Cinq commentaires sur les Gilets Jaunes

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Même quand on connaît la tradition de violence urbaine des Français, les images de Paris en feu impressionnent. On atteint une crise paroxystique qui s’installe dans la durée. J’ai le sentiment que la dernière fois qu’on avait connu une telle violence, c’était en 2005. Bien sûr ce n’est pas le premier mouvement social avec une dimension violente depuis 2005. Mais les précédents étaient très spécifiques, centrés sur le retrait d’une loi ou d’une mesure. Ils ne touchaient que les publics concernés, et la démobilisation était assez rapide une fois la mesure retirée (écotaxe en 2013) ou confirmée (loi travail, Parcourssup, mariage pour tous,…). La seule exception est peut être Nuit Debout mais le mouvement était trop parisiano-centré et idéologiquement marqué pour concerner les classes moyennes et populaires. Là, on a un mouvement vraiment populaire avec une conjonction de colères qui explosent.

1. Un commentaire sociologique

Les Gilets Jaunes sont un mouvement de classes populaires et moyennes. Ce ne sont pas les plus pauvres (les gens qui sont autour du seuil de pauvreté ne sont pas mobilisés, ils luttent pour survivre). Les Gilets Jaunes pour la plupart sont insérés et ne luttent pas pour survivre : ils luttent pour ne pas décrocher. C’est la question du déclassement.

Pour résumer très rapidement le débat sociologique sur le sujet : le déclassement par rapport au passé est fort en France, le déclassement par rapport à l’avenir est surtout subjectif. Je m’explique. Si l’on parle du déclassement par rapport au passé, c’est-à-dire qu’on compare les perspectives qu’avaient les gens dans les années 1960 avec un diplôme donné (mettons le bac) et celles qu’ils ont maintenant, alors le déclassement est une réalité massive qui touche entre 25 et 40% de la société française. C’est l’argument de Louis Chauvel. A cela s’ajoute un déclassement résidentiel lié à la très forte inflation immobilière (qui touche spécifiquement la France étant donné sa démographie dynamique), qui fait qu’il est inenvisageable pour un ménage modeste de se loger en centre-ville et qu’il y une forte inégalité entre propriétaires et locataires. Enfin un déclassement scolaire lié au fait (toujours dans un raisonnement intergénérationnel) qu’il faut faire beaucoup plus d’études que ses parents pour avoir la même situation. Tiens ça me fait penser à un entretien sociologique avec une femme hôtesse d’accueil dont le père est cadre dans la fonction publique. C’était dans le livre l’Epreuve du déclassement de Camille Peugny (2007).

 

« [Sociologue] Et ces études, ça vous plaisait ? [Enquêtée] C’était sur Paris et c’était pas forcément évident. Les conditions de vie sont pas forcément très simples, et les conditions financières, il fallait quand même faire attention. (…) Donc je me suis arrêté avec mon bac+2. Quand même bac+2 ce n’est pas rien ! Je me retrouve à faire l’hôtesse d’accueil. Mon père, avec le BEPC, il dirige une équipe ! »

Si l’on considère en revanche le déclassement par rapport à l’avenir, c’est-à-dire par rapport au fait de déchoir de façon absolue dans l’échelle sociale dans un avenir proche, alors la probabilité du déclassement est très faible en France. Pour faire simple perdre son CDI reste rare. Même dans les pires crises économiques (2009 en France), le taux de licenciement augmente faiblement. Ce sont surtout les embauches qui sont stoppées.

