Conclusion : des façons d’utiliser la Raison

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La foi n’est ni une science, ni une superstition

Ni les religions ni les superstitions ne font partie du domaine de la raison scientifique, c’est acquis. Au premier abord, on remarque la différence théorique importante entre ces trois façons d’accéder à la réalité. Il n’y a aucun doute que la méthode scientifique est le plus haut degré de la rationalité, dans le sens où elle permet d’aborder le réel avec le plus d’exactitude, avec le moins de subjectivité possible. Comment pourrait-on dire autre chose, nous qui fondons bien des aspects de notre vie sur la science et ses vérités, dont nous sommes si certains qu’elle en a démontré l’objectivité ? Si j’ai une maladie cancéreuse, j’irais voir un cancérologue ou un chirurgien diplômé ayant suivi une formation scientifique, plutôt que d’aller voir un prêtre qui m’assure qu’il va prier pour ma guérison. A l’extrême inverse, certaines superstitions primaires, certains comportements guidés par une émotion totalement pulsionnelle se situent tout en bas dans l’échelle de la raison humaine. Par exemple, quand une foule lynche un individu, comme les albinos qui sont pourchassés dans certaines  régions d’Afrique.

Qui y-a-t-il entre les deux ? Rien, répondent les scientistes. Ce n’est pas mon avis. C’est justement l’erreur du scientisme de nous faire croire qu’on doit choisir entre le chirurgien et le prêtre, entre la raison et la foi, qu’il est impossible pour un esprit scientifique d’avoir la foi, alors que des millions d’exemples montrent le contraire. Primo, il y a différentes façons d’être, d’avoir un rapport avec le monde ; exprimer des émotions, des passions, des sentiments n’est pas forcément plus méprisable qu’utiliser son intelligence. Intelligence qui n’est d’ailleurs pas réductible à la raison : il y a des intelligences émotionnelles, des passions constructives (comme l’engagement politique). Il y a différentes intelligences. Enfin, la raison elle-même n’est pas réductible à la méthode scientifique, cette dernière ne pouvant d’ailleurs pas garantir l’accès à une objective parfaite, indépendante du sujet connaissant.

L’humanité est parvenue à identifier des galaxies à des années lumière d’ici, à étudier des particules plus petites qu’un atome, mais nous n’avons toujours pas élucidé le mystère de ce kilo et demi de matière qui se trouve entre nos deux oreilles. Barack Obama

Il y a une sorte d’orgueil scientifique dans le scientisme, qui n’est pas absurde au plan épistémique, mais le devient au plan sociologique : où trouve-t-on le plus d’égocentrisme, les querelles méthodologiques les plus nuisibles, les affrontements les plus stériles pour obtenir des fonds de recherche, si ce n’est dans les communautés scientifiques, franchement ? qui, après avoir observé d’un œil extérieur une communauté scientifique donnée, avec ses conflits d’intérêt, ses biais méthodologiques, ses publish or perish, ses modes, ses hiérarchies informelles, ses  réseaux de pouvoir, ses querelles de chapelle, ses égos surdimensionnés, peut sérieusement croire à la dominance absolue de la science dans tous les domaines de la connaissance du réel ?

Le scientisme voudrait étendre l’empire de la science à des domaines qui lui seront toujours inaccessibles et, sous prétexte qu’un domaine de la réalité n’est pas falsifiable au moyen d’une expérimentation, conclut trop vite qu’il n’existe pas. En cela il se rapproche des fondamentalistes qui eux aussi, veulent entraîner la science sur un domaine qui n’est pas le sien, pour justifier la religion. Le philosophe Bertrand Souchard affirme fort justement :

Il faut bien distinguer évidence objective et certitude subjective. L’athée et le fondamentaliste confondent les deux. Parce que la foi n’est pas évidente, l’athée pense qu’elle est incertaine ; parce que la foi est certaine, le fondamentaliste pense qu’elle est évidente. Les contraires sont du même genre. Les athées en restent à une première non-évidence, les fondamentalistes à une première certitude.

On ne peut pas démontrer que Dieu existe, cela ne fait aucun doute ; mais on peut démontrer que la foi est recevable par la raison, nuance. Ainsi que le disait Pascal :

La dernière démarche de la raison, c’est de reconnaître qu’il y a des choses qui dépassent la raison.

Dénoncer l’obscurantisme, le fondamentalisme et l’ignorance quand on en voit est nécessaire, refuser l’erreur ne suffit pas pour penser juste, ainsi que le résumait le cardinal Newman. D’ailleurs, le rationalisme n’a jamais garanti le respect des droits humains fondamentaux. Même au plan méthodologique, il risquerait d’entraîner la science sur la voie de l’autoritarisme (seule cette méthode est valable) alors qu’il y a toujours eu différentes manières de faire progresser la science. Parfois, l’intuition première se confirme quand le scientifique met en œuvre une expérimentation adéquate. Parfois, l’expérimentation s’oppose à l’expérience première (ce que Bachelard appelait « l’obstacle épistémologique ») et produit un résultat contre-intuitif (cas type de la chute des corps en physique) ;  parfois, une anomalie dans le modèle implique de faire évoluer la théorie et parfois, de revoir l’expérimentation. Bref, in fine c’est aux scientifiques de trancher entre les bonnes et les mauvaises méthodes.

