Au collège
Le grand débat autour du collège en France, c’est le collège unique, instauré par la loi de 1975. Le terme “unique” renvoie au fait que le tronc commun est identique pour tous les élèves. En France, il n’est pas possible (théoriquement) de s’orienter vers une filière professionnelle avant la fin de la troisième, à 15 ans. A 11 ans lors de la fin du primaire, il n’existe pas d’autre filières qu’une sixième dans un collège.
Les critiques du collège unique expliquent que ce dernier maintient au collège des élèves qui s’y ennuient voire perturbent les cours et qui ne poursuivront pas, de toute façon, au lycée. En les “forçant” à rester au collège, on leur prépare une carrière scolaire faite d’échecs récurrents, de non-maîtrise des bases, d’échec aux examens (à commencer par le brevet : ne pas oublier qu’un quart des enfants de milieux ouvriers y échouent), etc. Il faudrait alors, selon ces critiques, revenir à un système de filières (plus) précoces pour favoriser l’épanouissement et la réussite des élèves plus “manuels” ou “techniques”.
Le collège a d’autant plus de mal à trouver son identité qu’il est tiraillé entre des objectifs apparemment contradictoires : on lui demande de concilier une logique égalitaire, à savoir donner une culture commune à l’ensemble d’une classe d’âge, et une logique sélective, dégager des élites d’excellence pour la seule voie générale. Rapport du Haut Conseil à l’Éducation, 2010
Notons en préambule que le collège unique n’est pas si unique que ça, comme le notent les sociologues : les disparités importantes entre établissements et les choix des familles font que les meilleurs collèges et les moins bons ne vivent pas dans le même monde. Il existe, de plus, des options ou des filières spécifiques qui permettent une orientation professionnelle ou pré-professionnelle bien avant 15 ans. On peut prendre l’exemple des MFR (Maison familiales et rurales), qui proposent, sous l’égide du Ministère de l’Agriculture, des formations agricoles en alternance accessibles dès la fin de la cinquième. Elles concernent plus de 50 000 élèves !
Par ailleurs, il n’est pas question de remettre en question la démocratisation scolaire : aujourd’hui, la totalité d’une classe d’âge entre en sixième, ce qui n’était le cas que d’un élève sur deux en 1960. La démocratisation a amélioré le niveau éducatif de la population et apporté un surcroît de salaire aux nouveaux diplômés, comme le montre nombre d’études (notamment celle de Maurin en 2007).
Toute la question est donc de savoir à partir de quel âge il est pertinent de permettre aux élèves de quitter la voie “traditionnelle” qui mène au lycée. 18 ans ? 16 ans ? 14 ans ? moins ? Trop tôt, c’est prendre le risque d’accroître les inégalités entre élèves : les moins bons (souvent socialement défavorisés) seront évacués du système dans les “voies de garage”, c’est-à-dire les études manuelles ou professionnelles qui sont souvent méprisées en France. Ils n’accéderont peu ou pas à cette culture générale commune qui fait d’eux des citoyens à part entière. D’un point de vue purement pratique, demander à un élève de onze ans s’il veut faire plombier, avocat ou policier et lui imposer de choisir une filière en fonction de sa réponse est, de toute évidence, trop précoce. Trop tard, c’est créer d’énormes difficultés pratiques pour gérer des élèves totalement inadaptés à l’univers scolaire : élèves violents, incapables de rédiger un paragraphe argumenté, illettrés, bref, élèves “pas au niveau” dont les enseignants voudraient bien se débarrasser. Le rapport du Haut Conseil à l’Éducation (2010) le souligne clairement : “La suppression des filières [post-primaire] conduit l’institution à concevoir et à mettre en place de multiples dispositifs pédagogiques destinés à prendre en charge la difficulté scolaire : soutien alloué aux classes de sixième et de cinquième et modulation de la taille des groupes (dès 1977), tutorat (à partir de 1983), aide au travail personnel (à partir de 1984), programme personnalisé de réussite éducative (PPRE, depuis 2005), accompagnement éducatif (depuis 2007). Ce dernier dispositif, d’abord réservé aux collèges de l’éducation prioritaire, a été étendu à tous les collèges en 2008”.
