11 leçons sur le marché du travail

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1. Deux grandes explications théoriques s’affrontent pour expliquer le chômage : l’explication néoclassique fait du chômage une conséquence des rigidités sur le marché du travail, rigidités pouvant être aussi bien salariales (existence d’un salaire minimum…) que fonctionnelles (droit du travail trop protecteur, manque de souplesse à l’embauche et au licenciement). En cas de choc exogène d’offre ou de demande de travail, le marché ne peut pas rétablir l’équilibre (à cause de ces rigidités), et du chômage apparait. On parle de chômage classique. A  l’inverse, la théorie keynésienne développe une explication macroéconomique, selon laquelle le chômage est lié à la faiblesse de la demande globale : lorsque les entrepreneurs n’anticipent pas de ventes suffisantes, ils n’embauchent pas ou licencient, ce qui a pour effet d’accroitre le volume d’actifs inoccupés, donc d’entraîner une pression à la baisse sur la demande, confirmant les prévisions négatives des entrepreneurs, etc.  On parle de chômage keynésien.

Ces deux explications se complètent plus qu’elles ne s’opposent. Le raisonnement classique peut expliquer le volume structurel de chômage, c’est-à-dire le « taux de base » de chômage auquel chaque pays industriel à économie de marché est confronté. Il expliquerait, par exemple, pourquoi la France a un taux de chômage structurellement plus élevé que la plupart des autres pays industrialisés : sur les 20 dernières années (1991-2011, 1991 étant la première année où l’on dispose de statistiques agrégés de l’OCDE) le taux de chômage de la France est systématiquement de 1,5 points supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE (34 pays comprenant la quasi-totalité des grandes économies industrialisées à l’exception notable des BRIC émergents) ; sur la période 1992-2008, cette différence est en moyenne supérieure à 2 points ; sur la période 1991-2011, la France suit les évolutions de la zone euro mais avec un écart plus faible : en moyenne le taux de chômage français est de 0,1 à 0,5 points supérieur à la moyenne de la zone euro, excepté en 1995, 2002, 2003, et depuis 2009.

L’analyse keynésienne, quant à elle, pourrait expliquer les variations du taux de chômage autour du taux de base, de façon macroéconomique et conjoncturelle. Par ailleurs il peut y avoir du chômage classique dans certains secteurs (notamment secondaire), et du chômage keynésien dans d’autres (les services). Il peut aussi y avoir des périodes plus marquées par un chômage keynésien (crise des années 30 liée à une insuffisance de la demande globale) et des périodes marquées par un chômage classique (crise des années 1970 liée à un « profit squeeze »).

