
Le libéralisme peut-il être de gauche ?
La gauche, la droite et le marché (2017) est un livre étonnant. Ecrit par un économiste, il s’agit davantage d’un livre d’histoire des idées économiques et politiques, très riche de références et servi par une plume d’une grande clarté.
Le livre s’ouvre sur un étonnement : en 2014, l’un des volets de la loi Macron consistait à augmenter la concurrence dans les professions réglementées comme les huissiers, les avoués ou les notaires. Que les intéressés s’opposassent à une loi limitant un monopole qui leur garantissait des revenus moyens de 20 000€ par mois n’étonnera personne ; que la droite, par intérêt calculé pour son électorat, contestât une (timide) ouverture à la concurrence est également compréhensible ; mais la gauche ?
Comment expliquer la difficulté d’un gouvernement de gauche à remettre en cause les privilèges aussi exorbitants d’une profession par ailleurs acquise à la droite ? (p. 9)
Partons d’une théorie politique simple, voire naïve : la gauche présente un biais en faveur de l’égalité et la droite en faveur de la propriété. Dès lors, il est peu étonnant que la gauche soutienne des mesures anti-concurrentielles lorsqu’elles semblent aller dans le sens de l’égalité, par exemple en réglementant les loyers, car chacun sait que les propriétaires sont généralement plus riches que les locataires. Mais comment expliquer qu’elle soutienne aussi, activement ou passivement, des mesures anti-concurrentielles qui, cette fois, semblent clairement aller dans un sens contraire à l’égalité ? De la loi Royer qui limite la concurrence dans la grande distribution à la loi sur le prix unique du livre qui limite celle entre Amazon et la FNAC, en passant par les notaires (notablement de grands bourgeois de droite), les taxis (la famille Rousselet possède les taxis G7 : 10 000 licences), la liste est longue des mesures anti-redistributives que la gauche a soutenu, ou n’a pas contesté.
La concurrence peut-elle être de gauche ? Ou, ce qui est une autre façon de poser la question : peut-il exister un libéralisme de gauche ? C’est tout l’objet du livre de Spector. Loin de se contenter d’une réflexion théorique de philosophie politique, Spector prend le parti de faire une étude comparative approfondie des débats économiques et politiques sur le thème de la concurrence en Angleterre, en France, aux Etats-Unis et (un peu) en Allemagne depuis le début du XIXème siècle. On passe successivement des débats anglais sur l’assistance aux pauvres (Poor Laws Amendment Act en 1831) à ceux sur le protectionnisme et ce qu’on appelait pas encore la mondialisation (abolition des Corn Laws en 1841), des réflexions des parlementaires français sur la misère ouvrière aux critiques durkheimiennes de l’économie en passant par l’affrontement entre les socialistes et les libéraux, le Liberal Party en Angleterre, le rôle des syndicats ou les débats de la troisième République sur l’interdiction des ententes commerciales.
Indépendamment de la quantité et la qualité exceptionnelle des archives mobilisées, Spector est particulièrement doué pour retracer en parallèle l’évolution intellectuelle d’une discipline (l’économie) et l’évolution des débats politico-économiques en France, en Angleterre et aux Etats-Unis. On se retrouve avec un livre qui est fondamentalement historique, mais également économique (les démonstrations économiques sont bien présentées, sans aucun recours à la formalisation mathématique) et aussi épistémologique (comment l’économie s’est-elle constituée en tant que science ?).
