Note de lecture : Manières d’être vivant, par Baptiste Morizot

Manières d'être vivant | Actes Sud

Quid ?

Baptiste Morizot est un philosophe (Université d’Aix-Marseille) dont on pourrait dire que la spécialité est l’écologie, plus précisément les relations entre les êtres humains et les autres êtres vivants. Manières d’être vivant est un livre percutant et assez original, puisqu’il alterne réflexions philosophiques dans un vocabulaire pointu et récits de pistages, Morizot étant avec sa compagne une sorte d’amateur passionné du pistage d’animaux sauvages, en particulier des loups (et des relations entre loups, brebis et bergers). Le livre est donc à la fois très conceptuel (la philosophie) et très concret (les récits de pistages), le concret l’emportant souvent sur le conceptuel car chez Morizot le concept n’a de valeur qu’ancré dans le terrain.

Le livre parle donc d’écologie, bien sûr, mais avec un point de vue tout à fait différent de ce qu’on a l’habitude d’entendre sur le sujet, où foisonnent surtout des livres scientifiques (l’état de l’art à base de données chiffrées) ou politiques (ce qu’il faudrait faire selon moi).

La thèse du livre

Elle peut se résumer simplement : la crise écologique est avant tout une “crise de la sensibilité”, c’est-à-dire un appauvrissement considérable de nos relations avec le vivant, soit tous les autres êtres vivants non humains. Cet appauvrissement se manifeste concrètement : on peut par exemple faire référence aux classiques sondages chez les petits sapiens (du moins pratiquement tous ceux qui vivent dans un système à économie de marché), qui sont capables de citer et reconnaitre des centaines de marques commerciales de multinationales, de différencier finement Coca de Pepsi, la Switch de la PS4 et la PS4 de la PS5, mais ne savent pas nommer les plantes de leur jardin, distinguer une feuille de chêne d’une feuille d’érable, reconnaitre le moindre chant d’oiseau et plus globalement ignorent complètement l’existence d’un monde vivant autour d’eux. Que dire des adultes (moi le premier) ! L’appauvrissement se manifeste donc concrètement par un recul considérable des relations (un concept clef chez Morizot) des êtres humains avec les êtres non-humains.

Contre le dualisme Nature/Culture

Selon Morizot, cet appauvrissement prend sa source dans le dualisme Nature vs Culture, à la fois très occidental et très récent à l’échelle de l’histoire humaine. D’un côté, la “Nature”, cet ensemble vivant d’animaux et de végétaux que l’homme civilisé se doit de dominer, exploiter, asservir pour ses besoins propres : se nourrir, se vêtir, se divertir. De l’autre la culture, le propre de l’homme civilisé. Celui-ci se doit, intérieurement, de lutter contre ses pulsions bestiales, c’est-à-dire de dompter l’être sauvage qui vit en lui par les forces de la loi, de la morale, de l’éducation, de la religion ; et extérieurement, de dominer la Nature pour construire la société humaine civilisée.

Ce dualisme s’accompagne d’une hiérarchie morale qui place l’homme au sommet, la Culture étant supérieure à la Nature. Dans la philosophie classique, les animaux n’ont de liberté propre : chez Aristote, ils sont dépourvus de raison ; pour Descartes, ce ne sont que des machines, dépourvues de sensibilité, d’âme et de raison, qui réagissent automatiquement à des stimulis. Rousseau est un peu plus subtil mais guère différent dans le fond : les animaux ont une forme simple de raison et de sensibilité mais n’ont pas de perfectibilité morale : ils n’ont que des instincts qui les conditionnent tout entier. Citons ainsi le Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes :

“La nature fait tout dans les opérations de la bête (…) ce qui fait que la bête ne peut s’écarter de la règle qui lui est prescrite, même quand il serait avantageux de le faire”

Plus récemment, des philosophes comme Sartre ou Camus sont, selon Morizot, des “alliés objectifs de l’extractivisme et de la crise écologique”, car “ce sont eux qui ont transformé en croyance fondatrice de l’humanisme tardif le mythe suivant lequel nous étions les seuls sujets, libres, dans un monde d’objets inertes et absurdes”.