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C’est l’argument d’Eric Maurin. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas un déclassement subjectif. Bien au contraire pour Maurin c’est le principal déclassement. Pour lui, le déclassement correspond en France à une peur de déchoir. Ce qui se joue dans la société française ce n’est pas la grande probabilité de chuter dans l’échelle sociale, c’est la peur de perdre ses statuts. L’idée est que les gens veulent s’élever dans la hiérarchie sociale et luttent pour imiter la classe immédiatement au-dessus, tout en voulant éviter à tout prix de ressembler à plus pauvre que soi. Cette idée est confirmée par de nombreux autres travaux : Olivier Schwartz par exemple a fait une enquête sur les chauffeurs RATP, et montre que ceux-ci, tout en revendiquant plus de justice sociale par rapport aux « riches » (les patrons, les cadres) sont réticents à l’égard des aides attribuées à plus pauvres qu’eux (les jeunes, les immigrés) jugés assistés et profiteurs du système. Marie Cartier parlera de « France des petits moyens » dans une enquête sur la banlieue pavillonnaire, montrant que ces populations sont traversées par une forte peur du déclassement et une volonté d’évitement des classes plus pauvres. Le cas des établissements classés ZEP qui font fuir les classes moyennes a été un bon exemple d’échec d’une politique de discrimination positive, buttant sur la volonté générale d’évitement. Selon Maurin, ces classes moyennes votent tantôt à droite par fascination pour le modèle bourgeois, tantôt à gauche quand cette fascination se mue en frustration et ressentiment (incapacité à atteindre les plus grandes écoles notamment).

Si l’on tire toutes les conclusions de ces analyses on aboutit à une vision beaucoup plus critique des Gilets Jaunes, une masse de petits bourgeois qui veulent à tous prix s’élever au-dessus des autres (« happés par le désir de distinction statutaire », dixit Maurin), envoyer leurs enfants dans les meilleures écoles et payer un jour l’ISF. C’est probablement excessif mais il ne faut pas oublier le rôle que joue le ressentiment dans ce mouvement, ce qu’on pourrait appeler le paradoxe démocratique. Au XIXème siècle le paysan ignorait tout du mode de vie de la haute aristocratie londonienne, les inégalités objectivement radicales ne donnaient pas lieu à un fort ressentiment. Aujourd’hui plus personne n’ignore les inégalités de condition de vie entre groupes sociaux. Les inégalités objectivement beaucoup plus faibles sont donc beaucoup moins bien acceptées. Plus la démocratie réduit les inégalités, moins les inégalités sont supportables : Tocqueville avait remarqué ce paradoxe il y a plus de 150 ans. Bon, il le disait bien mieux que moi :

 

Quelque démocratique que soit l’état social et la constitution politique d’un peuple, on peut donc compter que chacun de ses citoyens apercevra toujours près de soi plusieurs points qui le dominent, et l’on peut prévoir qu’il tournera obstinément ses regards de ce seul côté. Quand l’inégalité est la loi commune d’une société, les plus fortes inégalités ne frappent point l’œil ; quand tout est à peu près de niveau, les moindres le blessent. C’est pour cela que le désir de l’égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l’égalité est plus grande.

2. Un commentaire économique

On en vient à l’État-providence car qui dit inégalités, dit État-providence. Stéphane Ménia fait très justement remarquer que les Gilets Jaunes revendiquent moins de prélèvements et plus de dépenses publiques, alors qu’ils pourraient aussi revendiquer des salaires plus élevés. Car le revenu disponible c’est avant tout un salaire avant d’être un revenu de transfert. Dixit Ménia : « Je ne vous cache pas que cette approche m’interpelle depuis le début. Hormis la revendication d’un Smic à 1 300 euros, la quasi absence du mot « salaire » dans les propos, alors que « impôt » ou « taxe » connaissent des occurrences record, me laisse assez pantois. ». Nous vivons dans un capitalisme actionnarial où les salaires sont les grands perdants. Ils n’augmentent pas assez vite avec la productivité. Or, la croissance est faible. Les revenus progressent donc faiblement. Dès lors, le poids du passé devient plus fort et le patrimoine accumulé prend de l’importance. Les inégalités de revenus sont d’ailleurs assez faibles en France (contrairement aux États-Unis par exemple), de l’ordre d’un facteur 1 à 4 entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres, contre 1 à 130 pour les patrimoines. C’est le grand argument de Piketty qui était encore hier sur France 2.

Cela pourrait amener toutes sortes de remarques. A moyen terme la question de la formation. A long terme celle de la mécanisation, celle également de la mondialisation qui augmente la division entre salariat qualifié et non qualifié. Passons.

