport Gallois 2012) comme un crédit d’impôt pour restaurer les marges des entreprises au sortir de la crise de 2008, il a été transformé par Macron en baisses durables de cotisations (sur les cotisations maladie et chômage, notamment) pour les entreprises qui emploient des salariés en dessous de 2,5 SMIC : dès lors qu’il s’agit du régime de droit commun, le CICE est-il une aide publique aux entreprises ?

Cette complexité a conduit les fiscalistes à distinguer les dépenses fiscales classées (elles sont comptabilisées dans les projets de loi finances) et les dépenses fiscales déclassées (elles sont désormais considérées comme relevant du droit commun).

4. Combien (bis) ?

Ces préalables étant posés, le rapport de l’IRES propose une recension des différents chiffrages effectués jusque-là, qui vont de 15 milliards par an dans les approches les plus strictes, ne comptant que les aides directes de l’Etat, à plus de 230  dans l’approche la plus large, incluant les dépenses classées et déclassées, les prises de participation, les avances de trésorerie, soit un rapport de 1 à 15 (!) selon le périmètre et la définition “d’aide publique” retenu.

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Si on s’en tient à l’approche sans contrepartie, on trouve un chiffrage de 70 milliards en 2005 :

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Passons maintenant aux chiffrages des auteurs du rapport proprement dit :

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Si l’on exclut les dépenses déclassées (considérées comme faisant désormais partie du droit commun mais il s’agit d’une convention… qu’un gouvernement pourrait changer), on aboutit à la somme déjà gigantesque de 60 milliards par an, soit à peu près le budget de l’Education nationale, pour bien fixer les ordres de grandeur. Dont 27 milliards de crédits d’impôt.

Enfin, si l’on cumule tous les éléments, soit les dépenses fiscales qu’on vient de mentionner, les dépenses budgétaires (subventions directes) et les dépenses socio-fiscales (soit les réductions de cotisations dont le CICE), on atteint la somme pharaonique de 156 milliards, et même plus de 200 milliards si l’on inclut les dépenses déclassées.

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Pour les ordres de grandeur, cela représente plus de trois fois le budget de l’Education nationale, 6% du PIB ou encore 31% du budget de l’Etat.  Dans ces conditions, les douze milliards qui manquent pour les retraites ne semblent pas grand chose, non ?

Pas si vite.

5. Interpréter le rapport : deux critiques méthodologiques

Cette avalanche de chiffres ne doit pas masquer qu’il y a plusieurs interprétations du rapport. Certaines dépendent tout simplement de grilles de lecture politiques (je dirai la mienne). D’autres sont plus méthodologiques.

La première lecture méthodologique qu’il faut impérativement garder en tête, est qu’il s’agit dans tous les cas d’un coût brut (cf. p 28 du rapport) c’est-à-dire que le rapport ne s’intéresse pas en détail aux effets de ces différentes dépenses sur l’économie, c’est-à-dire à leur efficacité. Il n’y a donc pas ce que les spécialistes appellent un “bouclage macroéconomique” c’est-à-dire une étude estimant l’impact budgétaire de chaque dépense fiscale en incluant ses effets sur le comportement des agents. Par nature, ce type d’étude est complexe, repose sur de très sophistiqués modèles macroéconomiques et le résultat dépend très fortement des hypothèses retenues. Il demeure important de garder en tête qu’en aucun cas on ne peut facilement “récupérer” 200 milliards pour financer les retraites (ou les services publics, ou n’importe quoi d’autre).

Pour le comprendre, imaginez que l’on supprime toutes les réductions de cotisations sociales sur les bas salaires, soit une rentrée directe dans les caisses publiques de l’ordre de 50 milliards par an. Largement de quoi payer le déficit des retraites, pas vrai ?

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Non, car cela augmenterait instantanément le coût du travail. Actuellement, un salarié au SMIC touche 1330€ net et en coûte de l’ordre de 1800€ à son employeur. Supprimer les allègement de cotisations mis en œuvre depuis la fin des années 1990 au niveau du SMIC représenterait une augmentation immédiate du coût du travail de l’ordre de 40%, soit un coût du SMIC chargé de 2500€ environ. Pas besoin d’être un macroéconomiste confirmé ni un ultralibéral convaincu pour comprendre que ton boulanger n’a pas les moyens de payer un SMIC chargé à 2500€ au lieu de 1800€, et que ces 700€ de charges en plus chaque mois par salarié feront couler bon nombre de PME/TPE françaises qui ont une partie de leurs salariés au SMIC. Celles qui ne couleront pas cesseront d’embaucher pour survivre. Le gain immédiat de 50 milliards pour les finances publiques sera donc amoindri (voire annulé) par la montée du chômage et/ou les baisses de cotisations qui résulteront des moindres embauches. Dans quelles proportions ? Je n’en sais rien, je ne suis pas macroéconomiste, mon propos se résume à dire que les effets macroéconomiques ne permettent pas de récupérer sans coûts les sommes avancés dans le rapport.

