Le Sermon sur la montagne
Rappel : chacune des affirmations qui suivent est longuement justifiée par Meier au long de ses ouvrages et à l’aide des méthodes mentionnées supra. Comme indiqué précédemment, je me contenterai de les reprendre sans les justifier, à l’exception des débats les plus polémiques. L’ensemble de ma synthèse est déjà bien assez long comme ça ! Le lecteur intéressé voudra bien se reporter directement à la lecture du livre dont j’écris ici la note de lecture et des autres que je cite.
B. Naissance et famille, grandes lignes du ministère
Jésus de Nazareth est né probablement à Nazareth en Galilée (plutôt qu’à Bethléem en Judée) quelques années avant la mort du roi Hérode le Grand, soit vers 6 ou 7 av. J-C. Cela signifie que Jésus-Christ est né… avant Jésus-Christ, du fait d’une erreur de calcul datant du Moyen-âge. Son nom, Yēshûa’, est un diminutif de Yěhôshûa’ (Josué) qui signifie « Dieu sauve » en hébreu. Sa mère s’appelait Marie (Myriam ou Miriam) et son père Joseph (Yôsēf), qui était charpentier. Il avait probablement (cf. infra) quatre frères et un nombre inconnu de sœurs. Contrairement à la vision hollywoodienne d’une Palestine traversée en permanence par les violences, la région dans laquelle grandit Jésus connaît une paix relative. Il n’y aura pas de changements de gouvernement, tant sur le plan local (le tétrarque de Galilée, Hérode Antipas, le grand-prêtre, Caïphe, le préfet de Judée, Ponce Pilate resteront en place tout au long du ministère et une bonne partie de la vie de Jésus) qu’international (l’empereur romain Tibère gouverne de 14 à 37).
Du point de vue familial et personnel, on peut noter que Jésus savait probablement lire. Il parlait l’araméen comme les gens de sa région, mais connaissait aussi l’hébreu (au moins pour lire la Torah), et avait peut être quelques rudiments de grec. Parmi les autres points intéressants, et notamment ceux qui distinguent Jésus d’autres prophètes ou prédicateurs de son temps, notons que Jésus était et est resté célibataire, ce qui était une chose largement inhabituelle et faisait d’emblée de Jésus un personnage atypique parmi les Juifs de son temps. Cependant, le célibat, s’il était très rare, n’était pas totalement inconnu dans la culture juive de cette époque (cf. Jean Baptiste, quelques esséniens).
Jésus était issu d’une famille modeste que nous qualifierions aujourd’hui de pauvre, comme l’immense majorité de ses contemporains, quoique pas miséreuse ou tout en bas de l’échelle sociale, comme les travailleurs journaliers ou les esclaves. « Après une éducation ordinaire dans une famille pieuse des Juifs ruraux de basse Galilée, il fut attiré par le mouvement de Jean Le Baptiste ; celui-ci commença son ministère vers la fin de l’année 27 de notre ère ou au début de l’année 28. Baptisé par Jean, Jésus suivit rapidement sa propre voie et commença son ministère public au début de l’année 28, alors qu’il avait environ trente-trois ou trente-quatre ans. Il partageait régulièrement son activité entre sa région d’origine de Galilée et Jérusalem (y compris la Judée environnante) ; et il montait régulièrement à la ville sainte pour les grandes fêtes, alors que les foules de pèlerins lui assuraient la présence d’un large public, qu’il n’aurait peut être pas atteint autrement. Ce ministère dura pendant deux ans et quelques mois. En l’an 30 de notre ère, alors que Jésus était à Jérusalem pour la fête de Pâques qui approchait, il sentit, semble-t-il, que l’hostilité des autorités du Temple de Jérusalem grandissait à son égard et parvenait à son paroxysme. Il célébra un repas d’adieu avec le petit cercle de ses disciples les plus proches ; c’était le jeudi soir 6 avril selon notre calendrier moderne (…). Arrêté à Gethsémani dans la nuit du 6 au 7 avril, il fut d’abord interrogé par quelques responsables Juifs (sans doute pas l’ensemble du Sanhédrin) puis livré à Pilate dans les premières heures de la matinée du 7 avril. Pilate le condamna rapidement à mort par crucifixion. Après avoir été flagellé et tourné en dérision, Jésus fut crucifié à l’extérieur de Jérusalem le même jour. Il mourut avant le soir du vendredi 7 avril 30. Il avait environ trente-six ans. » (John P. Meier, tome I, p. 260).