A court terme, pour revendiquer des salaires plus élevés il faut une capacité de négociation, donc des syndicats puissants. Le gouvernement n’a pas le pouvoir d’augmenter les salaires (je passe sur le SMIC : l’augmenter signifie augmenter le coût du travail des moins qualifiés, avec un risque sur l’emploi, sans réellement résoudre le problème des travailleurs pauvres qui souffrent avant tout d’un temps partiel subi). On retombe sur l’incapacité française à développer les corps intermédiaires et notamment les syndicats. Ils ne représentent plus rien aujourd’hui alors qu’ils jouent un rôle essentiel pour canaliser les revendications, organiser les colères, négocier avec le gouvernement, bref pour accoucher de quelque chose. Si on accouche de rien, comment mettre un terme au mouvement ? Les gens ne se calmeront pas, le mouvement s’éteindra en raison des coûts croissants (tout le monde ne peut pas perdre des jours de salaires à bloquer les ronds points indéfiniment) mais ressurgira tôt ou tard. Comment redonner du pouvoir aux corps intermédiaires ? Je n’ai pas la réponse, mais c’est un point clé.

Tiens, à la fin du texte Ménia donne en exemple ces femmes de ménage des grands palaces parisiens qui avec un syndicalisme à l’ancienne arrachent 400€ de plus par mois. C’était dans l’Humanité de septembre 2014. Mais c’est un cas trop rare. Il n’y a plus rien entre le citoyen et l’État, voire entre le citoyen et le chef de l’Etat, ce qui est dramatique dans la façon de personnaliser le pouvoir et l’action publique. Macron c’est l’État et l’État est responsable de tout, et notamment des taxes, des services publics et des aides sociales.

Or, les Gilets Jaunes affirment qu’ils n’en ont pas pour leur argent. On retombe sur la discussion de l’efficacité des services publics. Pourquoi dépensons-nous autant sans parvenir à convaincre la population que notre redistribution, que nos services publics sont efficaces ? La France dépense plus d’argent public en Europe que quiconque. On peut forcément faire mieux à budget égal, et peut être avec moins. Même si la situation est moins pire qu’on ne le dit souvent, la police, les écoles, les hôpitaux, sont plus efficaces dans de nombreux pays comparables à la France. Et ils sont plus efficaces tout en étant moins chers. Puisque les Gilets Jaunes ont commencé avec des revendications sur les transports, ne parlons pas de l’efficacité de la SNCF en France. Au Japon quand les trains sont en retard de plus de 3 min le ministre des transports est notifié (si). Et ce avec deux fois plus de voyageurs.

Cela renvoie la phrase de Macron (très maladroite) sur le « pognon de dingue ». Dixit Ménia encore, je me retrouve totalement dans ses propos :

 

« On peut être un fervent partisan de l’État providence et s’interroger sur le volet efficacité du système. C’est légitime et sain. C’est d’ailleurs pour cela que le Président de la République s’est permis une petite phrase rétractable, comme à son habitude, mentionnant le « pognon de dingue ». Après tout, améliorer l’efficacité de la protection sociale, ce n’est pas mal. Il me semble cependant qu’au fil du temps, le propos a dérivé vers l’idée que la protection sociale n’était pas très perfectible, mais totalement improductive. Or, c’est faux et certains gilets jaunes lui doivent de ne pas être dans la misère (…). »

3. Un commentaire fiscal

Sur le plan fiscal puisque tout est parti de là, Macron a déjà fait l’essentiel des choix. Ces choix conduisent à une hausse généralisée du pouvoir d’achat comme le montre l’INSEE, mais très inégale. La moyenne cache des gains modestes pour beaucoup et qui devraient se matérialiser surtout en 2019. D’autre part les ultra-riches sont grands gagnants, ce qui renforce le sentiment d’injustice. Une fois de plus l’ISF concentre les critiques. Personnellement j’étais favorable à sa suppression car il y a des moyens beaucoup plus efficaces de taxer les riches (voir la série “Réformer la France” que j’ai commencé). Mais pour cela il fallait engager une vraie réforme fiscale progressive. Sinon, cela donne l’impression que les pauvres sont plus mis à contribution que les riches, ce qui est insupportable. On ne rappellera jamais assez que la justice fiscale est l’une des clés de la justice sociale. Les révolutions américaines et françaises étaient au départ portées par des motifs fiscaux, ‘no taxation without representation’ aux États-Unis et les privilèges de la noblesse en France, que Louis XVI avait essayé d’abolir mais sans y parvenir. La révolution accouchera d’un principe fondamental, ‘à revenu égal, impôt égal’ aujourd’hui largement bafoué avec les niches fiscales diverses.