La foi peut être raisonnable

L’existence de la philosophie montre qu’un discours rationnel est possible en dehors d’une stricte expérimentation scientifique. L’existence de la théologie montre qu’un discours rationnel est possible sur la foi, une introspection de l’homme raisonnable capable d’utiliser son intelligence sans rien renier de sa foi. La foi en Dieu ne représente pas un degré de rationalité significativement différent de l’athéisme. Il en va dans les deux cas d’une position métaphysique. Bien sûr, le scientiste n’est pas d’accord avec cette affirmation. Mais il en reste à un plan très théorique.  Si c’était vrai, l’humanité aurait finit par se diviser en deux camps : à ma gauche, les intelligents, athées ; à ma droite, les imbéciles, croyants. De toute évidence, il y a des personnes intelligentes et des idiots, des génies et des débiles, des saints et des médiocres dans les deux camps (quand bien même on pourrait parler de deux camps). L’opposition entre foi et raison n’est pas la bonne approche, puisqu’elle explique si mal le réel.

Les questions métaphysiques et philosophiques sont des questions universelles. Pourquoi sommes nous sur cette Terre ? D’où vient le monde ? Comment bien se comporter ? Qu’est-ce que la justice ? y-t-a-il une vie après la mort ? La science, la plupart du temps, n’a pas grand chose à dire sur ces questions, et ceux qui veulent lui faire dire ce qu’elle ne peut pas dire instrumentalisent la science. La religion n’a pas pour autant le monopole des réponses à ces questions. Des philosophies, des spiritualités de toutes sortes peuvent s’y intéresser et en dire des choses pertinentes. D’ailleurs, si le recul de la religion (c’est-à-dire d’une appartenance à un culte institué) est très visible dans le monde occidental et en France en particulier, cela ne signifie nullement le recul des croyances religieuses.

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Et quand la théologie semble absurde ?

Comme je l’avais déjà affirmé (lien), la théorie du NOMA distinguant l’approche scientifique (comment) et l’approche religieuse (pourquoi) est très utile, mais limitée. Les religions que l’on trouve dans le monde ne sont pas simplement des philosophies de vie ou des manuels de bonne morale, mais des systèmes qui affirment des vérités très précises sur la réalité. Une Révélation religieuse implique aussi une adhésion à des affirmations sur la réalité. Un catholique fervent croit non seulement en Dieu –c’est-à-dire en un être Tout-puissant et invisible, à l’origine du monde– mais encore en la possibilité d’une conception virginale et d’une résurrection, en l’existence du Diable, des anges et des démons, etc. Toutes choses insoutenables sur le plan scientifique, car rétives à l’expérimentation méthodique, et même à la plus simple des expériences.

Beaucoup de gens raisonnables peuvent penser que si les croyances individuelles sont compatibles avec la science (en tant qu’elles répondent à des questions existentielles ou qu’elles sont des « praxiologies », donnant des repères pour bien se comporter), ce n’est pas le cas des religions instituées qui, en raison de leurs théologies révélées et donc de leurs dogmes, s’opposent à la science. Par exemple, une réflexion superficielle pourrait assimiler les dimensions surnaturelles de la théologie religieuse à de la magie superstitieuse. On peut penser à la possibilité de miracles (exemple : Lourdes) ou plus encore à la croyance catholique que le pain de messe se change substantiellement en corps du Christ, c’est-à-dire que Dieu, dans toutes les dimensions de son être, est présent dans le pain.  N’est-ce pas là aussi une superstition ? Il existe pourtant, au strict plan culturel et historique, de nombreuses différences : le rituel catholique est public (et non secret, comme souvent avec les choses magiques) ; il est basé sur les Évangiles, des témoignages connus de tous et que tous, croyants ou non, peuvent lire et étudier (et non sur des formules inintelligibles qu’il est inutile de chercher à comprendre), dans une communauté qui répète les mêmes rites depuis le début (et non avec divers magiciens que l’on change selon l’efficacité de la formule), gratuitement (et non en payant), dans un but d’édification de l’âme (et non pour avoir un pouvoir que l’on peut exercer pour manipuler autrui), et compris comme la soumission d’une communauté à la volonté autonome de Dieu (et non comme un pouvoir appartenant à l’homme qu’il peut utiliser à discrétion).