2. Globalement, la France a un marché du travail assez rigide, et ce pour aux moins trois raisons :

  • Le salaire minimum français (1120€ net en 2012) est l’un des plus élevés de l’OCDE : la France se situe en 5ième position en Europe en 2008 (par ordre décroissant de niveau de salaire minimum),  derrière les trois pays du Benelux (Pays-Bas, Belgique, Luxembourg) et l’Irlande. Si on compare le salaire minimum au salaire moyen, alors la France se situe en troisième position (en quatrième en PPA). De façon plus générale, le coût du travail français est l’un des plus élevés des pays de l’OCDE, en Europe la France est en 2011 en cinquième position après la Norvège, la Belgique, la Suède et le Danemark. Le premier pays dont la taille est comparable à la France est l’Allemagne, en 8ième position, avec un coût du travail horaire moyen de 30,1€ contre 34,2€ en France. On notera que le coût du travail français n’est pas dû aux salaires, qui ne sont pas tellement plus élevés que la moyenne de l’OCDE (elle se situe à la 11Ième place en termes de revenu net médian des employés à temps complet), mais au poids des cotisations sociales, qui représentent près de 33% des coûts salariaux français contre environ 20% dans la plupart des autres pays de l’OCDE.
  • De nombreuses lois, en France, limitent la concurrence en maintenant artificiellement un monopole/oligopole : licences pour les chauffeurs de taxis, numerus clausus limitant administrativement le nombre d’étudiants autorisés à s’inscrire en deuxième année de médecine, loi sur le prix du livre, loi Royer ayant pour effet de limiter la concurrence dans la grande distribution, protection du statut des pharmaciens ou des avocats, etc. De nombreuses études ont montré que ces limitations se faisaient au détriment des prix, artificiellement élevés, et de l’emploi dans les secteurs concernés, artificiellement bas. En 1986 le marché du transport de fret est libéralisé et l’effet est spectaculaire : multiplication par trois de l’emploi dans le secteur, hausse drastique de l’activité, réduction des marges des transporteurs, chute des prix relatifs des prestations. Un exemple plus récent serait l’arrivée de Free sur le marché (auparavant oligopolistique) des télécoms.
  • La conflictualité du travail est forte en France : la vision d’une France de râleurs contestataires est sans doute excessive mais les statistiques confirment que la conflictualité française au travail (mesurée notamment par le nombre de journées individuelles non travaillées) est l’une des plus élevée de l’OCDE. Cette conflictualité peut augmenter la rigidité puisque  d’un côté, les salariés utilisent davantage la grève pour préserver l’emploi acquis (au lieu d’un compromis pragmatique à l’allemande, du type « mobilité contre salaire ») et, de l’autre, les employeurs, pour éviter les pertes économiques liées aux conflits, agissent de manière tardive et/ou brutale, ce qui a pour effet de limiter la mobilité. Et de stresser tout le monde. L’économiste Étienne Wasmer (Science-Pô) déclare ainsi : « (…) le dialogue social est vraiment en panne. Si on dit : « Dans deux ans et demi, on va commencer à délocaliser », tout de suite le conflit social explose et l’entreprise fait des pertes. Du coup, l’entreprise préfère attendre le dernier moment pour l’annoncer, au moment où ça devient très tard pour les salariés de se reconvertir. Parce que c’est pas en trois mois qu’on va apprendre un nouveau métier, c’est plutôt en deux ou trois ans. »

3. Cette rigidité du marché français doit cependant être nuancée car elle est de moins en moins vraie, au fur et à mesure que des mesures sont prises et des accords trouvés entre syndicats patronaux et salariés (2008, 2013) vers plus de « flexicurité ». Ainsi, deux faits mettent en doute la vision caricaturale d’un marché du travail français hyper-rigide :

  • Le marché du travail français est largement segmenté entre, d’un côté, le marché interne (ou primaire) composé d’emplois stables en CDI, bien protégés et souvent rémunérés par des critères qui échappent aux lois du marché (grilles salariales, en fonction du diplôme ou de l’ancienneté, etc.), ie. d’insiders, dont l’idéal-type serait un homme blanc de 40 ans possédant un master 2 ; et de l’autre, le marché externe (ou secondaire), composé des CDD et d’intérimaires, où les jeunes, les peu ou non-qualifiés, les immigrés, et, dans une moindre mesure, les femmes, sont surreprésentés (les outsiders). Sur ce marché, le salaire obéit davantage aux lois du marché, les salariés sont peu protégés et mal rémunérés (non en raison du salaire horaire mais des temps partiels subis). Ces deux marchés fonctionnent moins en diachronie qu’en synchronie : le CDI reste la norme d’emploi puisqu’il concerne plus des trois-quarts des salariés (78%), tandis que le CDD est la norme d’embauche (75% des embauches se font en CDD). Cette analyse invite à nuancer le constat d’un marché du travail hyper-rigide puisque si c’était le cas, le marché externe n’aurait pas une telle importance. Or la part des embauches en CDD ne cesse de progresser, et si le temps partiel en France est inférieur à la plupart des pays européens, il a fortement progressé (+ 10 points en 40 ans).
  • Les nombreuses mesures prises en faveur de la flexicurité ont par ailleurs accru la flexibilité du marché français : on peut citer l’avènement de la rupture conventionnelle du contrat de travail, intervenue avec l’ANI (accord national interprofessionnel) de janvier 2008, et qui concerne aujourd’hui plus de 13% des sorties de CDI (environ 20 000 par mois). Or la rupture conventionnelle est un mode de rupture du CDI particulièrement flexible puisque la rupture n’a pas à être motivée, l’accord entre employeur et salarié suffit. Elle est ainsi beaucoup plus difficile à contester devant les tribunaux que le licenciement pour motif personnel ou économique (sécurité juridique de l’employeur), tout en garantissant au salarié toutes les indemnités légales, à l’inverse de la démission ou du licenciement pour faute grave ou lourde ou force majeure.