Le sociologue Alexis Spire rappelle cela dans un livre intitulé Résistances à l’impôt, attachement à l’Etat (2018). Il met en évidence un fort sentiment d’injustice fiscal chez les classes populaires et moyennes inférieures. Le système fiscal est peu connu et mal compris : par exemple la plupart des enquêtés de Spire ne connaissaient pas la CSG et ne pensaient pas payer cet impôt. L’impôt sur le revenu est le plus médiatisé alors qu’il ne représente que 25% des prélèvements. Le numérique et la plus grande efficacité du fisc fait que les fraudes artisanales sont rendues plus difficiles. Enfin les classes populaires bénéficient de peu de niches, ce qui donne le sentiment de ne pas maîtriser l’impôt et de le subir. C’est d’autant plus vrai quand, en face, les services publics sont jugés peu efficaces (il n’y a qu’à voir l’état de notre école dans les classements internationaux) ou sont relocalisés 50 km plus loin. Inversement, les classes supérieures soutiennent le plus souvent l’impôt : ils en paient certes bien plus que les autres mais cela impacte beaucoup moins leur revenu et leur pouvoir d’achat. De plus, ils bénéficient massivement d’exemptions diverses (toutes ne sont pas justifiées) ce qui donne le sentiment de maîtriser l’impôt, de passer un contrat avec l’État. Il faut donc à la fois améliorer le système fiscal (supprimer quelques niches, élargir l’assiette de l’IRPP, réduire le nombre d’impôts, augmenter la progressivité, taxer moins les revenus et davantage le patrimoine…) et améliorer les services publics.

Peut-on avoir à la fois moins d’impôts et plus de service public ? Alexandre Delaigue fait remarquer sur Twitter que c’est possible à une condition : plus de croissance. Seule la croissance économique peut financer plus de services publics avec moins de prélèvements. On peut toujours ergoter sur le fait de rendre les services publics plus efficaces. C’est important. On peut aussi “taxer davantage les riches” (c’est un énorme raccourci, mais allons-y). Mais croire qu’on va financer le système social français avec uniquement les impôts des riches est juste une vague utopie d’extrême gauche. A terme le problème de financement finit par se poser. On ne peut pas augmenter le taux global de prélèvements. Donc il nous faut plus de croissance ? Sûrement, mais outre que ça ne se décrète pas, on est aussitôt accusé de saccager l’environnement.

4. Un commentaire environnemental

Vous commencez à comprendre ? L’équation plus de protection de l’environnement + plus de pouvoir d’achat + moins de prélèvements est insoluble. La réduction des inégalités est absolument essentielle, bien sûr, et contribue à huiler les termes de l’équation. Mais elle ne la résout pas. Si l’on suit les thèses décroissantes, les pays riches doivent diviser leurs revenus par deux pour sauver la planète. Au minimum. Pour ne prendre qu’un exemple, la biocapacité de la Terre est estimée à 1,8 ha par habitant (c’est une moyenne évidemment). L’empreinte écologique du Français est de plus de 5 hectares. Revenir à 1,8 signifie que le Français moyen doit avoir le niveau de vie de l’Irak, du Guatémala ou de la Moldavie. Autant imaginer un mouvement Gilets Jaunes puissance mille. De plus je n’ai encore lu aucune analyse décroissante capable de réconcilier démocratie et environnement. Quelques auteurs lus ici ou là (l’économiste Denis Meadows, le physicien Aurélien Barrau) se sont montré au contraire très clairs sur le fait que la démocratie avait échoué à traiter le problème environnemental et donc qu’il nous faudrait une bonne dictature verte (c’est encore dit à mots couverts, mais ça vient). Le pire c’est qu’ils ont raison. Il n’y aura pas de changement radical des comportements sans dictature verte, et comme personne ne veut d’une dictature verte, il n’y aura pas de changement radical des comportements. Si bien que comme le dit Delaigue, avec plus de croissance (une croissance radicalement moins carbonée, bien sûr) l’environnement a peut être une chance. Sans, il n’en a aucune. Si les gens sont prêts à se geler les miches trois weekends de suite pour préserver leur pouvoir d’achat, vous croyez vraiment qu’ils vont accepter qu’on leur impose d’arrêter la voiture, de devenir tous végétariens, entre autres restrictions pour harmoniser leur empreinte écologique sur celle de l’Irak ?

