L’école doit-elle transmettre des valeurs ?

L’école a toujours été traversé par maints débats. Je voudrais dans cette série d’articles revenir sur quelques-uns d’entre eux.

Premier débat : l’école doit-elle transmettre des valeurs ?

Cette discussion porte sur l’objectif même de l’école. Initialement, l’école a été pensée pour servir à l’instruction, soit la transmission de connaissances. En 1932, Edouard Herriot rebaptise “l’instruction publique” “éducation nationale”. « Il explique dès sa prise de fonction qu’elle est synonyme d’égalité scolaire et de développement de la gratuité et que, en somme, qui dit « éducation nationale » dit « tronc commun ». » (education.gouv.fr)

Mais la transmission de connaissances doit-elle être la seule mission de l’école ? La loi d’orientation pour l’école de 2005, qui fixe, comme toutes les lois d’orientation, les grands axes à venir, a tranché que non. « Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. Dans l’exercice de leurs fonctions, les personnels mettent en œuvre ces valeurs », déclare l’article 2, modifiant l’article L-111-1 du code de l’éducation.

Il s’agissait ainsi de rendre explicite ce qui était déjà implicite. Qu’on le veuille ou non, l’école transmet des valeurs. Au quotidien, par les interactions avec ses élèves, par l’attitude qu’il adopte, par les projets qu’il forme (ou non), le professeur contribue de fait à transmettre des valeurs à sa classe. En tant qu’adulte référent (et souvent seul adulte, face à ses élèves, plusieurs heures par semaine) il incarne de fait une autorité morale et transmet certaines valeurs.  S’il ne faut pas exagérer l’autorité morale du professeur, qui n’est plus ce qu’elle était, et n’a de toute façon jamais concurrencé celle des parents, on ne peut la tenir inexistante pour autant. En termes sociologiques, par le simple fait d’être une structure où des enfants, puis des adolescents, passent une bonne partie de leur semaine, l’école est une instance de socialisation, qu’elle le veuille ou non.  Dans ce cas, autant accepter la réalité et fixer explicitement comme objectif aux professeurs de transmettre des valeurs.

Mais la formulation de la loi d’orientation, on s’en doute, est loin de clore le débat. D’une part, parce que dire que l’école doit, “outre la transmission de connaissances”, faire “partager aux élèves les valeurs de la République” ne dit rien, ni de la hiérarchie de ses deux objectifs, ni des valeurs qu’on souhaite transmettre. La formule adoptée maintient d’ailleurs cette ambigüité : la “transmission de connaissances” apparaît avant “les valeurs de la République” mais cet objectif est qualifié de “mission première”.

7 réflexions sur “L’école doit-elle transmettre des valeurs ?

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  2. « Dans ce cas, autant accepter la réalité et fixer explicitement comme objectif aux professeurs de transmettre des valeurs »

    Je me permets d’exprimer mon désaccord avec cette affirmation. En effet, si la transmission de valeurs devient l’un des objectifs de l’école, il reste à définir :

    – quelles sont les valeurs que l’on veut transmettre ? Ce qui revient à définir une sorte de hiérarchie entre les bonnes et moins bonnes valeurs … Vaste programme ! Et qui promet des soirées difficiles aux commissions chargées d’établir justement les programmes.

    – quelles sont les missions prioritaires qui sont confiées aux enseignants ? qui de l’instruction (transmission de savoirs) ou de l’éducation (transmission de valeurs) doit primer sur l’autre ? Comment en outre, intervenir sur un enseignement manifestement exagérément partial dans les valeurs qu’il enseigne ? De quels contrôles et de quels contre-pouvoirs les parents et l’académie disposent-ils ?

    Il me semble qu’il est bon que les professeurs restent des autorités chargées d’enseigner les faits de façon impartiale. C’est d’ailleurs cette impartialité qui fait le fondement de leur autorité. A partir du moment où ils exercent cette autorité à des fins d’embrigadement, c’est à dire en voulant inculquer certaines valeurs au détriment de certaines autres, ils perdent la légitimité de leur autorité et les parents devraient être autorisés à retirer leurs enfants de leur influence.

    C’est d’ailleurs parce que les parents sont et doivent rester les premiers éducateurs de leurs enfants que les professeurs ne peuvent exercer leur profession que dans la stricte observation des programmes et que ces programmes sont établis par des commissions qui devraient être neutres.

    • il reste à définir :

      – quelles sont les valeurs que l’on veut transmettre ? Ce qui revient à définir une sorte de hiérarchie entre les bonnes et moins bonnes valeurs … Vaste programme ! Et qui promet des soirées difficiles aux commissions chargées d’établir justement les programmes.

      C’est l’objet des articles suivants…

      – quelles sont les missions prioritaires qui sont confiées aux enseignants ? qui de l’instruction (transmission de savoirs) ou de l’éducation (transmission de valeurs) doit primer sur l’autre ?

      Toute la question est là, à supposer que valeurs et savoirs doivent être opposés.

      Il me semble qu’il est bon que les professeurs restent des autorités chargées d’enseigner les faits de façon impartiale. C’est d’ailleurs cette impartialité qui fait le fondement de leur autorité. A partir du moment où ils exercent cette autorité à des fins d’embrigadement, c’est à dire en voulant inculquer certaines valeurs au détriment de certaines autres, ils perdent la légitimité de leur autorité et les parents devraient être autorisés à retirer leurs enfants de leur influence.

      Vous assimilez rapidement transmission de valeurs et embrigadement… et s’il s’agissait d’une ouverture ? l’égalité entre les garçons et les filles est-elle un embrigadement ?

      C’est d’ailleurs parce que les parents sont et doivent rester les premiers éducateurs de leurs enfants que les professeurs ne peuvent exercer leur profession que dans la stricte observation des programmes et que ces programmes sont établis par des commissions qui devraient être neutres.

      cf. citation de Duru-Bellat. Quant à la neutralité des programmes… c’est une vaste question.

  3. La transmission de valeurs nécessite de sélectionner les valeurs que l’on va transmettre. Les autres… au mieux on n’en parle pas, au pire on les combats.
    La sélection des valeurs oriente donc nécessairement vers une vision de la société. Il s’agit donc d’embrigadement, oui.

    Avoir une vision de la société est bien. Vouloir convaincre que cette vision est juste, est également légitime. Vouloir l’imposer aux enfants en se servant de l’école rejoint les vieux rêves utopistes des régimes totalitaires. Ce faisant, on appauvrit considérablement la réflexion puisqu’une approche est proposée.

    Ainsi lorsque Peillon dit que l’école vise à arracher les enfants à tous les déterminismes pour en faire des citoyens libres, il ne propose rien de moins que les enfants n’aient plus qu’une seule vision de la société : la sienne. Il s’agit non seulement d’embrigadement, mais même presque de lavage de cerveaux.

    Quant à votre question sur les valeurs d’ouverture, elle rejoint la mienne sur les valeurs à enseigner. Quelles sont-elles ? Comment les définir ? En particulier, l’égalité entre les garçons et les filles est un sujet sur lequel nous pouvons facilement tomber d’accord. Mais que sous-tend cette égalité ? Est-ce une égalité des droits devant la loi, auquel cas je consens, ou est-ce une égalité qui nie les différences ? En quoi par exemple l’ABCD de l’égalité permet-il d’œuvrer dans le sens d’une égalité de droit ?
    Vous l’aurez compris, même si nous sommes d’accord sur une valeur, la définition de celle-ci et les moyens qui peuvent être mis en œuvre dépendent fortement de l’angle idéologique avec lequel on l’aborde. Il s’agit donc toujours d’embrigadement.

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