A quoi sert la finance ?

le-commerce-des-promesses-le-09Je viens de terminer un excellent ouvrage d’économie, sans doute l’un des meilleurs que j’ai lu jusqu’à présent. Le commerce des promesses : petit traité de la finance moderne, est publié pour la première fois en 2001 chez Seuil, se fait remarquer en raflant le grand prix du livre de stratégie et de management (L’Expansion Management Review), connaît huit réédition et une neuvième en 2009, revue et augmentée à l’occasion de la crise, l’occasion d’obtenir le prix Turgot et le prix européen du livre d’économie. Son auteur, Pierre-Noël Giraud, que j’appellerai PNG pour simplifier, est économiste, Ecole des Mines, Polytech, Paris I et actuellement professeur au Cerna (centre d’économie industrielle, branche de l’Ecole des Mines). Le livre a été particulièrement louangé pour sa grande clarté pédagogique, parvenant à présenter sans formalisme mathématique excessif les questions les plus cruciales sur la finance et les marchés financiers.

J’abonde ces louanges, et j’en ajouterai une autre : le remarquable sens de la nuance de PNG. Il parvient à aborder des questions parfois tendues, théoriquement et politiquement, comme l’utilité de la finance, le court-termisme, réel ou supposé, des marchés, le caractère inévitable ou non des bulles, la régulation des systèmes financiers, en ne péchant ni par excès de formalisme universitaire (il garde le souci d’être concret et fait assez souvent référence à l’histoire), ni par militantisme déplacé (sa réflexion est rigoureuse et méthodique). Le « je », assez présent dans le livre, ajoute à ce sens de la nuance car il permet à PNG de dire clairement quand il s’avance sur un terrain d’opinion (« j’avance la thèse que… ») sans masquer les limites de son raisonnement. Cela confère aussi un caractère sympathique à la lecture. Je ferai un commentaire détaillé du livre et des questions qu’il soulève, en plusieurs articles. Dans ce qui suit, sauf mentions contraires, tout ce qui est entre guillemets est cité du livre.

« A quoi sert la finance ? » Répondre à cette question est l’un des objectifs du second chapitre du livre. PNG, tout au long de ce chapitre, prend l’exemple (fictif) de Benedetto Zaccaria, un commerçant génois de la fin du 13ième siècle qui cherche à vendre un stock d’alun d’Aigues-Mortes, près de Montpellier, à Bruges, dans les Flandres belges, où il est très recherché par l’industrie drapière, qui s’en sert pour fixer les teintures. Un cas tout ce qu’il y a de plus concret, de l’économie « réelle ».

Mais Zaccaria fait face à au moins trois risques différents : le risque de perte de sa marchandise en mer, lors du transport d’Aigues-Mortes à Bruges, c’est-à-dire du lieu d’achat au lieu de vente ; le risque de variation des prix, car s’il sait à combien il peut acheter la marchandise, il ne sait pas à combien il pourra la revendre deux mois plus tard (c’est le délai de transport et les prix peuvent avoir varié entre temps) ; il fait enfin face au risque de perte de l’or rapatrié de Bruges à Gênes, une fois la marchandise acheminée et vendue.

PGN, développant cet exemple sur plusieurs pages, montre comment la finance permet de couvrir tous ces risques :

– Les banques, via la fonction de prêt, permettent à Zaccaria de ne pas engager toute sa fortune et de risquer la faillite à chaque fois, dans une opération coûteuse à la rentabilité incertaine. Contre un paiement (les intérêts), Zaccaria engage la fortune d’un autre et peut exercer ses talents à bien plus grande échelle ;

– Les banques, via la fonction d’organisation du système de paiement, permettent aussi à Zaccaria de se protéger contre le risque de perte (c’est-à-dire de vol par des bandits de grand chemin) de l’or rapatrié. Il suffit aux banques d’inventer le chèque, un certificat de paiement échangeable dans différents systèmes bancaires, et l’or n’a pas à être transporté ;

– Les assurances permettent de couvrir le risque de perte de la marchandise en mer, grâce notamment à l’échange de swaps, des échanges entre un paiement fixe et un paiement variable, dépendant d’une valeur fluctuante sur le marché ;

– En mettant en concurrence à grande échelle demandeurs et offreurs de fonds prêtables, les marchés financiers permettent de trouver des moyens de financement (généralement) moins coûteux que le prêt des banques, en particulier via l’émission d’actions, c’est-à-dire de titres de propriétés garantissant une participation aux bénéfices (les dividendes) ou d’obligations, des titres de dettes ;

– Les marchés dérivés permettent de se protéger contre le risque de prix, en achetant ou vendant des contrats à terme ou des options.

En conclusion, « Il est désormais possible de récapituler ce que sont les différentes fonctions de la finance :

Une fonction de transfert de la richesse dans le temps. En se privant d’utiliser une partie de son or à l’achat de biens lui procurant une jouissance immédiate, un individu, qui devient ainsi un épargnant, peut, grâce à la finance, placer cet or en instruments financiers : dépôts rémunérés, obligations, actions, voire instruments dérivés, et le récupérer plus tard normalement augmenté du rendement de ce placement.

Une fonction de gestion des risques. Il s’agit des risques pris par un acteur individuel dans une opération de transfert de la richesse dans le temps. La finance permet de réduire les risques individuels en les divisant et de les transférer à d’autres individus, moins adverses au risque. Soit que le risque en question est pour eux de moindre importance, soit qu’ils souhaitent en prendre dans l’espoir de profits élevés. Elle permet ainsi à chacun de choisir le couple rendement / risque qui lui convient.

Une fonction de mise en commun de richesse. Elle permet de financer des projets dont l’ampleur dépasserait la richesse d’un seul individu. D’autant qu’un individu, même très riche, préférera, par souci de réduction des risques, diversifier ses placements.

Une fonction d’information. Certaines institutions financières, en particulier les marchés organisés, produisent une information publique (généralement des prix) utile aux individus pour orienter leurs choix non seulement financiers, mais productifs au sens strict.

Une fonction de règlement, c’est-à-dire d’organisation du système des paiements.

De ces fonctions, les deux plus importantes sont les fonctions de transfert de richesse dans le temps et de règlement. En effet, les fonctions de gestion des risques, de mise en commun des ressources et d’information peuvent être considérées comme au service de la fonction de transfert qui, comme on va le voir au chapitre suivant, est essentielle à la croissance économique. »

La finance, en son sens le plus général, remplit donc des fonctions essentielles. « Dès qu’il y a propriété privée et monnaie, explique PNG en conclusion de son ouvrage, apparaissent des formes, même rudimentaires, d’activité financière. Dans les capitalismes, la finance assure la socialisation des projets et des risques. Au même titre que la division sociale du travail, elle est indispensable à la croissance de la richesse. Si chacun, pour mettre en œuvre ses projets d’augmentation de richesse ou se protéger contre des risques tels que la maladie ou la vieillesse, ne devait compter que sur ses propres ressources ou celles de sa seule famille, la croissance de la richesse d’ensemble comme celle de chacun seraient considérablement entravées et les risques encore plus inégalement répartis. »

7 réflexions sur “A quoi sert la finance ?

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  3. Merci Vianney pour tous ces articles très éclairants. J’essaye de tous les lire, mais ton rythme de publication est plus élevé que le temps que j’ai pour les lire !

    En tout cas j’apprends beaucoup de choses sur l’économie et la finance, merci !

    • De rien et merci ! D’habitude mon rythme n’est pas si élevé, mais je suis dans la dernière ligne droite pour le capes alors j’enchaîne…

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