5. Un commentaire politique

On a beaucoup vu ces derniers temps une revendication plus politique, celle de davantage de démocratie directe. Le mépris dont suinte Macron à l’égard des classes intellectuellement, scolairement, et économiquement inférieures à lui y est pour beaucoup (traverser la rue pour trouver un travail, Gaulois réfractaire, etc.). On entre dans le domaine du symbolique (le déni de reconnaissance), mais pas que.

En effet la Vème République conçue par les gaullistes souffre d’un déficit démocratique bien connu. Et ça ne s’est pas arrangé depuis 2000. La réforme du quinquennat a été l’une des pires réformes politiques récente. A l’époque personne n’avait vraiment compris l’enjeu, et le taux d’abstention au référendum  a été de plus de 60% ! Certains pouvaient même naïvement penser que cinq ans au lieu de sept, cela affaiblit le pouvoir du Président. Pourtant c’est au contraire l’une des réformes qui a le plus renforcé les pouvoirs du chef de l’Etat en supprimant totalement la possibilité d’une cohabitation. S’il y a bien une revendication des Gilets Jaunes que je partage c’est une réforme constitutionnelle. Pas la République parlementaire populiste que voudrait Mélenchon évidemment. Il faut redonner la possibilité au peuple de censurer un gouvernement jugé impopulaire. Pour cela, il faut redécaler les élections législatives et présidentielles. Si le peuple est mécontent, il porte l’opposition à l’Assemblée à mi-mandat exactement comme aux États-Unis. Je suis favorable à une régime à l’américaine : suppression du poste de premier ministre qui toute façon ne joue aucun rôle politique en France (vous avez vu Philippe mentionné sur les banderoles, vous ?). La France a une tradition de sauveur providentiel (Napoléon, De Gaulle…), on le porte aux nues puis on adore le détester. Autant l’assumer. Donc le Président devrait être chef de l’Etat et du gouvernement. En contre-partie on supprime le droit de dissolution et l’immunité présidentielle.

Les institutions françaises sont à l’agonie. Les enquêtes du CEVIPOF à ce sujet sont édifiantes. Plusieurs institutions régaliennes (police, armée, école, Sécurité sociale) trouvent grâce aux yeux des Français, mais ça reste très dégradé, en particulier pour les syndicats, les médias et les partis, pourtant piliers de la démocratie. On ne peut pas décréter la confiance dans les institutions. Mais on peut redonner du souffle démocratique en renforçant la souveraineté populaire, même en dehors de toute considération européenne, si l’on parvient à réduire la personnalisation du pouvoir dont jouit le chef de l’Etat, que l’on redonne du pouvoir au parlement et que l’on renforce les corps intermédiaires.

 

