Note de lecture : Les croisades vues par les Arabes, par Amin Maalouf

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C’est l’un des premiers ouvrages d’Amin Maalouf (1983), et pourtant l’un des rares que je n’avais pas encore lu. J’avais chroniqué ici quelques-uns de ses romans (voir ici). Le livre est excellent, même s’il ne faut pas s’attendre à un ouvrage de référence sur la question des croisades. Maalouf est un écrivain, lettré, érudit et excellent connaisseur du monde arabe, avec lequel il est généralement sévère (lire absolument Le Dérèglement du Monde, publié en 2009), mais pas un historien professionnel. Surtout, comme le titre l’indique, le parti pris est de s’appuyer exclusivement sur des sources arabes, c’est-à-dire des chroniqueurs de la période des croisades qui s’étend de 1096 à 1291. On peut donc certainement reprocher au livre un manque de rigueur scientifique, mais ce n’est pas vraiment l’ambition de Maalouf, qui cherche plutôt à livrer, comme à son habitude, un récit agréable à lire, à la fois historique et sourcé mais aussi souvent romancé, et qui se lit comme un essai.

Sans surprise, l’écriture est de grande qualité, même si à la longue une lassitude s’installe au rythme des récits successifs de batailles, trahison, alliances, batailles, etc. La complexité de la période apparaît clairement, ce qui ne surprendra que l’ignorant qui voit encore les croisades comme une guerre monolithique entre deux civilisations, deux cultures, deux religions, homogènes entre elles, qui se détestent, s’ignorent et s’affrontent pour le contrôle des lieux saints.

En réalité, et comme toujours dans l’histoire, dans cette courte mais intense période de deux cents ans à peine où les latins se taillent un véritable petit empire en Orient, on croise successivement des fanatiques des deux camps, des monarques plus préoccupés de pouvoir ou d’intérêt économique que de religion, des pragmatiques, des inflexibles, des chefs soucieux de guerre et d’autres soucieux de paix, des traités tenus puis bafoués, des alliances et des trahisons dans tous les camps et entre tous les camps (en 1108, à la bataille de Tell Bacher, une coalition franco-arabe affronte même… une autre coalition franco-arabe !), d’infinies querelles de successions, des assassinats, des cultures kurdes, turques, arabes, franques, mongoles, des Etats stables puis fragiles. On croise aussi la route de Frédéric Barberousse qui se noie dans la rivière, Saladin qui reprend Jérusalem presque sans combat, Richard cœur de Lion qui négocie le traité de Jaffa, la quatrième croisade téléguidée par les Vénitiens qui ravage Constantinople, Saint Louis prisonnier à Damiette, Frédéric II (excommunié deux fois !) l’amoureux des sciences et du monde arabe qui mène la seule croisade sans bataille, le bénédictin espagnol fanatique Pélage Galvani qui fait échouer la cinquième croisade pratiquement à lui seul, la croisade des innocents massacrée par Kilij Arsan, sultan des Roums, l’influente secte des Assassins, les chefs arméniens et les sultans seldjoukides, les querelles religieuses et politiques entre chrétiens latins et grecs, entre chefs occidentaux et empereur byzantin, l’Egypte fatimide renversée par Saladin, dont les descendants seront eux-mêmes renversés par les Mameloukes (eux-mêmes renversés plus tard par les Ottomans)…

Les échanges culturels entre les deux mondes sont nombreux, même si selon Maalouf, ils sont asymétriques : les Occidentaux repartent d’Orient avec une partie du savoir arabe en médecine, astronomie, philosophie (les traductions d’Aristote), des mets et des fruits exotiques (l’orange, l’abricot, l’échalotte, le sirop…) des mots comme hasard (az-zahr désigne le jeu de dés), algèbre, chiffre, alchimie, algorithme, des améliorations dans le travail du cuir ou la distillation de l’alcool,… là où les Arabes, selon Maalouf, s’enrichiront peu de la culture occidentale, ce qui les pénalisera par la suite.

A la fin, le livre est vraiment intéressant et enrichissant, quoiqu’un peu répétitif et appuyé sur un parti pris qui limite son importance d’un point de vue scientifique.

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