La France a l’un des coûts du travail les plus élevés au monde pour financer sa très généreuse protection sociale (surtout son système de retraites). Embaucher quelqu’un au salaire médian vous coûte 3413€ par mois alors que la personne en touche… 2036 (1949 après impôt), soit un taux de charges sociales de 67%. La solution retenue de baisser les cotisations sur les bas salaires a son mérite mais engendre une multitude d’effets pervers, à commencer par une incitation pour les employeurs à maintenir les salaires bas pour continuer à bénéficier des dispositifs (trappes à bas salaires). Le coût pour la Sécurité sociale est l’autre problème. Cependant ce n’est parce que ces mesures ont un coût élevé et présentent des effets pervers qu’on pourrait les supprimer gratuitement. Il n’est absolument pas certain que supprimer les réductions de cotisations sociales au niveau du SMIC représenterait à la fin (lorsque les agents auront modifié leur comportement) un gain net pour les finances publiques.

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Une seconde critique méthodologique porte sur la distinction aides publiques aux entreprises vs aides publiques aux ménages. Le rapport exclut explicitement les aides publiques aux ménages de son champ d’étude. Or, ce choix est tout à fait discutable. Disons-le clairement,  il y a un tropisme en faveur des ménages (donc en faveur de la consommation) et hostile aux entreprises (donc à la production) dans le rapport, mais aussi en France en général. L’idée n’est jamais explicitement formulée mais on comprend, si je caricature un peu, que les aides publiques aux entreprises c’est mal (parce que ça soutient le profit, donc le capital, dans une lecture marxiste), tandis que les aides publiques aux ménages c’est bien, parce que ça soutient le pouvoir d’achat des salariés, donc le travail.

Or je pense que ce tropisme marxiste est binaire et masque trop de choses importantes pour être très pertinent. D’abord, parce que si l’on regarde le coût des niches fiscales les plus importantes, la plupart profitent aux ménages, même quand elles apparaissent de prime abord comme bénéficiant aux entreprises.

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C’est qu’il n’est pas si simple de dire qui bénéficie de quoi. Principe de l’incidence fiscale : celui qui envoie/reçoit le chèque de l’Etat n’est pas forcément celui qui en bénéficie économiquement. La TVA à 10% sur les travaux de rénovation énergétique est une dépense fiscale qui profite en dernier ressort aux ménages réalisant des travaux dans leur résidence principale (puisqu’ils paient moins chers que sans le dispositif), alors que ce sont les entreprises de rénovation qui reçoivent le chèque. On peut en dire autant de toutes les baisses de TVA, d’ailleurs, dont la plus connue est la TVA alimentaire à 5,5%. Toujours d’après Fipeco, le coût des diverses réductions de TVA en direction des ménages est de 50 milliards par an (tiens, autant que les allègements de cotisations).

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En fait, savoir si une baisse de TVA profite à l’entreprise ou aux ménages est délicat, parce que cela dépend du comportement de l’entreprise : si le secteur est très concurrentiel, elle va probablement baisser ses prix, et c’est le consommateur qui empoche l’essentiel du gain. Si, à l’extrême inverse, l’entreprise est en monopole, elle n’a qu’à augmenter ses marges, et le consommateur n’en touche rien.

Ma conclusion est qu’il y a une part d’arbitraire à trier les aides aux ménages des aides aux entreprises : une part des aides attribuées aux entreprises bénéficient en fait aux ménages sous forme de baisses de prix, notamment dans les secteurs concurrentiels. De plus, si l’on quitte un instant le tropisme marxiste, certaines aides aux entreprises soutiennent en fait l’emploi (donc le pouvoir d’achat) des travailleurs au SMIC, comme les réductions de cotisations sociales ; tandis que certaines aides aux ménages, sinon la plupart, bénéficient aux ménages aisés et de ce fait entretiennent les inégalités (comme le crédit d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile qui coûte la bagatelle de 10 milliards par an). On peut dénoncer les allègements de charges sur les bas salaires et le CICE, mais alors pourquoi ignorer le crédit d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile, les multiples avantages fiscaux des retraités (presque tous injustifiés, comme la réduction de CSG ou l’abattement de 10% sur l’IR pour frais professionnels, LOL) ou encore les exonérations sur les heures supplémentaires qui bénéficient avant tout aux cadres ?