La tradition anglaise de libéralisme de gauche
Spector montre de façon claire que l’Angleterre a une tradition de libéralisme de gauche qui remonte en particulier à John Stuart Mill (1806-1873). Malgré des parenthèses plus protectionnistes (notamment pendant les deux guerres mondiales), cette tradition intellectuelle et politique est bien ancrée en Angleterre et le demeure encore aujourd’hui. Dans cette perspective, le marché et ses lois d’offre et de demande est perçu comme une bonne façon de faire émerger et diffuser les informations économiques, et notamment la plus cruciale d’entre elle (le prix) en coordonnant les actions de millions d’individus qui ne se connaissent pas. La concurrence et la compétition économique y est acceptée comme un principe sain qui fait baisser les prix et encourage l’innovation. Cependant, nourrie par l’observation et sensible à la question égalitaire (Mill est profondément de gauche, notamment à la fin de sa vie), cette tendance se concilie avec la défense d’une fiscalité progressive, de l’intervention de l’Etat dans l’économie voire de la nationalisation de certains secteurs (r)entiers : au XIXème siècle, ce sera les débats sur la nationalisation de la terre contre les grands Lords, propriétaires terriens qui s’accaparent une richesse sans rien faire au détriment des ouvriers (théorie ricardienne de la rente) ; après-guerre, l’Angleterre créé le NHS en nationalisant entièrement le secteur de la santé.
Les Etats-Unis suivront l’Angleterre et maintiennent encore aujourd’hui une tradition vivace de libéralisme de gauche, représentée notamment par les Démocrates (ou, en économie, par un Paul Krugman). Spector montre notamment que les lois antitrusts sont appliquées plus fortement aux Etats-Unis lorsque les Démocrates sont au pouvoir.
Défendre le capitalisme, pas les capitalistes
On peut citer ici la formule percutante de Rajan et Zingales que Spector reprend à son compte : le libéralisme de gauche est favorable au marché et à la concurrence comme principe, mais il n’est pas favorable en soi aux entreprises, encore moins aux rentiers. Autrement dit, il s’agit de défendre le capitalisme, pas les capitalistes. En effet, cette tradition politique va soutenir une forte intervention de l’Etat pour défendre la concurrence et limiter les monopoles : le récit que fait Spector de la diffusion du libéralisme de gauche et de l’adoption de très strictes lois antitrusts aux Etats-Unis au tournant du XXème siècle est particulièrement éclairant. L’exemple le plus connu est certainement la Standard Oil, qui détient à son apogée un monopole sur la quasi-totalité du pétrole extrait et transporté aux Etats-Unis (son fondateur, John Rockefeller, est considéré comme l’homme le plus riche de tous les temps, inflation déduite) : elle est démantelée et divisée en 34 sociétés différentes en 1911 en application des lois concurrentielles américaines. Comme la tendance historique des entreprises est toujours de chercher à éviter et limiter la concurrence plutôt que l’affronter :
Les politiques publiques devraient donc lutter en permanence contre l’anticapitalisme des capitalistes et promouvoir les mécanismes de marché contre les intérêts dominants – qu’il s’agisse des propriétaires fonciers anglais en 1840 ou des entreprises dominantes du XXIème siècle (p. 26).
A l’inverse du beaucoup plus connu libéralisme de droite (représenté par Reagan aux Etats-Unis et Thatcher en Grande-Bretagne), la tradition du libéralisme de gauche est donc favorable à l’intervention de l’Etat, mais cette intervention doit éviter au maximum d’interférer dans les processus d’ajustement entre l’offre et la demande, sauf dans un nombre limité de secteurs, pour répondre à une défaillance de marché bien identifiée (externalités, asymétries d’informations notamment). Les libéraux de gauche vont très souvent préférer par exemple taxer un comportement (fumer, émettre du Co2, vendre son entreprise) que de l’interdire ou le normer car la taxe se contente de modifier le signal-prix pour les agents, sans transférer la décision de produire ou de consommer à un pouvoir central et sans perturber la rencontre entre l’offre et la demande.
Pour lutter contre la pollution urbaine, on peut ici facilement comparer la politique d’une ville comme Londres, qui a mis en place (dès 2003) une taxe de circulation dans les zones de « congestion de charge » (T-charge) et Paris, qui a choisi un système administratif arbitraire de plaques paires et impaires. Il est facile de comprendre que le système britannique laisse les agents libres d’estimer eux-mêmes si l’utilité procuré par leur déplacement est supérieure ou non au coût de la taxe : la pollution est « internalisée » par la modification du prix du déplacement, mais n’entrave pas les décisions individuelles. A l’inverse, le système français fait reposer la possibilité de se déplacer en cas de forte pollution sur un hasard administratif parfaitement arbitraire qui est le numéro de plaque d’immatriculation. Les effets pervers (trafic de plaques) voire contre productifs (posséder plusieurs véhicules de différents numéros) sont évidents.
