Capitalisme, anticapitalisme

Définition (simple) du capitalisme

Le capitalisme est un système où la propriété des moyens de production est (au moins en partie) privée, avec un système concurrentiel donc un marché où les prix ont une signification marchande. L’investissement (donc l’initiative privée) y tient une place centrale : pas de capital-isme sans capital. Au centre du capitalisme, on trouve la relation épargne <> investissement (et donc la recherche du profit).

Même si l’échange marchand est aussi vieux que l’humanité, le capitalisme dans sa forme industrielle moderne est beaucoup plus récent et n’apparaît pas ex nihilo, ne serait-ce parce qu’il s’inscrit dans une culture donnée avec ses institutions. La mise en place progressive du capitalisme à l’échelle européenne à partir du XVème siècle est le fruit d’une conjonction de facteurs : affirmation de l’individualisme (Lumières), découverte des Amériques et donc afflux d’or du Nouveau Monde, développement du crédit bancaire qui permet d’investir sans épargne préalable, mouvement des enclosures (droit de propriété foncière en Angleterre), améliorations techniques puis révolution industrielle (à partir du XVIIIème).

On peut dire que les traits du capitalisme industriel, outre ceux déjà mentionnés, sont la domination écrasante du salariat et une division du travail très poussée.

Capitalisme contre capitalisme

Le capitalisme est donc un système de production organisé d’une certaine manière. En revanche il existe différentes formes de capitalisme, qu’on peut pour aller vite classer de plus libéral (les Etats-Unis) à moins libéral (la France) en fonction du poids donné à l’intervention des pouvoirs publics dans l’économie, du degré de concurrence sur les marchés, etc. L’ouvrage classique de Michel Albert, paru à la chute de l’URSS, distinguait ainsi le capitalisme rhénan (Allemagne, Japon), une forme de capitalisme où une part significative de l’économie est planifiée, et le capitalisme anglo-saxon (plus libéral, avec une place plus forte du financement actionnarial, etc.).

Mais, dès l’instant où il existe une classe d’entrepreneurs, où les moyens de production sont en partie privés et où il existe une concurrence marchande, on peut parler de capitalisme. Même si les pouvoirs publics dépensent en France 60% du PIB, nul (à part sans doute quelques libertariens furieux) n’oserait soutenir que la France n’est pas un pays capitaliste. C’est simplement une forme de capitalisme très régulé. 

A l’inverse, lorsque les prix n’ont plus aucune signification parce qu’ils sont très majoritairement fixés par l’Etat (et que, par conséquent, un vaste marché noir apparaît), lorsque une grande partie de la production est contrôlée par le gouvernement et que par conséquent il n’y a pas de concurrence, on ne peut plus parler de capitalisme. L’exemple de la Chine montre qu’il peut exister des régimes hybrides, à mi-chemin entre capitalisme et communisme. Néanmoins ces exemples restent rares et l’histoire a montré que les régimes communistes ont cherché à abolir la propriété privée des moyens de production et la concurrence, devenant de fait des régimes non-capitalistes (communistes).

Quoi qu’il en soit, il faut bien distinguer un système d’organisation de la production (le capitalisme) et une idéologie qui valorise l’individu (le libéralisme). Il y a un lien entre les deux, car le capitalisme ne peut jamais être totalement antilibéral : mais il peut l’être plus ou moins. Ainsi que l’avait proposé Weber, le capitalisme des pays de tradition catholique, où subsiste toujours un vieux fond culturel de méfiance vis-à-vis de l’argent, ne fonctionnent pas comme les pays de tradition protestante, où l’enrichissement est fortement valorisé.

Avantages et inconvénients du capitalisme

On pourrait discuter fort longtemps des avantages et des inconvénients du capitalisme : en (très) résumé, l’immense majorité des économistes soutiennent que le capitalisme est le meilleur système de répartition des ressources rares (avantage) mais qu’il génère des crises et des inégalités (inconvénient).