Ainsi, il faudrait en finir avec ce dualisme :

[Les autres animaux] n’incarnent pas une sauvagerie débridée (c’est un mythe de domesticateur), pas plus qu’une innocence plus pure (c’est son envers réactif). Ils ne sont pas supérieurs à l’humain en authenticité ou inférieurs en élévation : ils incarnent avant tout d’autres manières d’être vivant.

Les philosophes classiques mettent l’homme au dessus de tout par ses prodigieuses capacités cérébrales, la complexité de son langage, de sa morale ou de sa vie en société. Morizot ne nie nullement cela mais rappelle que  toute espèce, en un instant N, est accomplie d’un point de vue évolutionnaire. Si l’on valorise la complexité du langage, l’art ou la vie en société, l’être humain est supérieur, mais si l’on valorisait la rapidité à la course, la force musculaire, l’agilité dans l’eau, l’écholocalisation, l’ouïe, la vue et l’odorat, ou encore la capacité à se nourrir du carbone de l’air à partir du soleil, l’être humain serait tout en bas dans les hiérarchies morales, et nous serions supplantés par les poissons, les chauves-souris, les plantes, les rapaces, les chats, les chimpanzés. Ce n’est pas très original de rappeler qu’homo sapiens ne se caractérise pas par ses capacités physiques et sensorielles extraordinaires.

Quant à la notion d’intelligence, que le philosophe définit comme “la capacité à résoudre des problèmes complexes sans posséder les patrons moteurs a priori, au sens de suites de mouvements hérités et stéréotypés”, elle s’incarne selon Morizot de manière très variée dans le vivant : il cite les oiseaux mais on peut aussi penser aussi à la formidable intelligence d’une pieuvre (cf. le documentaire La sagesse de la pieuvre) : l’animal est redoutablement intelligent au sens défini plus haut ; seulement, l’espèce n’a pas développé de mécanisme de transmission des savoirs, contrairement aux baleines ou aux félins : comme la mère meurt à la naissance de ses œufs, chaque bébé pieuvre doit tout réapprendre seul : se nourrir, se cacher, se protéger des prédateurs, chasser.

Citant l’évolutionniste Simon Conway Morris, Morizot estime que l’intelligence est apparue des centaines de fois dans l’évolution, et qu’il y a d’une certaine façon des convergences évolutives sur ce point, l’intelligence étant un “Bon Truc Evolutif” (Dennett). Des solutions nouvelles et créatives (telles que l’intelligence) sont en effet redécouvertes, plusieurs fois, par hasard (mais un hasard contraint par les conditions de l’évolution), pour sans cesse répondre à l’énigme foisonnante qu’est de vivre.

La théorie de l’évolution selon Morizot

Pour défendre l’idée que les autres animaux ne nous sont pas inférieurs, ni dépourvus de libertés, Morizot fait en effet un long détour par la théorie de l’évolution dont il semble bien maîtriser les principaux concepts. Pour Morizot, il faut éviter de tomber dans une sorte “d’adaptationnisme radical”, selon lequel tout organe existe précisément pour une fonction mise en place par l’évolution par sélection naturelle. Selon lui, le vivant ne peut se réduire à l’invention technique d’un ingénieur : pour un même organe, plusieurs fonctions sont possibles, elles ont pu changer avec le temps, elles changeront encore peut être, et restent disponibles pour différents usages. Du reste, si on se projette dans un temps très long, un animal qui nous semble aujourd’hui bête ou inutile (mettons, un batracien commun, voire une bactérie), deviendra peut être dans plusieurs millions d’années le summum de la culture, de l’éthique et de l’esthétique, de la vie en société. C’est bien par là que nous sommes passés !

Pour Morizot, l’évolution est un héritage biologique ancré dans l’histoire : celle de l’espèce d’abord, celle de l’individu ensuite. Morizot entend donc “ouvrir la voie à une philosophie du vivant qui assume les héritages biologiques sans les transformer en déterminisme” : l’évolution ne produit pas seulement des contraintes naturelles telles que les lois de la reproduction, la nécessité d’absorber de l’eau et des calories pour survivre ou la fonction de l’œil, elle produit aussi des nouveautés, des usages créatifs de tel ou tel organe.