Réintroduire des filières professionnelles dès la fin du CM2 serait sans doute une erreur. Les pays germaniques (Allemagne, Pays-bas, Luxembourg, Autriche,…) ont ce genre de système de sélection précoce (entre 10 et 12 ans) et ils n’obtiennent pas les meilleurs résultats au classement PISA. De plus, l’introduction du socle commun de connaissances et de compétences me semble une bonne chose. Ce socle stipule les connaissances minimales que tout sortant de collège doit maîtriser. Les programmes au collège se calquent sur ce socle. Mais vouloir maintenir le principe du collège unique n’interdit pas de penser des réformes. Il y a un travail à faire, notamment, sur la transition CM2-6ème. Le collège est calqué sur le lycée avec les mêmes disciplines (SES et philosophie mises à part). Un sortant de CM2 passe du jour au lendemain d’un seul enseignant à une équipe de plusieurs professeurs, d’une approche pluridisciplinaire à une approche spécialisée, d’une petite salle de classe avec « la » maîtresse à des grands couloirs vides aux dizaines de salles de cours !
Il y a là plusieurs pistes de réflexion : sur les regroupements collèges/lycées, par exemple. On peut penser spontanément que ce regroupement est une mauvaise chose car il tend à créer des établissements géants (donc nécessitant davantage d’adaptations pour les sortants du primaire), et à calquer davantage le collège sur son “grand frère”. Ceci étant, il existe des arguments pour penser que les établissements regroupés (parfois de la sixième aux classes prépas) ont les meilleurs résultats, car l’établissement peut créer une vraie culture commune, une cohérence éducative, chaque niveau tirant le niveau inférieur vers le haut. D’autres éléments peuvent être discutés : interdire à un enseignant de pouvoir exercer en même temps au collège et au lycée, ce qui n’empêche pas de le faire successivement ; travailler sur une formation spécifique pour les enseignants de collège ; rendre obligatoire une demi-journée (ou une journée) d’immersion des élèves de primaire dans leur futur collège ; développer au collège les internats d’excellence…
Un point me semble absolument essentiel :
La formation initiale et le concours de recrutement des futurs enseignants devraient comporter des dominantes ou des mentions (maternelle, élémentaire, collège, lycée général et technologique, lycée professionnel), sans exclure les passerelles entre les différents niveaux. Certains professeurs de collège pourraient enseigner plusieurs disciplines, leur polyvalence permettant de faciliter la transition entre l’école primaire et le collège ; la pluridisciplinarité des enseignants au niveau comparable à celui du collège est d’ailleurs la règle dans une majorité de pays européens. Haut Conseil à l’Éducation
Il y a aussi à faire sur la gestion de l’échec scolaire (et donc de l’hétérogénéité) au collège. La France gère la difficulté scolaire par le recours (massif) au redoublement, cher et souvent inefficace. Près d’un tiers des élèves ont redoublé au moins une fois au collège, c’est le score le plus élevé de l’OCDE. Interdire le redoublement ou le limiter, pourquoi pas, mais sans proposer d’autres solutions aux enseignants, cela revient à interdire l’usage de l’eau dans un incendie.
Sur ce sujet, la différenciation pédagogique, sur le modèle anglo-saxon, constitue une solution. Il ne s’agit pas de multiplier des formations pour apprendre aux enseignants à moduler leur cours selon le niveau de leurs élèves ; une telle approche est légitime mais ne peut être que limitée, un enseignant ne peut pas être partout à la fois,. Il faut par contre développer les classes de niveaux par discipline. Les classes de niveaux ont des effets négatifs comme le montrent certains chercheurs en sciences de l’éducation ; à mon avis, leurs avantages en terme de gestion de l’hétérogénéité les compensent largement. Notez d’ailleurs qu’il ne s’agit pas d’humilier un élève en le mettant dans une “classe de nuls” : un mauvais en maths peut être bon en français, et ne sera pas dans la même classe selon les disciplines. Rien n’interdit, de même, de faire changer de classe un élève qui progresse (ou régresse).
La constitution de groupes de compétences interclasses, tels qu’ils existent aujourd’hui au lycée en langues vivantes, peut s’avérer bénéfique, à condition que ces groupes ne soient pas figés et que des passerelles permettent aux élèves d’en changer en fonction de l’évolution de leurs acquis au cours de l’année. Rapport du Haut Conseil à l’Éducation
On peut aussi imaginer d’introduire (un peu) de choix des cours dès le collège. Aujourd’hui, les options sont quasi-réservés à l’entrée en seconde (et encore, 3h par semaine…). Le collège n’accorde-t-il pas trop d’importance aux disciplines qui préparent à la voie générale ? Elle n’est qu’une seule des trois possibilités du lycée ! L’enseignement technologique est le parent pauvre du collège. Cependant, si l’acquisition du français et de la numération était effective en sixième pour tous les élèves, on pourrait certes introduire davantage de cours manuels, technologiques, artistiques, sportifs au collège. Si, au contraire, les enseignants du collège passent leur temps à rattraper les lacunes en français et en maths de leurs élèves, l’idée de la diversification des cours et de l’introduction d’options paraît suicidaire…
Tu devrais rajouter un truc sur le nouveau programme dhistoire au college..
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