Le libéralisme de gauche ne s’oppose pas systématiquement aux ententes et aux regroupements d’entreprises lorsqu’en présence d’économies d’échelles, une amélioration de l’efficacité productive est clairement possible, mais il reste méfiant envers les monopoles et soutient une vigoureuse politique anticoncurrentielle. On retrouve aujourd’hui ces débats sur la politique industrielle européenne dans cet excellent résumé de Charles Wyploz : Retour de la politique industrielle (2019).
Pourquoi la France est-elle si hostile aux mécanismes de marché ?
Comme le montre Spector, la France a également une très ancienne tradition de libéralisme de gauche que l’on peut faire remontrer à la Révolution (avec l’interdiction des corporations en 1791), et dont le plus éminent représentant au XIXème est certainement Léon Walras ; malgré tout, celle-ci reste minoritaire et la tradition de méfiance envers le marché domine, à gauche comme à droite. Bien que la droite soit abordée, Spector s’intéresse surtout à la gauche, car la tradition de droite de défense des entreprises (et donc d’une certaine limitation de la concurrence) n’est pas nouvelle et ne prête pas à incohérence : elle repose tantôt sur une défense bourgeoise des intérêts des possédants, tantôt sur une exaltation (d’ailleurs fausse) d’une « France des petits producteurs » ou encore sur une louange morale d’une « concurrence civilisée » face à « l’anarchie anglosaxonne ».
Mais pour comprendre pourquoi même la gauche est anticoncurrentielle en France, il faut revenir à la comparaison avec l’Angleterre. Au XIXème siècle, la tradition progressiste est déjà présente et être économiste en Angleterre n’implique pas d’être sourd à la misère ouvrière, ce qu’une longue tradition intellectuelle confirme, de Mill à Keynes. D’autre part, l’économie y est une discipline très active et en plein progrès intellectuel. Au tournant du XXème siècle, Alfred Marshall, l’« archevêque de l’économie », selon la formule de Keynes, synthétise un siècle de débats économiques avec ses Principes d’économie politique (1890), piliers de la pensée néoclassique. On y raisonne avec la méthode hypothético-déductive; on y utilise abondamment les mathématiques pour formuler les raisonnements de manière rigoureuse avec un nombre limité de variables ; des concepts comme rendement d’échelle, productivité, externalités, élasticité-prix de l’offre et de la demande, facteurs de production sont largement utilisés ; les débats politiques sur la nationalisation des trusts, la régulation de la concurrence, le soutien aux pauvres, le rôle de l’Etat y sont vifs. Enfin, le raisonnement marginaliste y est central.
Pendant ce temps, les économistes français sont à la fois médiocres intellectuellement, et presque tous conservateurs politiquement. Conservateurs, parce qu’en France, être économiste à cette époque se résume le plus souvent à être un porte-parole des patrons et des grandes entreprises, un défenseur de l’ordre établi : Spector le montre en étudiant plusieurs grandes voix de l’économie universitaire et politique en France et en retraçant les débats qui se tiennent dans les principaux journaux économiques. Ils sont hostiles aux syndicats, au salaire minimum, à la régulation du temps de travail, à tout système de retraite universel, etc. La révolution de 1848 a laissé des traces et les économistes se posent surtout comme des remparts contre le socialisme, la révolution et (bientôt) les idées marxistes. Médiocres, parce que loin du raffinement intellectuel de leurs voisins anglais, les économistes français se contentent majoritairement de faire l’apologie sans nuances de la concurrence et du capitalisme, en réservant toutes leurs critiques contre l’Etat et l’interventionnisme. De plus, l’école française est fondamentalement hostile à l’introduction des mathématiques en économie : l’économie est conçue comme un discours moral au service du patronat et de vertus conservatrices : travail, mérite et « sélection darwinienne » en quelque sorte. Un penseur comme Frédéric Bastiat (1801-1850) qui fait constamment l’apologie du marché (il est encore adulé dans les milieux libéraux aujourd’hui) est un bon exemple de cette époque. Schumpeter considérait Bastiat non comme un économiste, mais comme un « polémiste qui tourne autour des droits de propriété », « incapable de manier l’appareil analytique de l’économie ». Marx est plus sévère encore : « le représentant le plus plat de l’économie apologétique ».