Initiés par Adam Smith, le père de l’économie, les arguments qui montrent que le capitalisme est le meilleur système de répartition des ressources rares ont été largement développés par l’école autrichienne depuis un siècle : en régime capitaliste, l’initiative individuelle combinée à la concurrence marchande permet d’adapter en permanence la production aux besoins individuels (ie. à la demande), tout en procédant par essais et erreurs : il y a là une forme de darwinisme économique : les entreprises peu innovantes, peu productives, ou qui tout simplement produisent des choses dont personne ne veut sont éliminées, ce qui permet une amélioration continue de la production. Il est d’ailleurs frappant de constater la vitesse de remplacement des multinationales sur les dernières décennies : seule 3 entreprises (Microsoft, Coca-Cola et MacDonald’s) actuellement dans le top 10 des plus grandes marques l’étaient déjà il y a 20 ans (et encore ont-elles beaucoup chuté). De plus, le capitalisme a tendance à accentuer la division du travail qui engendre une forte efficacité productive. C’est la fameuse leçon de Friedman sur le stylo qu’il est impossible à un individu lambda de parvenir à fabriquer par ses propres moyens.

A l’inverse, les systèmes communistes sont prisonniers d’une chaine de décision beaucoup plus lente, et, en l’absence de concurrence, n’ont pas la contrainte de productivité qui force les entreprises à être (à moyen terme) efficaces… ou disparaître. Une “entreprise” en régime communiste peut donc théoriquement être indéfiniment inefficace et subsister. On ne s’étonnera pas de la joie des Allemands de l’Est découvrant les supermarchés de l’Ouest et du différentiel monstrueux de productivité entre les deux régions, qui, 20 ans après la chute du Mur et malgré des milliards d’euros d’investissement, n’est toujours pas résorbé.

Les inconvénients du capitalisme découlent des avantages et ont notamment été fort bien expliqués par Pierre-Noël Giraud dans son ouvrage Le commerce des promesses (2000), que j’avais longuement chroniqué sur ce blog (ici le premier article d’une série de 17). En résumé, l’avenir étant incertain (probabilisable, mais avec une marge d’erreur), il est impossible de faire coïncider à coup sûr les perspectives de profit et les profits effectifs. On comprend dès lors pourquoi le capitalisme est fondamentalement inégalitaire et générateur de crises. Si les profits effectifs sont égaux ou supérieurs aux profits attendus, certains individus, ceux qui travaillent  dans les entreprises qui croissent vite, s’enrichissent plus vite que les autres : il y a progression des inégalités, progression d’autant plus rapide que la fiscalité est faible. Si les profits sont plus faibles qu’attendus, il y a une crise, qu’on peut régler par la manière douce (l’inflation) ou la manière forte (le krach), avec à chaque fois des perdants. De plus, la division du travail créé des interdépendances ce qui fragilise le système.

On pourrait résumer avec le superbe aphorisme de Churchill :

Le capitalisme répartit très mal les richesses, le communisme répartit très bien la pauvreté.

Etre anticapitaliste en 2019

On peut distinguer grossièrement deux formes d’anticapitalisme :

Les premiers, largement majoritaires, je les appellerai volontiers “faux anticapitalistes”. En effet, ils ne sont pas nostalgiques de l’URSS ou de la Chine de Mao et ne souhaitent pas la collectivisation générale des moyens de production. En revanche, ils s’opposent à l’une des conséquences inévitables du capitalisme : la hausse des inégalités. Ils souhaitent ainsi un capitalisme fortement régulé. Qu’ils donnent à cela le nom d’anticapitalisme ne change pas le fond : ce à quoi ils s’opposent, c’est plutôt à une forme libérale et anglo-saxonne de capitalisme, mais pas à l’essence même du capitalisme. Si vous souhaitez la réduction des inégalités, vous êtes probablement de gauche, éventuellement d’extrême-gauche si vous êtes plus radical, mais pas anticapitaliste. Rappelons que Marx avait critiqué vertement le programme du socialiste Gotha (Critique des programmes de Gotha, 1875) précisément parce que ce dernier souhaitait la réduction des inégalités et non pas l’abolition de la propriété privée, qui est le programme proprement marxiste.

Les seconds sont les “vrais anticapitalistes”, au sens où ils souhaitent abolir ce qui fait le cœur du système : la concurrence et la propriété privée des moyens de production. Pour le remplacer par quoi ? Là, on pourrait distinguer plusieurs écoles, au moins quatre à mon avis (ici le terme école veut simplement dire un ensemble relativement homogène d’idées) :