En bref, la rigidité du marché du travail français est réelle, mais l’importance du marché externe et les nouveaux modes de licenciement nuancent cette réalité. Il y a lieu d’être mesuré en la matière.

4. Par ailleurs, les liens entre emploi et rigidité sont très discutés. S’il est admis que le fort coût du travail français a un effet négatif sur l’emploi, il est jugé (relativement) faible par la plupart des études. La raison est que le coût du travail est loin d’être la seule variable qui détermine l’embauche d’un travailleur. Sur le marché interne, ce qui est déterminant, c’est d’abord le niveau de qualification et en définitive la productivité de la main d’œuvre, ainsi que le taux de croissance à long-terme. Il y a une relation de long-terme entre employeur et salarié (qui a investi dans la formation de l’insider)  largement indépendante du coût du travail. Sur le marché externe, c’est la conjoncture qui est déterminante (et notamment le niveau de la demande globale) : les intérimaires/CDD sont les premiers embauchés en cas de hausse de l’activité, les premiers débauchés en cas de chute de l’activité. En définitive, plus que le coût du travail, le niveau de productivité horaire, le taux de croissance de l’économie, la qualification de la main d’œuvre, sont déterminants dans le niveau de l’emploi. Le coût du travail a tout de même un impact, mais probablement modéré, plutôt microéconomique et centré sur les moins-qualifiés. Les études qui ont tenté de mesurer l’élasticité de l’emploi au coût du travail ont abouti à un effet négatif, mais pas démesuré (entre -0,15 et -0,75). Cela expliquerait que les problèmes d’emploi de la France ne résident pas d’abord dans son coût du travail élevé, mais dans la stagnation de sa productivité horaire, son moindre positionnement sur la compétitivité hors-prix par rapport à l’Allemagne (produit moins haut de gamme, avec une moins bonne image), et évidemment son taux de croissance quasi nul. Quant à l’effet « substitution du capital au travail », il est également faible surtout à court-terme. Il est plus important à moyen terme, où l’élasticité de substitution se situerait entre -0,3 et -0,8. La compression des coûts du travail peut en revanche être favorable à la profitabilité des entreprises mais il n’y a pas de relation systématique et univoque entre taux de marge (EBE/VA) et emploi.

Finalement, les conséquences de la rigidité française interviendraient moins dans le niveau chômage que dans la structure du chômage, en expliquant pourquoi la particularité de la France par rapport à d’autres pays industrialisés n’est tant dans le niveau de son chômage que dans la durée de son chômage : en 2010, 40,4% des chômeurs français sont des chômeurs de longue durée (soit un taux de chômage de longue durée de 3,9%), un taux exactement égal à la moyenne européenne (à 25), mais très supérieure à celle des Etats-Unis (2,8%), du Japon (1,9%), du Royaume-Uni (2,5) ou encore de l’Allemagne (3,4). Étienne Wasmer : « Les gens sont inquiets, en tous cas dans le secteur privé, de perdre leur emploi. Non pas que les taux de licenciement soient particulièrement élevés par rapport à d’autres pays. Mais le problème, c’est que, quand ils perdent leur emploi, ils vont rester assez longtemps au chômage en moyenne, par rapport à d’autres pays comme le Canada ou les Etats-Unis, où le retour à l’emploi est beaucoup plus rapide. Du coup, il y a cette tension interne dans le monde du travail. Le management joue là-dessus. Alors que la productivité française est assez élevée, le chômage est utilisé comme une menace pour rendre les gens plus soucieux de bien faire. Ce qui les conduit à être assez stressés. » Sur les dix dernières années, la France a en matière de chômage longue durée un taux systématiquement supérieur aux Etats-Unis, au Pays-Bas, à l’Italie, au Royaume-Uni (et à l’Allemagne depuis 2008). La France a un niveau proche de celui de l’Italie (elle fait mieux que le Portugal et l’Espagne depuis 2008).