De cela, le philosophe prend de multiples exemples, mais quiconque ayant déjà regardé un documentaire animalier en trouvera lui-même. Ainsi de la plume de l’aigrette ardoisée africaine (un oiseau), qui utilise ses plumes pour faire de l’ombre attirant les poissons à la recherche d’un nénuphar :  une lecture purement adaptationniste (la plume a été sélectionnée par l’évolution pour la thermorégulation, la parade ou le vol) passerait à côté des usages inventifs qu’une telle espèce fait de cet organe. De même, il n’y a pas une seule fonction au hurlement du loup (ce que Morizot montre abondamment dans ses multiples récits de pistage) : le cri du loup “emmagasine dans ses propriétés l’histoire des différentes fonctions qu’il a connues (au sens de ses effets sous pression de sélection) et il est chaque jour disponible pour être subverti vers une multiplicité d’usages encore inouïs ».

Comme d’habitude avec la vie, chacun fait ce qu’il veut de ce que l’évolution a fait de lui, chacun subvertit, détourne, et invente à partir de la richesse de ses héritages.

L’évolution n’est donc pas seulement la “théorie de l’évolution par variation-sélection” mais, selon une belle expression de Morizot, elle est la « sédimentation de dispositifs dans le corps, produits par une histoire : des ascendances. (…) Les ancestralités animales sont des comme des spectres qui vous hantent, en remontant à la surface du présent”

Evoquant encore les laissées (fientes) des loups observées lors d’un long pistage, Morizot invite à se libérer d’interprétations trop simplistes mais surtout trop systémiques, trop systématiques : que ce soit le réductionnisme biologique (les laissées sont des stimuli qui se déclenchent par des conditionnements opérants), anthropomorphisme simpliste qui reviendrait à interpréter tout signe animal comme un effet symbolique d’une créativité culturelle (les laissées sont des blasons que les loups utilisent pour marquer leur territoire et leur appartenance à la meute) ou, à l’inverse, naturalisation de l’humain (nous sommes également des loups, nos blasons sont des laissées).

Renouer avec le vivant

À partir de là, l’animalité humaine n’a plus rien à voir avec la bestialité, la férocité, le grossier… Elle est faite d’ascendances et d’affects animaux qui peuvent être déclinés ou subvertis, mais qui continuent de s’exprimer jusque dans nos comportements les plus quotidiens, les plus exigeants, les plus riches… Les ascendances animales sont partout (…) Quelle joie d’être un animal, alors.

Il est à noter que Morizot ne défend nullement une sorte d’égalitarisme entre tous les vivants : bien au contraire, il consacre de longues pages à explorer les formes de beauté et d’expressivité utilisées par les espèces animales qui n’ont pas comme nous développé de langage articulé et conceptuel : l’expressivité du visage d’un chimpanzé, du masque d’un loup ou du regard de la gazelle. Nous sommes (parfois très) différents mais néanmoins tous cohabitants de la même planète, embarqués dans la même aventure du vivant : l’enjeu est donc de (re)nouer des relations avec les autres espèces, et non pas de tomber dans l’anthropomorphisme en tentant d’en faire des citoyens sujets de droit d’une démocratie inclusive : le philosophe se montre d’ailleurs assez critique avec les antispécistes.

…Mais comment ?

Développer la sensibilité au vivant ; apprendre à traduire les signes des autres espèces (le cri d’un oiseau, le regard d’un chien, la course d’un cerf…) comme on traduit, sans jamais y parvenir parfaitement, d’autres mots dans d’autres langues (le spleen anglais, le dasein ou le schadenfreude allemand, la saudade  des Brésiliens…), car pour les autres espèces, nous sommes toujours des étrangers comme elles sont des étrangers pour nous, en même temps que nous vivons côte à côte : nous sommes les uns pour les autres des aliens familiers  ; acquérir un savoir du vivant, foisonnant et riche parce qu’issu du terrain, d’une enquête continue, immersive, qui ne se réduit pas aux protocoles expérimentaux et aux articles peer-reviewed ; apprendre, en soi, non pas à dompter ses “pulsions fauves” dans une morale rigide du cocher, mais à dialoguer avec elle dans une logique spinoziste, les pulsions de tristesse comme les pulsions de joie étant perçues comme des trajectoires ascendantes et descendantes plutôt que comme des parties de l’être ; et, hors de soi, à entretenir ce même dialogue avec le vivant, cette même attention qui produit ce que Morizot appelle des égards ajustés. Bref développer l’attention à la vie !