6. Interpréter le rapport : une critique politique

La lecture marxiste du rapport (on soutient le capital alors qu’on assomme le travail) est tout à fait discutable. Il y aurait même une lecture libérale du rapport, que je partage en partie, selon laquelle ces multiples aides et niches fiscales sont la contrepartie du pays qui a les prélèvements obligatoires parmi les plus élevés au monde. La France, ce pays qui a les impôts les plus élevés au monde, mais aussi les niches fiscales les plus élevées au monde, selon le mécanisme bien connu : on met un impôt (généralement à un taux élevé) pour taxer un truc qui fait plaisir à l’opinion publique puis on créé des tonnes d’exemptions fiscales pour les gens pas contents qui ont les moyens faire savoir qu’ils sont pas contents (les lobbies, qui peuvent être des ménages ou des entreprises).

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D’ailleurs, le rapport aborde cette critique (p. 52) en la balayant selon l’argument suivant : les dépenses fiscales en direction des entreprises sont compensées par la hausse des prélèvements sur d’autres agents (les ménages, typiquement) :

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Autrement dit : si l’on supprimait les aides aux entreprises, on pourrait alléger d’autres impôts. Cela est absolument vrai, mais repose la question (sous-jacente) de la distinction entre aides aux ménages = bien et aides aux entreprises = mal. Il est notable qu’il y a une tendance en France à “déplacer la contrainte socio-fiscale relative au financement de la protection sociale sur les ménages” (p. 64), avec la hausse de la CSG et les baisses de cotisations sociales :

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Mais, selon moi, cela n’ôte pas le fort biais en faveur de la consommation du système socio-fiscal français, notamment via notre (extraordinairement coûteux) système de retraite qui maintient les revenus des retraités à un niveau égal ou supérieur au revenu des actifs, alors même qu’ils ont bien plus d’épargne et des dépenses contraintes (notamment de famille, de transport et de logement) très inférieures aux actifs :

Dans le même genre, on pourrait mentionner le fort soutien de l’Etat aux revenus des ménages pendant la crise du covid puis la crise énergétique, les ménages ayant très peu perdu d’argent sur la période 2019-2022 :

May be an image of text that says "Répartition des pertes de revenu réel en 2022 par rapport à 2019 liées à la détérioration des termes de l'échange énergétiques, avant ajustement des comportements privés (en Md€) 90 80 70 60 50 40 30 20 10 32 Avant mesures de soutien Ménages Après mesures de soutien Entreprises État"

Last but not least : les cotisations sociales sont des prélèvements qui ouvrent des droits dans le système de redistribution (à la retraite, à la maladie, au chômage…), contrairement aux taxes assises sur le capital. Comparer les cotisations sociales avec les taxes assises sur les dividendes (par exemple) est donc un peu biaisé : une cotisation retraite vous ouvre un droit à la retraite (même si le système est très injuste), pas le prélèvement forfaitaire unique ou l’impôt sur les sociétés.

Conclusion

Quel que soit l’interprétation qu’on lui donne, le rapport de l’IRES est important et mérite d’être lu. Il n’a pas bénéficié de la médiatisation qu’il aurait mérité, peut être en raison de sa grande technicité. La question de la répartition de la charge fiscale entre les ménages, qui consomment et créent la demande, et les entreprises, qui produisent et créent l’offre, reste ouverte. Pour moi, on devrait supprimer une subvention ou une dépense fiscale lorsqu’elle n’atteint visiblement pas les objectifs qu’elle s’est fixée et/ou qu’elle profite à une petite catégorie de ménages aisés en entretenant les inégalités et/ou qu’elle encourage des rentes de monopole. Inversement, une dépense fiscale qui soutiendrait un comportement vertueux, spécialement dans le domaine écologique (un investissement, une consommation), favorise l’emploi, s’adresse au plus grand nombre ou améliore la formation des travailleurs bref, engendre des externalités positives (dans le jargon des économistes) est moins discutable, qu’elle bénéficie en dernier ressort aux ménages ou aux entreprises. Ce qui importe, il me semble, c’est l’effet final de la dépense sur l’économie, plus que son bénéficiaire initial ou administratif (entreprise ou ménage).