5 réflexions sur “Cinq commentaires sur les Gilets Jaunes

  1. Bonjour,
    votre article est tout d’abord très intéressant, comme la plupart de ceux du blog (excepté ceux qui parlent d’économie « dure », un sujet que je trouve assez aride et austère).
    Permettez-moi d’apporter les observations suivantes :
    1) Intro – comparaison avec les émeutes de 2005 : pour moi il y a une différence fondamentale. Les émeutes de 2005 étaient violentes et spectaculaires, mais elles se limitaient à une catégorie particulière de la population : les habitants des banlieues « HLM », souvent originaires d’Afrique ou du Maghreb. Elles n’avaient pas de revendication affichée (sinon peut-être dénoncer la stigmatisation de ces populations par la police, les pouvoirs publics… les émeutes avaient d’ailleurs eu pour origine la mort accidentelle de 2 adolescents qui cherchaient à échapper à la police). Et aucun milieu professionnel, syndical ou politique ne s’est approprié cette cause (hors des groupes estampillés « banlieue »).
    2) Observations complémentaires sur la sociologie : je ne suis pas sûr qu’il y ait une corrélation entre niveau d’études et réussite professionnelle, beaucoup de personnes peu ou pas diplômées occupent des postes élevés (au moins dans le privé, où il n’y a pas de sélection par le concours). Un grand nombre de patrons importants n’ont pas de bac ; pour ne citer que des figures médiatisées, voir l’article suivant : https://www.lesechos.fr/05/07/2016/lesechos.fr/0211001566834_ces-patrons-qui-ont-reussi-sans-le-bac.htm
    Mais il n’en reste pas moins que la société française pratique un vrai culte du diplôme, en avoir un correspond un peu, dans l’imaginaire collectif, à l’appartenance à une élite, une caste (supérieure?) ; c’est par ailleurs une source de frustration pour les diplômés qui n’ont pas ou peu réussi (surtout par rapport à des moins diplômés qu’eux-mêmes). Il est possible (mais vous pourrez peut-être confirmer ou infirmer) que d’autres sociétés attachent une bien moindre importance aux diplômes : je pense aux Etats-Unis, qui n’ont aucune tradition nobiliaire ni méritocratie organisée par l’Etat (modèle napoléonien).
    Ajoutons la « dévaluation » de certains diplômes : un bac de 1960 ne vaut pas un bac de 2018, l’objectif de 80% de bacheliers, un temps énoncé par le gouvernement, est passé par là… et l’équation est singulièrement compliquée.
    Mais après tout, même l’Inde compte au moins autant d’Intouchables riches que de Brahmanes pauvres…
    3) L’écologie : ah un autre sujet intéressant. Il aurait mérité d’être davantage traité ne serait-ce que par rapport au « déclencheur » du mouvement des Gilets Jaunes (la taxe sur les carburants), et aux notions de justice et d’égalité dont vous aviez récemment parlé (égalité devant l’impôt, justice climatique… à une échelle internationale mais aussi nationale).
    Il est étonnant de voir que le mouvement Gilets Jaunes reçoit une certaine adhésion d’une PARTIE des mouvements et personnalités écologistes (je pense à Royal, Hulot… qui ont eu des responsabilités dans le domaine environnemental et/ou le militantisme ; mais aussi à des personnes plus anonymes). Voir par exemple : https://www.novethic.fr/actualite/energie/transition-energetique/isr-rse/pour-nicolas-hulot-la-crise-des-gilets-jaunes-etait-evitable-si-le-gouvernement-avait-su-reconcilier-ecologie-et-social-146595.html
    Personnellement je vois aussi l’échec d’une certaine idée de l’écologie, basée sur le catastrophisme et la dénonciation de la « modernité », dominante dans le discours médiatique et politique actuel, et partagée par un grand nombre de chapelles : malthusiens, décroissants, etc… Elle a des origines anciennes (selon moi, il faut au moins en trouver les racines chez Rousseau et les romantiques ; à l’étranger chez des penseurs comme Thoreau et les völkisch [conservateurs et nationalistes] allemands ; il y a sans doute des sources idéologiques plus anciennes mais je ne les connais pas suffisamment bien).
    Voir l’article suivant : http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/l%E2%80%99ecologie-un-refus-des-lumieres/2630