5. L’impact de la mondialisation (et donc, des délocalisations) sur l’emploi en France, et en particulier sur l’emploi industriel, est globalement faible : moins de 15% des destructions d’emplois dans l’industrie s’expliquent par des délocalisations. La mécanisation et la tertiarisation ont eu beaucoup plus d’effets négatifs sur l’emploi primaire et secondaire que la mondialisation, cette dernière ayant cependant des effets locaux forts (bassins d’emplois industriels dévastés). Plus de 70% de l’économie française n’est pas en lien direct avec le commerce international (car l’économie française, comme les autres PDEM, est largement tertiarisée, et les services ne sont pas facilement transportables) et donc peu ou pas concernée par les délocalisations (on parle de secteur abrité). Au contraire la mondialisation a permis de sauvegarder et de créer de nombreux emplois. Par exemple 95% de la production de Cognac française est exportée –notamment en Chine. L’effet négatif de la mondialisation est moins quantitatif que qualitatif : elle favorise les emplois qualifiés au détriment des emplois non-qualifiés qui sont facilement délocalisés. Elle a aussi un impact négatif sur les inégalités, même si cet effet est très discuté : dans les années 70, la France s’ouvre massivement au commerce mondial et c’est une période où les inégalités régressent le plus vite. De façon plus certaine, la mondialisation a un effet de dépression salariale (compression des salaires) diffus et difficile à mesurer (chantage à la délocalisation, etc.).

6. Les catastrophes (naturelles ou humaines) n’ont pas d’effet positif sur l’emploi : en situation de sous-emploi, une catastrophe peut stimuler l’emploi à court-terme (reconstruction, réparation, etc.) mais la stimulation ne compense que rarement les infrastructures détruites, les emplois détruits, la perte de productivité, etc. L’effet net est négatif la plupart du temps.

7. Le progrès technique ne nuit pas à l’emploi. A court-terme, les gains de productivité qu’il engendre ont un effet négatif sur l’emploi, facilement mesurable. Mais à long terme, la redistribution des gains de productivité permet une redistribution soit par l’offre (augmentation des profits et augmentation de l’investissement), soit par la demande (baisse des prix ou augmentation des salaires). Il y a un cercle vertueux cumulatif. Les études empiriques sont encore plus positives en montrant que les entreprises qui connaissent des gains de productivité sont souvent aussi celles où l’emploi augmente : une étude de Cahuc et Kramaz (2004) explique ainsi, sur la période 1987-1990 et 1996-1999 : « Ainsi, aux deux périodes, environ 37% des entreprises ont simultanément croissance de la productivité (supérieure à la médiane) et croissance de l’emploi. Alors qu’environ 14% des entreprises font croître la productivité « grâce » à la diminution (relative) du travail. Dit autrement, parmi les entreprises dont la productivité croît plus que la majorité des entreprises, 72% ont l’emploi qui augmente. Tous ces résultats se vérifient dans les secteurs de l’industrie, dans les commerces ou les services. Ces résultats sont avérés en France, mais aussi dans de nombreux pays de l’OCDE. »

Ainsi, par exemple, toutes les études qui ont essayé de chiffrer l’effet net de l’avènement d’internet et du numérique en matière d’emplois ont abouti à un effet modéré ou important, mais toujours positif : +700 000 emplois en 15 ans pour le Conseil National du Numérique, 1,5 millions pour le cabinet McKinsey, 300 000 pour l’association professionnelle des informaticiens, 22 000 emplois directs et indirects uniquement pour le réseau social facebook selon le cabinet Deloitte.

8. Le diplôme, plus que jamais, protège du chômage : le taux de chômage de ceux sortis depuis plus de 11 ans de leur formation initiale et qui n’ont pas de diplôme ou seulement le brevet était en 2011 de 11,9% (plus de 45% pour ceux qui sont sortis depuis moins de 4 ans !). Pour ceux qui ont le bac, le CAP ou le BEP, les chiffres sont divisés par deux. Ils sont encore de 60% inférieurs pour les diplômés de l’enseignement supérieur.