On le voit, le philosophe ne manque pas d’idées pour exprimer l’importance qu’il accorde à la nécessité urgente, vitale au sens propre, de développer une sensibilité au vivant, car cette insensibilité est pour lui le principal ferment de la crise écologique. Ce faisant, Morizot peut laisser sur sa faim le lecteur en quête de solutions définitives, binaires, de concepts clefs en main, applicables à toute situation. Car il ne cherche justement pas à donner des solutions binaires. Précisément, c’est pour lui la situation qui doit entraîner la bonne attitude, l’attitude ajustée. Et l’incertitude fait partie de l’attitude ajustée, puisqu’elle entraîne le “barbouillement moral des empathies multiples et contradictoires”.

Dans la diplomatie réelle, la diplomatie des interdépendances, celle au service des relations, et pas d’un des membres de la relation contre l’autre, la navigation négative est un art important, un art quotidien. La boussole est claire : le repère qu’il faut fuir, celui donc on doit toujours s’éloigner pour être ramené en pleine mer d’incertitude,  c’est-à-dire à l’abri, c’est la tranquillité d’âme, le sentiment de la pureté morale. C’est le sentiment d’être au service de la Juste Cause exclusive (pour les loups innocents contre les exploitants malhonnêtes), celui de la Sainte Colère (contre le fauve voleur, le sadique), celui de la Vérité révélée. La conviction d’être parmi les Bons contre les Méchants, des Justes contre les Bêtes, des innocents contre les criminels, des Nobles Sauvages contre les infâmes humains, ou de la Civilisation contre la Sauvagerie.

Ainsi, s’agissant des relations entres loups, bergers et brebis, Morizot affirme : “on voit à quel point l’alternative habituelle, à savoir stigmatiser le pastoralisme en bloc comme s’il était l’ennemi de la biodiversité, ou l’adouber en bloc comme s’il était le maillon essentiel de la préservation des paysages, ne tient pas : tout dépend des pratiques, et il faut penser une transformation de l’usage pastoral des territoires, qui aille dans le sens d’une protection accrue des prairies, des loups et du métier lui-même (…) les parcours techniques qui protègent le mieux les milieux sont aussi ceux qui protègent le mieux les brebis des loups, et des brebis protégées impliquent moins de politiques réactives de destructions des loups, qui sont le pis-aller lorsque la protection active au troupeau n’est pas un succès”. Dans le même genre, l’alliance entre abeilles et apiculteurs consiste une diplomatie entre d’un côté l’agrobusiness et ses “exigences” de rendement, et de l’autre la biodiversité sauvage du milieu (microfaune des sols et pollinisateurs en général), qui pâtit de l’extractivisme”.

Un livre politique ?

Avec ses concepts d’attention au vivant et de crise de la sensibilité, un militant écologiste pourrait facilement reprocher à Morizot de dépolitiser l’écologie.

Certes, le propos de Morizot n’est pas directement politique. On l’a dit, l’auteur est hostile aux repères moraux simplistes et systématiques :  on ne trouvera donc pas dans son livre une défense du véganisme contre les carnivores, ni une apologie de l’égalitarisme entre tous les vivants (quelle égalité entre vous et les bactéries de votre système digestif ?), pas plus qu’un désir de retour à l’animisme de la “nature sacrée” ou même une critique de la chasse. De plus, il critique l’antispécisme comme réducteur, car fondé sur le concept de “personne sentiente” et donc rejouant selon lui le dualisme sacré/profane : les animaux sentients devraient être considérés moralement comme des humains, tandis que ceux qui ne sont pas personnifiés (les milieux, les végétaux, les animaux non sentients), sont voués à rester de la “nature-ressource”.