    Cette vision de l’écologie, pessimiste par essence et utilisant à outrance un vocabulaire effrayant, se complaît dans son échec : elle se f*** des actions pragmatiques (par exemple chercher à réduire les consommations énergétiques des transports, du bâtiment ou de l’agriculture pour un niveau de confort ou de productivité équivalent), encore plus de l’épanouissement humain (horreur !), recherchant plutôt l’expiation des péchés passés, présents et futurs de l’Humanité et de la civilisation industrielle/moderne (en ce sens, j’avoue que la tonalité de l’encyclique du pape François m’a profondément attristé, alors que je suis de confession catholique). C’est aussi un trait qui fut symptomatique du « hulotisme » : l’intéressé traitant avec un certain mépris les progrès obtenus sous son ministère (abandon de Notre-Dame-des-Landes, objectif d’interdiction à terme de la prospection pétrolière et gazière, loi Biodiversité) tout en se centrant sur la dénonciation des affreux lobbies (me dites pas qu’il ignorait leur existence au moment d’entrer dans le gouvernement). C’est enfin un discours qui est perçu comme punitif et « clivant » dès lors qu’il ne propose pas de solution acceptable (cf. revenir au niveau de développement de l’Irak ?).
    Quant aux décroissants, je rajouterais qu’il n’y a jamais eu de société décroissante et épanouie, les pays qui ont connu une diminution de leur richesse ont aussi connu des tensions fortes, qui vont de pair avec une pression accrue sur les ressources naturelles (et une défaillance de l’Etat qui empêche toute action sérieuse de la part des pouvoirs publics) : c’était la Russie des années 90, c’est le Venezuela d’aujourd’hui.
    L’écologie mérite mieux que ça, elle a clairement besoin d’un récit plus mobilisateur, et d’être associée à des émotions positives. Des progrès indéniables ont déjà été réalisés (ex. : la résorption progressive du trou d’ozone suite au protocole de Montréal, mais aussi des actions plus locales telles que l’amélioration de l’état de rivières, la restauration de forêts ou autres espaces naturels, le rétablissement d’espèces menacées) et ceci sans avoir à revenir 300 ans en arrière. On peut parier raisonnablement que d’autres le seront dans le futur, à condition qu’elles ne soient pas vécues comme une contrainte (avec comme effet collatéral une confiance retrouvée en l’avenir).
    J’irai jusqu’à parler de « développement durable désirable » ; j’avais créé un blog consacré à ce sujet, actuellement en sommeil faute de temps disponible : http://ecoloptimiste.over-blog.com/
    Récemment, la fin des véhicules a moteur thermique a fait les gros titres de l’actualité (et pas seulement en France) non sans polémiques (les gilets jaunes n’étaient pas loin !). Mais au-delà de la voiture prise isolément, c’est aussi l’attractivité d’un modèle urbain qui est à repenser (préférer construire des maisons dans les bourgs et villes, là où il y a des services publics, des commerces, etc… plutôt que sur des champs loin de tout, ce qui se traduit par des surcoûts en matière de chauffage, de carburant, de ramassage des ordures…). On voit ici que les problématiques écologiques rejoignent AUSSI le social et l’économie, que les solutions possibles passent par un choix de développement parmi plusieurs possibles, et que l’acceptation d’un choix par rapport à un autre joue un rôle central (je parlerais « d’effet Parmentier »* par comparaison avec la pomme de terre, présente sur toutes les tables aujourd’hui mais rejetée dans le passé !).
    Bien à vous.
    *peut-être que j’invente ici une nouvelle expression !

  2. Bonjour.
    Je réagis encore une fois, concernant l’écologie, par rapport au “Green New Deal”, porté par une nouvelle génération de leaders aux US, surtout depuis les élections de novembre dernier (quasiment au moment où les gilets jaunes sont apparus en France, coïncidence!). Peut-être que la présidence Trump (et la défaite d’Hillary Clinton) leur a permis d’émerger plus aisément, mais ceci est une opinion personnelle !
    En tout cas voici un mouvement écologiste radical, mais pas élitiste ni décroissant, et surtout pragmatique, sans le prêchi-prêcha typique de cette idéologie politique. Une voie à suivre pour d’autres pays ?
    https://www.theguardian.com/commentisfree/2019/feb/07/green-new-deal-climate-change-us-politics
    Sachant que vous vous intéressez à la politique américaine, en avez-vous entendu parler ?
    Bien à vous,
    Alexis

  3. Pingback: Etat social : le grand paradoxe – Des hauts et débats

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