Pire, les libéraux français, à rebours de leur homologues anglo-américains, s’opposent à toute politique publique de la concurrence, en vertu d’arguments soit moraux (la liberté de s’associer) soit économiquement très faibles, qui ignorent tout raisonnement marginaliste (dans un marché libre, un monopole qui pratique des prix élevés fera émerger un concurrent moins cher, donc il n’y pas lieu de s’inquiéter pour les ententes).
Ainsi, les intellectuels qui sont progressistes ou favorables à une science économique autonome et fondée sur la rigueur des mathématiques sont marginaux en France. Le meilleur exemple de cela est certainement Léon Walras (1834-1910) : son prestige intellectuel est immense dans la discipline car il y fait des apports décisifs sur l’analyse de l’équilibre de marché. Mais il cumule deux tares qui l’empêchent de trouver la moindre chaire d’économie en France : il est politiquement socialiste et défend la nationalisation des terres ; il adhère au marginalisme et développe un haut niveau de raisonnement mathématiques en économie. Walras devra s’exiler en Suisse pour enseigner l’économie.
En réaction, une grande partie de la gauche va assimiler –et pour longtemps– l’économie à une science prétentieuse, fondamentalement conservatrice, sourde aux revendications sociales et finalement inepte. Spector présente un grand nombre de sources (tracts, discours, livres) de cette époque qui en témoignent, et montre habilement que ce discours reste encore très ancré en France : le vocabulaire a un peu changé, le fond reste le même : les économistes sont « néolibéraux » et adeptes de la « religion du marché », « d’ailleurs ce n’est pas une vraie science ». Une partie de ce discours est politique : les économistes sont socialement conservateurs, la gauche doit donc s’opposer aux économistes. Une autre est épistémologique, elle provient notamment de la tradition sociologique durkheimienne : déniant toute valeur à la modélisation mathématique et au raisonnement déductif pour comprendre le monde social, cette critique assimile l’économie à un discours abstrait, incapable de décrire le réel, en tout cas trop théorique, la théorie économique étant perçue comme inutile : on peut classer dans cette catégorie les critiques railleuses de la rationalité en économie et du modèle de l’homo oeconomicus.
La confusion entre les deux discours est fréquente, et bientôt on accuse la loi de l’offre et de la demande d’être réactionnaire. Ainsi, comme l’écrit Spector en conclusion :
La croyance répandue à gauche selon laquelle les mécanismes de marché seraient intrinsèquement inégalitaires semble avoir traversé le XXème siècle ; il en va de même du statut du raisonnement économique en termes d’offre et de demande, souvent disqualifié parce qu’associé à la rhétorique conservatrice. L’appréhension de l’économie du point de vue des producteurs plutôt que des consommateurs, qui n’est pas sans rapport avec la faible diffusion de la « science économique » et dont le corollaire est une volonté de modérer la brutalité de la concurrence est un autre élément de permanence. De fait, on est parfois saisi de vertige devant la similarité de certains discours déployés contre la concurrence ou « les économistes » à la fin du XIXème siècle et aujourd’hui, ou par la répétition de certaines configurations politiques : en particulier celle qui voit converger un antilibéralisme d’idées, à gauche, et un antilibéralisme d’intérêts, à droite.