Selon lui, il n’est pas interdit d’exploiter un milieu, mais “plus vous exploitez un milieu, plus vous lui devez d’égards, plus vous prenez à la terre, plus il faut lui restituer”. Les non-modernes aussi “tuent, mangent, chassent, rusent, exploitent, cueillent, mais aussi sèment, récoltent leur sacré”. Cependant leurs relations avec le vivant ne sont jamais dépourvues d’égards, égards que la modernité perçoit comme infantiles et irrationnels.

Pour autant le livre de Morizot n’est pas apolitique : l’auteur a bien un adversaire politique, ce qu’il nomme l’extractivisme moderne, où la “Nature” n’est perçue que comme entité abstraite, matériau exploitable, au mieux un environnement dont le but unique est de satisfaire les besoins de l’homme, dont éventuellement on soustrait quelques minuscules parcelles (espèces protégées, réserves naturelles), tout en ne changeant rien à notre conception globale des autres êtres vivants.

Pour y remédier, la sensibilité au vivant est une étape cruciale, mais il faut ensuite “politiser l’émerveillement, en faire le vecteur de luttes concrètes pour défendre le tissu du vivant, contre tout ce qui le dévitalise. (…) Sans cette joie vécue et sensible à l’idée de l’existence du vivant en nous et hors de nous, comment lutter contre les puissances mortifères des lobbys du pétrole et de l’agrobusiness ? Pour s’engager, nous avons besoin de l’indignation pour armer l’amour, mais nous avons besoin de l’amour du vivant pour maintenir à flot l’énergie, et savoir quel monde défendre”. Ainsi, il ne faut dénier ni la lutte radicale comme une immaturité romantique (on rappellera à cette occasion que Morizot est l’un des fondateurs des Soulèvements de la Terre), ni la négociation comme une compromission avec le “système”, mais bien “articuler de manière organisée, avec des cibles appropriées, la négociation et la lutte”.

Tout ceci étant dit, cela reste fort vague dès qu’on voudrait le traduire en décision politique plus concrète : clairement, Manières d’être vivant n’est pas un essai politique ni un pamphlet militant ! mais bien un livre de philosophie de l’écologie. Ainsi on peut questionner le livre par ses non-dits, c’est-à-dire les questions politico-économiques très sous-jacentes, mais que le livre n’évoque pas, ou très peu. Non pas qu’on demande à un philosophe d’être en même temps économiste, agronome, démographe, climatologue, mais du moins, sans doute, d’avoir une idée des questionnements (ouverts) qu’impliquent ses positions d’un point de vue strictement collectif, commun, donc politique. Car le barbouillement moral est bien compréhensible dans une observation, à petite échelle, d’un milieu tel que le pastoralisme, ou le pistage d’une meute de loups. Mais tout le monde ne peut être berger, ni pister des loups. Comment traduire cela en politique, où “gouverner c’est choisir” (Mendès-France) ? Par exemple : comment traduire la notion d’égards ajustés en décisions politiques ? peut-on nourrir le monde avec de l’agroécologie ? Si oui comment ? Si non faut-il revenir à Malthus ?  La sensibilité au vivant peut-elle s’apprendre à l’école ? Peut-elle quelque chose contre la crise climatique, qui est globale ? Comment traiter politiquement l’urbanisation croissante où la plupart des humains vivent dans des villes de béton sans relations directes avec d’autres vivants qu’eux-mêmes ? Les Gilets jaunes s’opposaient en premier lieu à une taxe sur les émissions de carbone : fin du mois contre fin du monde ? Etc.

Ce n’est qu’en toute fin d’ouvrage que Morizot évoque, timidement et trop rapidement, le fait que la notion d’égards ajustés ait des implications politiques plus directes, puisqu’on peut la traduire en normes politico-juridiques avec une gradation allant par exemple de l’interdiction totale d’exploiter en laissant un milieu en libre évolution, à une exploitation “raisonnée”, mais ce point crucial (qu’est-ce qu’une exploitation raisonnée, par exemple, à quel moment une ferme passe dans la logique dénoncée de l’agrobusiness) est très peu développé.