Des propositions pour l’Ecole (1/5) : au primaire

J’ai déjà écrit quelques articles sur l’école (5, pour être exact). Tout d’abord, un résumé succinct.

Dans ces articles, j’ai rappelé que l’école devait à la fois transmettre des valeurs et transmettre des connaissances. Ces deux objectifs vont de pair. Cependant, la transmission de valeurs doit être, selon moi, subordonnée à la transmission des savoirs et non l’inverse. Car des valeurs et des normes, l’école n’est pas la seule à en transmettre. Avant elle, il y a la famille ; l’école la complète, mais  ne s’y substitue pas. Par contre, personne ne peut remplacer son rôle dans la transmission de connaissances. Ceci ne vaut pas, cependant, pour les valeurs scientifiques (esprit critique, rigueur, curiosité intellectuelle) dont l’école doit faire sa priorité. Sans ces valeurs, les connaissances ne sont que du bourrage de crâne.

L’école peut former à l’apprentissage de la démocratie mais ne peut pas, en tant quel tel, être une démocratie. La culture des élèves n’est pas équivalente à la culture des professeurs ; ces derniers savent des choses que les élèves, par définition, ne savent pas. Ils sont là pour apprendre. Modèle constructiviste (l’apprentissage part des élèves) et modèle transmissif/magistral (l’apprentissage part du professeur) ne sont pas opposés mais complémentaires. En règle générale, il faut privilégier le modèle constructiviste mais sans exclure le modèle magistral, qui reste pertinent dans certaines situations.

Je ferai dans cette nouvelle série d’articles des propositions pour l’école. Je ne prétends pas être révolutionnaire, mais présenter des petites choses, des principes, des éléments qui peuvent être améliorés, des débats en cours qui concernent ce si important sujet. Je commencerai par le primaire, puis j’analyserai le collège, le lycée et les études supérieures. J’évoquerai aussi la situation des enseignants, et d’autres sujets scolaires.

A l’école primaire

La progression du plus simple au plus complexe est un élément fondamental d’éducation. La temporalité en fait partie. Aborder des choses trop complexes, trop tôt, et l’esprit de l’enfant s’embrouille, les connaissances se mélangent, les bases ne sont pas acquises.

Pas un seul enseignant, pas un seul professeur ne peut aujourd’hui contester que le niveau moyen des élèves en français et en mathématiques est faible à l’entrée au collège, et baisse. En 2008 aux évaluations nationales destinées à mesurer les acquis des élèves en mathématiques en fin de collège : 15 % d’entre eux connaissent des difficultés sévères ou très sévères, 25 % des acquis fragiles (Rapport du Haut Conseil à l’Éducation, 2010). En 2011, une note d’évaluation du Ministère résume : « Environ un tiers des élèves ont des performances qui permettent de considérer qu’ils maîtrisent de façon satisfaisante les compétences attendues par les programmes de l’école primaire – ils sont capables d’exploiter les informations d’un texte pour en dégager le sens et l’interpréter avec finesse, d’en faire un résumé ou une synthèse. À l’opposé, 15 % sont en difficulté, voire en grande difficulté pour 3 % d’entre-eux, et on peut considérer que ces élèves ne maîtrisent pas – ou très mal – les compétences qui seraient nécessaires à l’entrée en sixième. Ils sont capables de prélever dans un texte des informations facilement repérables, données explicitement, mais sont en difficulté face à des tâches plus complexes. Les 3 % des élèves (11 % en zones prioritaires) en grande difficulté peuvent répondre ponctuellement à quelques questions, mais ne maîtrisent aucune des compétences attendues en fin d’école primaire. Entre les deux, un peu plus de la moitié des élèves ne maîtrisent certainement pas toutes les compétences attendues par les programmes, mais devraient pouvoir profiter de l’enseignement du collège. Cependant leurs performances révèlent des compétences mal assurées, donc fragiles : ils ont du mal à percevoir et exploiter tous les aspects d’un texte, et sont mis en difficulté par des textes qui exigent une lecture suivie. »

Or, quand un élève arrive en sixième avec de grandes difficultés en lecture et en écriture, c’est déjà trop tard, car le collège,  dont le modèle est en grande partie calqué sur le lycée, est mal adapté pour l’aider correctement. A tel point que le sociologue Jean-Pierre Terraille commente : « Pour l’essentiel, si l’on préfère, les futures sorties du système sont préfigurées dès la fin du primaire : les 30% de meilleurs élèves obtiendront un bac général à l’âge normal ; les 15% les plus en difficulté, à l’autre pôle, fourniront les sorties sans diplôme ; dans l’entre-deux, la moitié des meilleurs pourra décrocher un bac professionnel, technologique ou un bac général obtenu avec retard, l’autre moitié se contentant des filières professionnelles et des premiers niveaux de diplôme. La force prédictrice des apprentissages élémentaires est telle que, à partir du collège, une grande part de la fameuse corrélation entre l’origine sociale et les performances scolaires a disparu : celles-ci dépendent de plus en plus exclusivement de la qualité des acquisitions antérieures ». L’essentiel des problèmes ultérieurs se jouent donc au primaire.