9. Depuis le début des années 2000, il n’y a plus de différences importantes de taux de chômage entre les hommes et les femmes. On retiendra que le taux de chômage des non-diplômés touche davantage les femmes (sans qualifications particulière, les hommes sont plus souvent embauchés que les femmes, en raison notamment de la plus courte durée chez les hommes des congés parentaux) tandis que le taux de chômage de longue durée touche davantage les hommes, ceci étant lié au fait que les femmes sans diplômes sont plus rares sur le marché du travail que les hommes sans diplôme : dans la population active, environ 19% des hommes n’ont pas de diplômes contre 12% des femmes.  Par contre les femmes sont toujours moins payées  : environ 30% de moins. La moitié de cette différence résulte des différences de statut d’emploi ou de qualification (cadre ou ouvrier, bac+5 ou bac+2), d’expérience ou de secteur (éducation ou finance), et 40% vient des différences temps de travail, car les hommes font plus d’heures supplémentaires et ne représentent que 20% des temps partiels. Il reste donc environ 10% d’écart salarial inexpliqué (presque) toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire à qualification, temps de travail, expérience et diplôme égaux, dont 6 à 8% qui s’expliqueraient par des discriminations pures. Les femmes ont également plus de difficultés d’insertion à qualification égale car les formations choisies par les femmes sont très marquées sociologiquement et les carrières moins porteuses que celles des hommes. A peine 30% de femmes dans les écoles d’ingénieur, et elles représentent seulement 13% des diplômés BEP ou CAP de la production. Elles sont par contre surreprésentées dans les sciences humaines et sociales et dans le médical et paramédical (par ex. 92,5% des diplômes paramédicaux niveau BEP sont des femmes).

10. L’immigration, plus généralement la démographie, a un impact discuté sur le chômage, parfois négatif, plus souvent positif, toujours faible. Comme pour la mondialisation, l’effet négatif est souvent qualitatif (recomposition de la main d’œuvre locale au détriment des peu qualifiés,  compression des salaires locaux, etc.) tandis que l’effet positif est quantitatif (plus d’immigration, c’est moins de chômage).

11. Le travail ne se partage pas. Dans la plupart des pays industrialisés, on constate que le nombre de destructions d’emplois est à peu près stable dans le temps (environ 15% des emplois détruits chaque année dans la plupart des pays industrialisés, sans doute un peu moins pour la France), et qu’il n’augmente pas autant que l’on pourrait le croire à priori durant les périodes de récession. Selon l’économiste Pierre Cahuc, chaque jour ouvrable en France, 30 000 personnes quittent leur emploi et 30 000 en retrouvent un. Un tiers de ce chiffre (soit environ 10 000 emplois par jour) correspond à une destruction/création d’emplois. En fait, les entreprises, même en période de crise, licencient relativement peu. En revanchent elles ralentissent brutalement leur rythme de création d’emplois. Par exemple lors de la récession de 1993, seuls 3,9% des salariés en CDI se sont retrouvés sans emploi l’année suivant, à peine un point de plus que lors des années de décrue du chômage (Delaigue et Ménia, 2010). Ce qui signifie que le problème du chômage se joue moins au niveau des destructions d’emplois que des créations d’emplois.

Le chômage n’est donc pas une « simple question de comptabilité entre stock d’emplois et nombre de travailleurs, écrit le chercheur en économie publique Yannick Bourquin. En particulier, (…) il est très dangereux de vouloir analyser le chômage comme une pénurie d’offres d’emplois. Il faut au contraire essayer de comprendre pourquoi les entreprises refusent d’embaucher certains types de travailleurs  [et donc de créer de l’emploi] aux niveaux de salaire qui se pratiquent sur le marché (…) »

7 réflexions sur “11 leçons sur le marché du travail

  1. Merci beaucoup pour cet article Vianney, comme toujours j’apprends beaucoup, c’est très bien expliqué et accessible à tous.
    Il y a cependant quelque chose que je n’ai pas compris : à la fin de ton point 10, tu dis « plus d’immigration, c’est moins de chômage ». Je ne comprends pas pourquoi, si je ne m’abuse tu ne l’expliques pas … Merci !

    • Merci pour votre commentaire ! Pour schématiser :
      Du point de vue théorique, l’effet net de l’immigration est difficile à établir avec certitude :
      D’un côté, l’immigration a un coût du point de vue national (allocations, infrastructures) et local (pression à la baisse sur les salaires) sachant qu’en France 70% de l’immigration environ est constituée par le droit d’asile et le regroupement familial. On sait que le taux de chômage est significativement plus élevé pour les immigrés que pour les citoyens français ; l’économiste George Borjas (The labor demande curve is downward sloping : Reexamining the impact of immigration on the labor market, NBER, 2003) a étudié la dynamique des salaires selon les niveaux de qualification, et, en considérant que les immigrés se substituent aux nationaux pour le travail peu qualifié, est arrivé à la conclusion que les entrées de migrants aux Etats-Unis avaient réduit les salaires de 3% en moyenne entre 1980 et 2000, et de 5% pour les Américains les moins qualifiés (effet qui est donc, de l’aveu même de l’auteur, assez faible).