Conclusion
Non seulement la tradition française de méfiance envers les mécanismes de marché (notamment à gauche) n’est pas partagée partout en Europe, mais bien plus, cela conduit la gauche à défendre des mécanismes fondamentalement inégalitaires, comme on l’a rappelé plus haut avec l’exemple presque caricatural des notaires. La science économique, bien plus empirique qu’elle ne l’était à l’époque de Ricardo, ne se contente plus de raisonnements hypothéthico-déductifs et Spector cite de nombreuses études empiriques récentes en défense des mécanismes concurrentiels. Le consensus existe : la concurrence fait baisser les prix et augmenter les salaires réels (pouvoir d’achat) ; de nombreuses lois en France censées « soutenir les petits producteurs » ont eu l’effet inverse, notamment en réduisant la concurrence entre les grandes entreprises (loi Royer sur la taille des grandes surfaces, loi sur le prix unique du livre) avec in fine des pertes d’emplois dont certaines ont été chiffrées. Même les lois dont l’objet semble clairement égalitaire (la réglementation des loyers) présentent des effets pervers, confirmés par une abondante littérature dans un grand nombre de pays, qui peut faire douter qu’elles atteignent l’objectif affiché et ne nuisent pas in fine aux plus démunis.
L’argument selon lequel moins de concurrence entre entreprises permet d’augmenter les salaires ne tient pas si on l’étend à l’ensemble de l’économie : le surprofit récupéré par les secteurs protégés de la concurrence est perdu pour l’ensemble des consommateurs (baisse de salaires réels) ou retirés à d’autres producteurs via des barrières à l’entrée (ce que les économistes mesurent par le concept de « surplus ») ; d’autre part, rien ne garantit a priori qu’une entreprise en monopole redistribue ce surprofit à ses salariés. Au final, les données qui soutiennent qu’une plus grande concurrence entre les entreprises sur le marché des biens et services permet à la fois d’augmenter l’emploi, les revenus et la croissance sont massives et largement convergentes.
Notons que l’on parle ici du marché des biens et services. Il est intéressant de noter que ce n’est pas ce marché (pourtant insuffisamment concurrentiel) qui occupe l’essentiel des conversations et des critiques, mais le marché du travail, très particulier et très différent, accusé régulièrement (par le libéralisme de droite) d’être très rigide et peu concurrentiel (ce qui est largement faux).
Encore une fois, ces conclusions n’excluent nullement la limitation ou le contrôle de certains mécanismes de marché pour résoudre des problèmes identifiés ou réduire les inégalités ex post, en perturbant le moins possible le signal-prix ex ante. Dans certains secteurs à forte économies d’échelles, un monopole public ou la persistance d’un oligopole peut être plus efficace en matière d’innovation et d’efficacité productive que la concurrence, même si une vigoureuse politique anticoncurrentielle est nécessaire dans la plupart des secteurs. Et encore, des prix administrés peuvent être tout à fait légitimes dans certains cas. Il restent d’ailleurs largement pratiqués en France (santé, salaire minimum, livres…). On observe quoi qu’il en soit une forte différence entre la France, où la concurrence est perçue comme un outil parmi d’autres à disposition de l’Etat, et le monde anglosaxon, où la concurrence est un principe cardinal pour lequel on admet un certain nombre d’exceptions.
Comme le souligne l’économiste Béatrice Cherrier dans une série de podcast passionnante sur Milton Friedman, le système économique aujourd’hui est beaucoup plus marchand qu’il ne l’était il y a cinquante ans car les logiques marchandes se sont étendues et sont notamment beaucoup plus intégrées au fonctionnement des services de l’Etat comme la santé ou l’éducation (ce qu’on pourrait appeler le « néolibéralisme »). Mais le système économique n’est pas pour autant plus concurrentiel, bien au contraire : moteurs de recherches sur internet, sodas, maisons de retraite, … sont des marchés contrôlés par trois ou quatre entreprises à chaque fois. C’est particulièrement vrai dans le contexte d’un Capitalisme sans capital (cf. note de lecture), à forte tendance monopolistique.
Il est impossible de rendre compte dans tous ses aspects d’un livre qui traite aussi bien de la politique agricole commune que des trusts américains en passant par la construction européenne, le marché de l’électricité et les idées économiques de Jaurès. J’espère avoir suffisamment montré l’immense apport de Spector à la réflexion politique et historique sur ce thème : ne se cachant pas d’être un « libéral de gauche », Spector livre un plaidoyer pour la prise en compte des mécanismes concurrentiels là où ils sont utiles, et où la science économique peut apporter un éclairage pour améliorer la compréhension des enjeux contemporains, sans renier les aspirations égalitaires de la gauche.