En conséquence, la priorité absolue du primaire doit être la maîtrise de la langue française, à l’écrit comme à l’oral, et de la numération. A l’heure actuelle, en CP et CE1, 50% du temps scolaire est consacré au français et aux maths, dont 40% au français. On pourrait envisager de passer à 60%, dont 50% de français, soit environ 80 heures par an supplémentaires (2h par semaine), prises sur les langues vivantes, les arts ou la “découverte du monde”. Je pense en particulier qu’en CP/CE1, consacrer 1h30 par semaine à l’apprentissage d’une autre langue que le français est précoce. Avant de maîtriser une autre langue il faut maîtriser la sienne. En CE2/CM, l’horaire hebdomadaire du français tombe à 8h. On pourrait, là encore, envisager de maintenir un volume hebdomadaire de 10h, en piochant des heures à la technologie ou aux pratiques artistiques.

Une autre solution, complémentaire ou substituable à  la première, peut être de développer dans les quartiers défavorisés les cours du soirs en français et en maths, particulièrement pour les familles défavorisées, qui ne peuvent pas toujours récupérer leurs enfants à la sortie de la classe. On peut très bien imaginer un système analogue à celui du recrutement des surveillants dans le secondaire, pour trouver des étudiants en lettre (ou autre chose, d’ailleurs….) motivés. Si cela existe déjà, il faut le développer.

Attention aussi, au primaire, aux “initiations à la philosophie”. Quelques heures par an, au maximum, “d’interrogations philosophiques” avec les enfants n’est pas dénué d’intérêt, mais à condition que la langue soit maîtrisée (à partir du CM, pas avant). Le raisonnement philosophique et épistémologique suppose de maîtriser la langue, ce qui est, hélas, loin d’être le cas à la sortie du primaire. Priorité aux fondamentaux.

Le même regard peut être porté sur le numérique. Sans aller jusqu’à l’exclure complètement, l’initiation à l’outil informatique devrait être judicieusement dosée. Aujourd’hui on commence l’informatique dès le CP, ce qui me semble trop tôt. Même chose pour les outils que sont les TBI et autres tablettes dans les classes. En soi, le TBI peut être un outil pour l’instituteur, mais nécessite beaucoup de temps et une formation pour en exploiter véritablement les possibilités ; surtout, il y a le risque de vampiriser l’attention des élèves via des écrans, avec à termes des effets néfastes sur la concentration et l’apprentissage.

La méthode d’enseignement, de même, devra être simple, structurée, accessible à tous. En français, la méthode syllabique. En histoire-géo, une approche chronologique. Le meilleur moyen de multiplier des inégalités scolaires ancrées dès le primaire est de multiplier les méthodes originales, subtiles, qui ne profiteront, de fait, qu’aux meilleurs élèves (donc à ceux qui ont des parents derrière eux). Ainsi de la méthode globale de lecture, condamnée par la plupart des études sur le sujet, et de l’approche thématique en histoire, qui n’est accessible qu’à partir d’un certain niveau de raisonnement (et certainement pas au CE).

Une autre priorité de l’école sera la transmission des valeurs citoyennes de base : politesse, propreté, respect de l’autre et des lois. Notons que c’est déjà le cas, l’instruction morale commençant dès le CP. On sait que l’éducation se fait tôt. Apprendre à un enfant de 8 ans qui n’a jamais appris à respecter les autres ou demander avec politesse ce qu’il veut est une tâche extrêmement ardue.

Tout ceci implique sans doute plus de moyens pour le primaire, et c’est un acquis de la sociologie de l’éducation que de montrer que si l’on veut agir sur le système scolaire, il faut le faire très tôt. Deux instituteurs par classe dans les zones très difficiles peuvent être parfois nécessaires ; en tout cas, l’idée n’est pas mauvaise.

3 réflexions sur “Des propositions pour l’Ecole (1/5) : au primaire

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