C. La question des frères et sœurs de Jésus
Cette question est abordée par Meier au tome I. De nombreux frères de Jésus sont mentionnés dans le Nouveau Testament : « Jésus parlait encore à la foule, quand sa mère et ses frères guettaient dehors pour avoir l’occasion de lui parler. Quelqu’un lui dit : Votre mère est là dehors ainsi que vos frères ; ils désirent vous parler. » (Mt 12,46-47) « D’où lui vient cela et quelle est cette sagesse qui lui est départie ? Et comment de si grands miracles s’accomplissent-ils par ses mains ? N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Et ses sœurs ne sont-elles pas ici parmi nous ? » (Mc 6,2-3) « C’est bien le fils du charpentier. Marie n’est-elle pas sa mère ? Jacques, José, Simon et Jude ne sont-ils pas ses frères ? Toutes ses sœurs vivent parmi nous…D’où lui vient donc tout cela ? » (Mt 13,55-56). En plus, Saint Paul parle de « Jacques, frère du Seigneur » dans son épître aux Galates (1,19). Même en dehors de la Bible, Flavius Josèphe évoque Jacques, le frère du Seigneur.
Alors, Jésus a-t-il eu des frères (et des sœurs) ? La question est hautement polémique dans la mesure où les positions sur le sujet divergent largement : le protestantisme accepte généralement l’idée de frères de sang de Jésus ; l’Église orthodoxe y voit plutôt des demi-frères, issus d’un mariage précédent de Joseph, en s’appuyant sur une tradition apocryphe, le protoévangile de Jacques ; l’Église catholique considère pour sa part que Jésus était fils unique (doctrine de la virginité perpétuelle de Marie), et que les frères et sœurs de Jésus mentionnés dans les Évangiles sont en réalité des cousins.
Les arguments catholiques reposent généralement sur l’idée que les Évangiles dont nous disposons sont des traductions grecques d’écrits hébreux voire araméens ; or, en araméen, le mot frère (āh’) veut dire aussi bien frère de sang que cousin, membre du clan, demi-frère… On trouve ainsi dans la Genèse de nombreuses occurrences du mot « frère » pour signifier en fait des alliés, des cousins, etc. Par exemple, Lot est clairement désigné comme le neveu d’Abraham (Gn 11, 27) mais ils s’appellent régulièrement « frères » (Gn 13,8, Gn 29,10, etc.). Un autre argument repose sur le fait qu’il y a plusieurs Marie (au moins trois) dans les Évangiles : Marc évoque ainsi « Marie de Magdala et Marie, mère de Jacques le mineur et de Joses, et de Salomé » (Mc 15,40). Jacques le frère de Jésus serait en fait la même personne que Jacques le mineur, le terme tou mikrou (en grec, le jeune, le petit) servant à le distinguer de Jacques de Zébédée, un membre des Douze. Il serait donc le cousin de Jésus et non son frère. Enfin, le dernier argument catholique repose sur la parole de Jésus à sa mère en Jean 19, 25. Au pied de la croix se trouvent donc plusieurs Marie : « Auprès de la croix se tenait sa mère, la sœur de sa mère, Marie femme de Clopas et Marie de Magdala. Jésus voyant sa mère, et auprès d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : Femme, voici votre fils. Ensuite au disciple : Voilà ta mère. A partir de ce moment-là le disciple la prit chez lui. » (Jn 19,25). Joseph étant mort, l’interprétation catholique de ce passage est que Jésus était fils unique : en effet, si Marie avait eu d’autres enfants, ils auraient pris soin d’elle conformément à la tradition juive, et Jésus n’aurait pas eu à la confier à un disciple.