      Mais d’un autre côté les immigrés consomment, augmentant les débouchés et payant des taxes sur la consommation ; ils augmentent la diversité des produits disponibles (par ex. en ouvrant des restaurants exotiques) ; ils peuvent apporter des compétences spécifiques (ex. linguistiques), accroissant la productivité des entreprises qui les embauchent (en 2010 5% de l’immigration est liée au travail et 25% concerne les étudiants étrangers, selon l’INSEE). Si les compétences des immigrés et des locaux sont peu substituables (ce qui est souvent le cas), l’immigration peut augmenter l’emploi local des qualifiés (ou les faire progresser dans l’échelle sociale): si l’on veut construire plus d’hôpitaux et de laboratoires de recherches, il faudra davantage de personnes pour y faire le ménage, la manutention, ou servir les repas ; si l’on a davantage de main d’œuvre dans la construction, on peut embaucher un chef de projet local, etc. La main d’œuvre immigré permet d’occuper ces emplois avec un coût du travail beaucoup moins élevé que la population locale, dégageant des ressources pour investir davantage, embaucher de la main d’œuvre plus qualifiée, etc.

      On a donc des effets contradictoires et l’effet théorique net de l’impact de l’immigration sur l’emploi local est relativement indécis, et plutôt en faveur de l’immigration : le coût en matière d’allocations est en effet très facile à limiter (il suffit de restreindre l’accès à la protection sociale pour les immigrés qui ne travaillent pas, comme la Grande-Bretagne l’a fait en 2004). Au final l’immigration aurait un effet bénéfique sur l’emploi.

      Ceci est confirmée par les analyses empiriques : l’analyse la plus célèbre est sans doute celle de David Card, étudiant l’impact de l’arrivée en Floride de 125 000 cubains en six mois en 1980 (épisode du Mariel Boatlift). En trois mois, le taux de chômage y passe de 5 à 7%… avant de revenir à son niveau précédent. En un an, la ville avait absorbé l’afflux exceptionnel de population: l’équivalent de 2 millions de personnes pour la France. Et ce, alors qu’à cette époque l’économie américaine était en récession. Le même phénomène s’est produit en France, lorsqu’en 1962, les autorités françaises tremblent à l’idée que les 400 000 rapatriés d’Algérie vont venir gonfler le chômage puisqu’on ne compte que 35 000 emplois «vacants» dans l’Hexagone. « Il n’en fut rien, signalent Pierre Cahuc et André Zylberberg (Le chômage, fatalité ou nécessité, 2004) : les rapatriés ont créé des emplois et l’économie ne s’en est portée que mieux. »

      D’ailleurs, si la croissance démographique était la cause du chômage, on aurait dû connaître une décrue forte du chômage à partir de 2005, lors les générations du baby-boom ont commencées à partir en retraite, comme le pronostiquaient certains analystes. Il n’en a rien été : en 2010, le taux de chômage atteint 10%. Une étude de la Banque mondiale (Global Economic Prospect, Banque mondiale, 2006) estime qu’une augmentation de 1% de la population active génère une croissance du PIB total de 1,25%. En bref, la croissance démographique est loin de constituer une menace pour le niveau du chômage.

      Cela ne veut pas dire que l’immigration n’a aucun effet sur le marché du travail local. A court terme il peut y avoir un réarbitrage entre capital et travail en défaveur de la main d’œuvre peu qualifiée, des effets sur le niveau des salaires, et en période de crise les difficultés d’insertion de la main d’œuvre immigrée sur le marché du travail local peuvent être augmentées. Par ailleurs le contexte est important, et la situation française de 2010 n’est ni celle de Miami en 1980, ni celle de la France en 1962 (en pleine Trente Glorieuses). Mais rien ne permet d’accréditer l’idée que « l’immigration détruit des emplois ». L’effet net est probablement modéré, et positif.

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