A cette aune, le CICE ou le CIR (Crédit d’Impôt Recherche), qui font chacun l’objet d’un long chapitre dédié dans le rapport, sont très critiquables, car leur coût est élevé et leur résultat médiocre : pour le CICE, cf. note du CAE de 2019 ; pour le CIR, voir à partir de la page 114 du rapport. Plus anecdotique mais pas moins choquant : pourquoi les journalistes bénéficient toujours d’un abattement de 7500€ au titre de l’impôt sur le revenu ? En revanche, il paraît douteux qu’on supprime toutes les réductions de charges au niveau du SMIC ou le crédit d’impôt pour dons aux associations (par exemple), ce qui ferait s’effondrer le tissu associatif français.

Dans tous les cas, il faudra bien s’atteler à ce sujet : la puissance publique perd chaque année des sommes folles dans les niches fiscales alors qu’on manque d’argent pour les services publics régaliens les plus élémentaires. La France dépense beaucoup plus que la moyenne européenne dans les subventions à l’économie (j’en avais déjà parlé ici) mais moins que la moyenne dans l’éducation ou l’hôpital.

Derrière chaque niche fiscale, il y a un chien qui aboie. Gilles Carrez, ancien président de la Commission des finances

Plus fondamentalement, une niche fiscale est une rupture dans le principe révolutionnaire (que la France a inventé !)  à revenu égal, impôt égal. La question n’est pas de savoir s’il faut des subventions et des aides aux ménages ou aux entreprises, la question est de savoir s’il en faut pour 60 milliards (sans parler de 200). Qui paie quoi sera toujours la grande question sociale : Piketty le disait déjà il y a plus de dix ans. La fiscalité peut être aussi technique qu’elle voudra, elle reste fondamentalement une question politique.

7 réflexions sur “Les aides publiques aux entreprises : un commentaire sur le rapport de l’IRES

  1. Les questions de « cadeaux fiscaux » ont en effet toujours une odeur de lutte des classes.

    Votre critique libérale de la situation me semble valide : on aide les riches à mieux isoler leur maison et acheter leurs panneaux solaires, et on assomme d’impôt les autres pour cela.

    Un impôt doit avoir l’assiette la plus large possible et un taux bas pour minimiser son impact. Ce système de confiscation et de niche est l’inverse, et l’objectif avoue du politique est de diriger par la confiscation et les niches.

    https://economiepublique.blogspot.com/2018/12/prelevement-obligatoires-pression-des.html

  2. Merci pour votre analyse, j’ai pris beaucoup de plaisir à la lire. Elle m’a permis de préciser certaines de mes idées…

    Je voudrais néanmoins faire deux commentaires. (Je serais ravi de lire des réponses) :

    D’abord, dans votre conclusion, vous insistez sur l’importance de « l’effet final de la dépense sur l’économie, plus que son bénéficiaire initial ou administratif ». Je suis parfaitement d’accord avec le peu d’importance que représente le bénéficiaire initial des dépenses fiscales, je le suis moins quant à l’importance du bénéficiaire final que vous proposez : l’économie.

    Cela, parce que je pense que la santé économique d’un pays est une condition nécessaire mais non suffisante de sa santé sociale, du moins tel que nous l’entendons aujourd’hui : le plus grand bien possible du plus grand nombre possible d’individus, (donc des ménages).

    Je pense que dans cette perspective, l’économie doit être un moyen et non une fin. Et qu’à fortiori, la santé des entreprises doit elle aussi être un moyen et uniquement un moyen, contrairement à ce que votre conclusion sous-entend par finalité « économique ».
    Santé économique n’est pas synonyme de société épanouie. Santé des entreprises n’est pas synonyme de santé des ménages.

    Une mesure peut être bénéfique pour l’économie, peut engendrer de la croissance etc… mais en même temps être la source de souffrances sociales et donc desservir la finalité commune. Car il est possible de concilier une croissance du PIB et une perte de pouvoir d’achat des ménages (dans une certaine mesure seulement). Il est possible d’accroître la production et en même temps la pauvreté…

    En perdant de vue la finalité de l’économie, en incluant la croissance et la production dans la finalité de nos sociétés, l’on risque de diverger et de desservir l’objectif originel : le bien de la société. (C’est à dire le bien des ménages).
    Pour moi, la production doit être au service des ménages, et ne doit toujours être considérée que sous ce seul angle. Elle ne doit pas être considérée comme un bien en soi, parallèle au bien des ménages.