  1. L’école “cynique” qui assume l’URSS, Mao, le Cambodge, la Corée du Nord, et toute la litanie des monstrueux échecs du communisme au XXème siècle. Pour eux, tout cela a été mal jugé par l’Histoire et les régimes ci-dessus auraient eu de nombreux mérites. De nos jours, ce sont évidement des oiseaux rares. Un exemple serait le philosophe Alain Badiou, qu’on ne présente plus (en 1979 il publiait à propos du Cambodge une tribune intitulée Kampuchéa vaincra : ceci devrait suffire à imaginer le personnage).
  2. D’autres s’escriment à défendre un communisme théorique qui n’aurait jamais été appliqué. C’est la méthode Coué : refusant toutes les leçons de l’Histoire, ils affirment qu’en fait le communisme des livres de Marx n’a jamais été appliqué correctement et que lorsque ce sera le cas, il fonctionnera très bien. Bref, si le communisme n’a pas marché, c’est qu’il n’était pas assez communisme, et la solution à l’échec du communisme, c’est plus de communisme. Malgré la diversité des cultures dans lesquelles l’expérience a été tenté et les résultats à peu près équivalents partout (dictature, pauvreté, marché noir, exode massif de la population suivi d’un effondrement général), l’argument persiste en s’appuyant sur le silence de Marx à propos de la mise en œuvre détaillée du programme communiste : Marx a beaucoup plus écrit pour disséquer le capitalisme et ses limites (et sur ce point il est indubitablement l’un de ses plus grands penseurs) que pour proposer des alternatives crédibles.
  3. Une troisième espèce se contente de critiquer le capitalisme, sans se risquer à proposer des alternatives. Elle est dans le registre intellectuel, généralement théorique, le plus souvent dans la tradition marxiste. Rangeons dans cette catégorie un philosophe comme Frédéric Lordon. L’une des difficultés de cette école est que le thème central de la critique marxiste (salariat = esclavage) a largement perdu de sa pertinence, tandis que des thèmes complètement ignorés par Marx (la place des femmes ou l’écologie) sont aujourd’hui au centre des débats. Cette école peut donc être amenée à se renouveler, sans pour autant parvenir à proposer des alternatives de grande ampleur ou avoir un réel poids politique
    (bien qu’anticapitaliste, LFI a mis la rhétorique marxiste en sourdine, sans quoi le mouvement ne serait jamais arrivé à la quatrième place en 2017).
  4. Enfin, la quatrième espèce défend un anticapitalisme à visée pratique : contre le capitalisme, l’autogestion ouvrière plutôt que la lourde bureaucratie communiste imposée d’en-haut. Ce sont les héritiers des anarchistes (aujourd’hui teinté d’écologisme à la manière de Pierre Rahbi), qui se sont opposés dès le début aux communistes : pensons aux écrits de Bakounine contre Marx ou la guerre entre les communistes et les anarchistes de Krondstadt, voir ici l’excellente vidéo de Nota Bene. Ces derniers peuvent parfaitement s’auto-organiser dans le cadre même du système capitalisme marchand mais contre lui en même temps, en particulier sur la propriété des moyens de production. Je pense bien sûr aux coopératives.

Quand je lis le terme “anticapitaliste” sur les réseaux sociaux, j’essaie de savoir à quel courant je peux rattacher la personne qui l’énonce. En ce qui me concerne, je trouve que la discussion n’a d’intérêt qu’avec les deux derniers groupes. Les cyniques à la Badiou ne méritent que le mépris, et les seconds oscillent entre la naïveté et la stupidité. Sans doute les expériences communistes ont pu avoir quelques succès en matière industrielle (après tout, les soviétiques furent les premiers à envoyer un homme dans l’espace), mais sur le long terme et du point de vue de la richesse des peuples, c’est un échec lamentable (sans même parler des droits fondamentaux). On revient à la citation de Churchill : les gens qui, avec le recul historique de plusieurs décennies, défendent encore l’URSS ou la Corée du Nord préfèrent vraisemblablement un appauvrissement général plutôt qu’un système qui enrichit tout le monde, mais certains plus que d’autres. Les critiques théoriques du capitalisme portées par le troisième groupe peuvent être franchement passionnantes, mais échouent à proposer des alternatives globales. Ce sont finalement les anarchistes qui proposent les alternatives les plus abouties, quoiqu’à l’échelon local le plus souvent.

2 réflexions sur “Capitalisme, anticapitalisme

  1. petite mise au point, les 10 plus grandes sociétés en terme de capitalisation boursiere sont:
    1 Microsoft Corp.
    2 Apple Inc.
    3 Amazon.com Inc.
    4 Alphabet Inc.
    5 Facebook Inc.
    6 Berkshire Hathaway Inc.
    7 JPMorgan Chase & Co.
    8 Johnson & Johnson
    9 Nestle SA
    10 Exxon Mobil Corp
    cela relegue bien plus loin McDonald et Coca Cola et en fait, conforte votre point.

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