Pourtant, John P. Meier, tout en restant fort prudent, considère que ces arguments catholiques sont largement contestables. Il insiste sur le fait qu’un argument basé sur l’étymologie hébraïque d’un mot est peu fiable dans la mesure où l’on n’a jamais retrouvé de manuscrits anciens hébraïques des Évangiles ; même si les Évangiles étaient tous des traductions d’originaux en hébreu/araméen, Paul, quant à lui, écrit directement en grec, or il évoque « Jacques, frères du Seigneur » (Ga,1) ou « les frères du Seigneur » (1 Co 9) en employant le mot pour dire frère de sang (adelphos) alors qu’il connaît parfaitement le mot pour dire cousin (anepsios), de même, d’ailleurs, que Josèphe ; que les frères et sœurs de Jésus sont toujours associés à sa mère dans une unité linguistique (« sa mère et ses frères »), ce qui n’aurait que peu de sens s’il s’agissait de cousins ; que le Nouveau Testament ne contient aucun exemple où adelphos signifie cousin : au contraire, à l’exception de quelques passages métaphoriques, le mot adelphos y est toujours employé pour parler d’un frère de sang ou d’un demi-frère ; que la réponse de Jésus (« ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique ») perd beaucoup de sa force s’il s’agissait de ses cousins (« ma mère et mes cousins…»). Enfin, la tradition selon laquelle Jésus est fils unique est tardive, datant de saint Jérôme au IVème siècle, postérieure à Nicée. L’idée que les frères de Jésus étaient ses vrais frères était assez répandue aux premiers siècles du christianisme, notamment chez les Pères (Hégésippe ou encore Tertullien qui y voyait une preuve de l’humanité du Christ contre le docétisme) et cela ne posait pas de problèmes : il est vrai que le dogme de la virginité perpétuelle n’avait pas encore été défini. Quant à Jean 19, 25, ce passage peut s’expliquer si les frères de Jésus, selon la parole de Jean 7,5, ne croyaient pas en lui. En conclusion, et tout en restant prudent, la conclusion historique la plus probable est que Jésus a eu de vrais frères et sœurs.
D. Le groupe de disciples de Jésus : Jésus a-t-il voulu fonder une Église ?
Autre point important, Jésus a constitué autour de lui un groupe restreint et organisé de douze disciples. A ce sujet il existe une polémique séculaire, celle de savoir si Jésus a voulu fonder une Église telle qu’elle (ou plutôt, qu’elleS) existe(nt) aujourd’hui. Meier montre que le groupe de disciples a été constitué et organisé d’une certaine façon, avec un nombre précis de personnes (douze, chiffre hautement symbolique par rapport à l’eschatologie juive), un chef (Pierre), etc. Notons qu’à part leur nom, leur nombre et parfois quelques informations supplémentaires, nous ne savons quasiment rien sur le groupe des Douze, à l’exception de Pierre. On sait en revanche que l’exigence demandée par Jésus à ses disciples était radicale, beaucoup plus radicale que les autres maîtres Juifs de l’époque : il s’agissait de tout abandonner et de le suivre physiquement, sans retour en arrière possible. On ne devenait pas disciple de Jésus par initiative personnelle : c’est Jésus qui appelait quelqu’un à le suivre et à devenir disciple. De plus, certaines caractéristiques spéciales distinguaient les disciples de Jésus des Juifs de leur temps : rejet du jeûne volontaire, pratique du baptême (issu de Jean, bien que d’après Jn 4,2, « Jésus lui-même ne baptisât pas, mais ses disciples »), rejet radical du divorce, prières spéciales (le « Notre Père »), fréquentation de toute la société juive, y compris les riches et les individus mal vus (collecteur de taxes, pécheurs, samaritains, prostituées…). Par contre, étonnamment, Jésus ne demande pas à ses disciples les plus proches d’être célibataires (Pierre, par exemple, était marié). D’autres individus, y compris des femmes mariées, le suivaient ou l’assistaient matériellement dans sa prédication itinérante, par exemple en l’accueillant et le nourrissant (cf. Marie, Marthe, Zachée…), sans pour autant faire partie des Douze et sans être explicitement nommés disciples. Cela peut être un machisme de la part des évangélistes, ou plus probablement le fait qu’il n’existe pas de mot en hébreu ou en araméen pour désigner une disciple femme. Après la mort de Jésus, certains des Douze et notamment Pierre ont continué à jouer un rôle majeur dans l’Église primitive.