J’ai pris un exemple sans vraiment répondre à la question : est-ce que la théologie des grandes religions ne va pas trop loin, en affirmant des réalités parfaitement invérifiables, à la limite du farfelu, l’existence des anges, la possibilité de revenir à la vie après être mort, l’existence de l’âme, l’idée d’une conception virginale dans le christianisme ? N’est-ce pas antiscientifique ? La réponse profonde à cette question n’est pas du ressort de cet article, ce serait précisément entrer dans la théologie. Je ne peux que répéter ce que j’ai dit précédemment : ce qui n’est pas vérifiable par la science peut être vrai ou faux, simplement, la science ne peut pas se prononcer. On peut sans difficulté classer la croyance en l’existence des fées ou des licornes roses invisibles à trois têtes dans la catégorie “fable”, parce qu’elle farfelue, fort peu partagée, sans intérêt culturel et philosophique (notez que la croyance aux licornes roses à trois têtes a été inventée par moi-même pour les besoins de cet article). Cela n’a aucun rapport, même de loin, avec tout ce que la riche culture des religions a produit depuis plusieurs millénaires. Ceux qui le contestent n’ont qu’une approche très superficielle des religions, réduites à quelques caricatures dans les médias, le plus souvent extrêmement ignorants en matière de théologie ou d’histoire religieuse. Ne sont-ce pourtant pas les mêmes qui admirent l’art juif, chrétien, musulman ou bouddhiste quand ils sont en vacances ? Qui aiment les cathédrales romanes, les peintures de Michel-Ange ou le Kyrie de Bach ? Des artistes si géniaux peuvent-il être en même temps de profonds imbéciles ? La riche histoire des religions, tant au plan culturel que métaphysique, tant les peintures que les dogmes, rendent les religions et donc les vérités religieuses indubitablement plus intéressantes, et moins farfelues, que la croyances aux fées. Pour le voir, qu’on soit croyant ou non, il faut s’instruire en matière religieuse.

Donc, je ne réponds pas réellement à la question que je pose, parce que répondre réellement supposerait de faire de la théologie. Comme ce n’est pas l’objet de cet article, je m’en tiendrais à quelque chose de très simple. Saint Augustin disait que la foi précède l’intelligence ; l’intelligence est nécessaire pour éclairer la foi mais ne peut s’y substituer : c’est d’abord une question de cœur, de confiance, pas de connaissance. Le petit enfant qu’est l’homme face à Dieu peut-il faire autrement ? Ce n’est pas nous qui faisons le premier pas, et en matière de religion, l’expérience de la relation à l’Autre précède de très loin l’adhésion intellectuelle à des idées ou à des valeurs. La raison est toujours utile, mais on ne devient jamais croyant parce qu’on a été convaincu par des arguments rationnels. La foi est une Rencontre, pas un raisonnement. Le dernier mot sera pour le grand écrivain CS Lewis  :

Un jour, un vieil officier coriace se leva pour me dire : « Je suis une personne croyante, je sais que Dieu existe. J’ai ressenti sa présence, seul, au désert, la nuit et dans le mystère du silence. Et c’est justement pourquoi je ne crois pas en vos gentils petits dogmes le concernant. Quiconque a rencontré la Réalité les trouve tous si mesquins, pédants et irréels ! » D’une certaine façon, je suis tout à fait d’accord avec cet homme. (…) Passant de l’expérience de la présence de Dieu aux doctrines chrétiennes, on passe d’une chose réelle à une chose moins réelle. De même un individu qui contemple l’Atlantique depuis la plage puis consulte la carte de l’océan passera probablement du réel au moins réel, des vagues véritables à du papier imprimé en couleur. (…) La carte, évidemment, n’est qu’une feuille de papier, mais il faut se souvenir de deux choses. Premièrement, elle est basée sur les innombrables découvertes des navigateurs ayant traversé l’Atlantique. Elle est le fruit d’une somme d’expériences aussi réelles que celle de l’homme sur la plage ; seulement, alors que la sienne n’est qu’un coup d’œil isolé, la carte offre la synthèse de ces différentes expériences. En second lieu, si on veut naviguer, une carte est indispensable. Tant qu’on se contente de promenades sur la plage, il est plus agréable de regarder la mer que de contempler une carte. Mais si on veut atteindre l’Amérique, une carte rendra plus de service que des promenades sur la grève.

La théologie est semblable à une carte. (…) Les doctrines ne sont pas Dieu, mais une sorte de carte établie d’après l’expérience de centaines de gens qui ont réellement eu contact avec lui. (…) De plus, aujourd’hui, tout le monde lit et écoute les débats d’idées. Par conséquent, ne pas s’intéresser à la théologie ne signifie pas qu’on ait pas d’idées personnelles sur Dieu, mais plutôt que beaucoup d’entre elles sont fausses, confuses et désuètes, celles que de vrais théologiens ont examiné et rejeté voilà des siècles.

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