    Pour éloigner toute méprise, je réitère : oui, une certaine santé des entreprises est nécessaire (car elles assurent la production).
    Mais la santé des entreprises ne doit jamais se faire au détriment de la santé des ménages (du moins sur le long terme), ce qui est le risque en incluant la santé des entreprises dans la finalité des sociétés.

    Pour reprendre votre conclusion, j’aurais donc dit ceci : Peu importe le bénéficiaire initial des dépenses fiscales, pourvu que les bénéficiaires finaux soient les ménages.

    Ensuite, concernant le marxisme. C’est méconnaître le marxisme que de se l’imaginer comme une idéologie qui méprise ou fait fi de la production, tout en aspirant à l’abondance commune… Ce qui en effet, si c’était le cas, voudrait faire des sociétés, des sortes de jardins d’Eden totalement utopiques.
    Bien au contraire, la production est au centre de toute l’économie et philosophie marxiste. Les communistes ne cessent de clamer qu’il faut agrandir les forces productives, pour subvenir au mieux aux besoins et aux souffrances de la condition humaine. Ce qui diffèrent du capitalisme n’est pas tant la production en tant que tel, mais sa gestion, et la répartition de son produit dans la société.
    Rien à voir donc, avec un puéril mépris du travail et de la productivité, trop souvent reprocher aux marxistes.

    Peut-être ce « tropisme marxiste » que vous dénoncer est-il véritablement ce qui biaisait l’IRES et les syndicats dans la conclusion de leur rapport ? Si tel est le cas, c’est qu’eux non-plus n’ont pas bien perçu l’essence du marxisme.
    Pour leur défense, je dirais qu’il est de toute manière impossible d’appliquer correctement des idées marxistes en conservant un paradigme capitaliste.

    • Je réponds tardivement pour vous dire que je suis tout à fait d’accord avec votre commentaire. Vous avez également raison sur le marxisme, je le sais bien que Marx critique les rapports sociaux de production et non la production en tant que tel, j’ai un peu simplifié mon commentaire. Il s’agissait simplement de souligner que le rapport avait un tropisme politique (capital vs travail) assez discutable.

  3. Bonjour,

    Vous écrivez que « Embaucher quelqu’un au salaire médian vous coûte 3270€ par mois alors que la personne en touche… 1848, soit un taux de charges sociales de 75%. »

    Votre calcul est faux : si on reprend vos chiffres, on trouve un taux de 56,5%

    • Je considère de mon côté le rapport entre le coût du travail total et le net payé après impôt, soit 75% de plus. mon calcul est bien exact. Si on considère le net avant impôt (certainement plus logique par rapport à l’expression « taux de charges sociales ») on arrive à un taux plus bas de 67%.

      Cela ne change pas grand chose. L’expression « quand j’embauche quelqu’un, je paie pratiquement le double » reste vraie

  4. Mon calcul est faux également :

    Le taux de charge sociale, si c’est la différence entre le salaire net et le brut chargé, est de 43,4%. Et c’est après imposition.

    Si on parle seulement des cotisations, c’est à dire du salaire avant imposition, le taux descend à 40,1%.

    On est donc très loin des 75%…

    • Pour compléter, je ne sais pas comment vous obtenez vos chiffres mais je présume que vous raisonnez en brut chargé et non en superbrut. Mon raisonnement est purement économique : en économie, la répartition administrative entre « cotisations salariées » et « cotisations employeurs » n’a aucune espèce d’importance. Peu importe que les cotisations de l’un soient de 25% et celles de l’autres de 40%, ou l’inverse. C’est purement administratif : économiquement, l’employeur ne s’intéresse qu’au superbrut, ie. au coût total. Et le salarié au net payé après impôt . C’est le rapport entre les deux qui compte.

      Si l’employeur ne « paie » pas administrativement les cotisations salariées, il les paie évidemment d’un point de vue économique, puisque toute embauche/augmentation se fait en raisonnant à coût total. Et pour le salarié, toutes les cotisations patronales sont autant en moins sur son net payé.

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