Il y a donc des éléments évidents qui permettent de souligner que le groupe constitué par Jésus et ses disciples les plus proches était loin d’être une bande d’anarchistes religieux désorganisés. Au contraire Jésus avait prévu une structure, certes rudimentaire et mouvante (cf. Jean 6, 51), mais tout de même organisée, avec une hiérarchie puisque Pierre en était le chef. Le rôle de Pierre comme chef/porte-parole des apôtres est nettement souligné dans les Évangiles, et il l’est resté au moins jusqu’au premiers temps de l’Église primitive, avant d’être en partie éclipsé par d’autres, notamment Paul. Son vrai nom était Simon, c’est Jésus qui lui donne le surnom de Kēpā’, translittéré par Kēphas, traduit en grec par Petros (latin Petrus), soit Pierre. Que Pierre ait été institué directement chef des apôtres par Jésus ou non, à tout le moins ce dernier a accepté sa prééminence. On constate donc une continuité entre le groupe de disciples fondé et structuré explicitement par Jésus, et l’Église primitive telle qu’elle se constituera à sa mort. Sans aucun doute, l’Église telle qu’elle s’est constituée à la mort de Jésus, puis telle qu’elle s’est organisée et est devenue au fil des siècles la première religion du monde, n’aurait pas existé sans le personnage historique fondateur qu’est Jésus.
De là à conclure que Jésus a explicitement voulu fonder une Église telle qu’elle existe ou a existé, il y a un pas que Meier ne franchit pas. Ainsi qu’il conclut la première partie du tome III, « il faut se confronter honnêtement aux éléments importants de discontinuité ». Ces éléments sont par exemple le message universel du christianisme (catholique vient du grec et signifie « universel »), alors que les contacts entre Jésus et les païens sont rarissimes, plusieurs paroles de Jésus (Matthieu 10 et 15, par exemple) laissant entendre qu’il concevait son message comme s’adressant d’abord « aux brebis perdues de la maison d’Israël », et non aux « gens des Nations ». C’est certainement le (relatif) échec de la prédication chrétienne post-pascale auprès des Juifs qui poussera les premiers chrétiens, au premier rang desquels Paul, à s’adresser à tout le monde et à défendre l’universalité de la venue du Christ, y compris donc pour les païens. En 1985, la commission théologique internationale du Vatican, dans un document sur « La conscience que Jésus avait de lui-même et de sa mission », écrit ainsi : « Jésus a-t-il voulu fonder l’Église ? Oui, mais cette Église, c’est le Peuple de Dieu qu’il rassemble d’abord à partir d’Israël, à travers lequel il vise le salut de tous les peuples. Car c’est d’abord « vers les brebis perdues de la maison d’Israël » (Mt 10, 6 ; 15, 24) que Jésus se sait envoyé et qu’il envoie ses disciples. Une des expressions les plus poignantes de la conscience qu’avait Jésus de sa divinité et de sa mission est cette plainte (la plainte du Dieu d’Israël !) : « Jérusalem, Jérusalem…, que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble sa couvée sous ses ailes et vous n’avez pas voulu ! » (Lc 13, 34 ; cf. 19, 41-44). C’est Dieu (Yahvé), en effet, qui, dans l’Ancien Testament, cherche sans cesse à rassembler les enfants d’Israël en un peuple, son peuple. C’est ce « vous n’avez pas voulu » qui changea non pas l’intention mais le chemin que prendra la convocation de tous les hommes autour de Jésus. Ce sera désormais principalement le «temps des païens» (Lc 21, 24 ; cf. Rm 11, 1-6) qui marquera l’Ecclesia du Christ. »
Meier résume tout cela en écrivant : « Alors que l’Église primitive telle que nous la connaissons ne serait pas venue au jour sans que le ministère du Jésus historique en soit une condition préalable nécessaire, ce n’est pas le ministère de Jésus comme tel qui a créé l’Église primitive. La matrice immédiate de l’Église est la crucifixion de Jésus, l’affirmation par quelques-uns de ses disciples qu’il était ressuscité des morts et leur était apparu et leur [affirmation d’une] expérience d’une effusion de l’Esprit Saint, qui a déclenché une mission vigoureuse en direction d’Israël, puis de plus en plus en direction des « gens des Nations ». Voilà une conclusion remarquablement nuancée, qui s’éloigne tout aussi bien de l’idée excentrique (au plan historique) que Jésus a explicitement fondé une Église telle qu’elle existe aujourd’hui, avec sa hiérarchie de prêtres, évêques et cardinaux, ses conclaves et ses conciles, son pape, ses sacrements, etc., que de l’idée inverse, tout aussi extrême, que Jésus, en anarchiste anti-institutions religieuses, n’a rien voulu fonder du tout et qu’au fond, le véritable fondateur du christianisme, c’est l’apôtre Paul.
Cette conclusion, d’ailleurs, est en cohérence avec l’enseignement catholique sur le sujet. La commission théologique pontificale internationale citée plus haut affirme ainsi dans le même document qu' »il n’est pas question d’affirmer que cette intention de Jésus implique une volonté expresse de fonder et d’établir tous les aspects des institutions de l’Église telles qu’elles se sont développées au cours des siècles [13]. Il est, par contre, nécessaire d’affirmer que Jésus a voulu doter la communauté qu’il est venu convoquer autour de lui d’une structure qui demeurera jusqu’au plein achèvement du Royaume. Il faut nommer ici en premier lieu le choix des Douze et de Pierre comme leur chef (Mc 3, 14 s). Ce choix, des plus intentionnels, vise le rétablissement eschatologique du Peuple de Dieu qui sera ouvert à tous les hommes (Mt 8, 11 s). Les Douze (Mc 6, 7) et les autres disciples (Lc 10, 1 s) participent à la mission du Christ, à son pouvoir, mais aussi à son sort (Mt 10, 25 ; Jn 15, 20). En eux, c’est Jésus lui-même qui vient et en lui est présent celui qui l’a envoyé (Mt 10, 40). »
E. Les miracles de Jésus
Jésus a été largement considéré par son entourage, et notamment par les foules qui l’écoutaient, comme étant thaumaturge, c’est-à-dire réalisant des actions étonnantes, extraordinaires ne pouvant pas s’expliquer par les capacités humaines de ses contemporains, et qu’on peut qualifier de « miracle » (guérison de malades, exorcismes, etc.). Rappelons encore une fois qu’il ne s’agit pas ici de déterminer si les miracles existent, s’ils sont possibles, s’ils viennent de Dieu, ou si Jésus en a réellement réalisé. Tout ceci relève de la foi et de la métaphysique. Chacun est libre d’admettre ou de ne pas admettre la possibilité de faits extraordinaires pouvant être qualifié de miracle, c’est-à-dire finalement d’admettre ou de ne pas admettre l’existence de Dieu(x). Nous en avons déjà parlé et nous ne nous occupons pas de cette question ici.
En revanche, l’historien peut étudier si les contemporains de Jésus ont cru qu’il réalisait des miracles, ou bien, à l’inverse, si les miracles racontés dans les Évangiles ont été ajoutés à posteriori par l’Église primitive pour faire de Jésus un personnage extraordinaire. On pourrait d’ailleurs faire la même remarque aujourd’hui : Meier cite des exégètes allemands (notamment Bultmann) qui considèrent ridicule de faire confiance à la science en utilisant, par exemple, un GPS ou en réclamant une médecine moderne, tout en croyant aux miracles racontés dans le Nouveau Testament. A quoi Meier répond qu’en tant qu’historien, la question n’est pas de savoir si les gens ont raison ou tort de croire aux miracles, mais de savoir s’ils y croient effectivement, ou s’il y ont cru du temps de Jésus. Et de citer un sondage de 1989 montrant que 80% des Américains croient à la possibilité d’une action divine miraculeuse.
Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne l’authenticité des récits de miracles dans le Nouveau Testament, après une longue étude des données Meier conclut à la réputation authentique de thaumaturge de Jésus. Selon toute vraisemblance, les traditions qui nous sont parvenues de Jésus-thaumaturge remontent au Jésus historique, et ne proviennent pas d’ajouts ultérieurs réalisés dans l’Église primitive. Cela ne signifie pas, bien sûr, que tous les récits de miracles dans les Évangiles peuvent être considérés comme remontant authentiquement à Jésus, mais que beaucoup le sont, que dans l’ensemble ils le sont.
Une précision d’importance : dans la Bible, la notion de miracle ne doit pas être confondue avec la notion de magie. Comme l’explique longuement Meier dans le tome II au chapitre 28, magie et miracle peuvent être chacun placé à deux extrémités d’un spectre gradué. Le miracle se tient dans un contexte habituel de foi communautaire en une divinité ; le miracle n’est pas coercitif, c’est-à-dire qu’on ne conçoit pas qu’on puisse forcer cette divinité à exaucer la prière ; un fidèle ou un disciple, parfois via un intermédiaire tel que Jésus, prend l’initiative de demander une guérison ou un autre bienfait ; Jésus accorde habituellement le miracle et le souligne de quelques mots brefs mettant en valeur la foi du demandeur et l’accompagnant parfois d’un geste symbolique (toucher, usage de salive) ; enfin, le miracle est toujours positif, il ne consiste pas à attirer des malheurs sur quelqu’un. A l’opposé, la magie, telle qu’elle ressort des papyrus égyptiens ou grecs anciens, présente les caractéristiques idéales-typiques suivantes : interpellation d’un dieu par des formules souvent inintelligibles (suites de voyelles, de noms divins, de titres destinés à flatter le dieu auquel on s’adresse…) ou des recettes (préparations magiques, y compris culinaires). La magie est coercitive, c’est-à-dire que la technique utilisée doit produire l’effet désiré : dans le cas contraire on suggère généralement d’essayer une autre formule. Le magicien n’opère pas au sein d’une communauté croyante, encore moins une « Église » (Émile Durkheim voit là le point distinctif essentiel entre magie et religion) mais la relation qui unit magicien et demandeur est plutôt celle d’un client à l’égard d’un fournisseur. Ce sont des relations ponctuelles, souvent monnayées, et les différents « clients » d’un magicien n’ont en général aucune relation entre eux. Il y a une dimension secrète dans la pratique de la magie alors que Jésus opère des miracles à la vue de tous. Enfin, les effets des pratiques magiques sont généralement dérisoires (gagner une course de chevaux, trouver un amant) et peuvent être négatifs (nuire à un ennemi).
Au final, miracle et magie se trouvent aux deux opposés du spectre ainsi défini. Jésus réalise des miracles, il est donc considéré par ses contemporains comme un thaumaturge, non comme un magicien. J’ai bien parlé, à l’instar de Meier, de spectre de nuances et non d’opposition nette et tranchée. On trouve ainsi quelques exemples de papyrus magiques où les formules employées peuvent se rapprocher des miracles du Nouveau Testament ; de même, on trouve quelques (rares) cas dans le Nouveau Testament où les actions de Jésus se rapprochent de la magie, comme en Marc 5 où une femme atteinte d’hémorragie est guérie après avoir touché son manteau, Jésus ne sachant pas exactement ce qui se passe mais sentant « une force sortir de lui ». La guérison est ici automatique et anonyme, ce qui est très rare dans les Évangiles. Même dans ce cas, Jésus prend la parole par la suite pour souligner que c’est la foi de la malade qui a entraîné sa guérison.
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Si Isho bar Yawsep n’est pas né à Bethléem et a eu des frères et des soeurs de sang, quelques cartes essentielles du château déstabilisent pour le moins toutes les autres, y compris celles du culte mariale.
Qu’en pense François ? Il fait semblant d’y croire pour ne pas choquer et désespérer ?
Notre Ineffable Source et Finalité n’avait pas besoin de religions anthropomorphisantes et culpabiliatrices pour être reconnu avec reconnaissance et pour qu’on suive Son invitation, dans le respect imposé de notre libre arbitre, saut à nous concevoir robot non aimable, à aimer le plus possible autour de nous jusqu’à aimer seconde après seconde.