Rappel des faits
Résumé du premier article
Dans le premier article, nous avons vu que l’immigration, à l’échelle globale de la France, est relativement (c’est-à-dire par rapport à la plupart des pays comparables, ou à la population française) faible, et qu’on est loin du fantasme xénophobe de l’envahissement étranger. Ce constat est valable dès que l’on parle d’immigration nette (arrivées – départs) et en tenant compte des estimations (forcément approximatives) de l’immigration illégale. De plus, les immigrés récemment arrivés sont au moins aussi diplômés que les Français, et compte tenu des conditions économiques pour bénéficier du regroupement familial (50% de l’immigration), on est loin de pouvoir corroborer l’idée d’une immigration pauvre venue massivement pour bénéficier du généreux système social français. Cela étant dit, l’immigration est très inégalement répartie sur le territoire et peut donc poser de multiples problèmes locaux, à commencer par le communautarisme et ses conséquences.
Résumé du second article
Dans le second, nous avons étudié non pas l’immigration mais la population d’origine immigrée soit les individus présents sur le sol français n’étant pas nés en France, qu’ils aient ou non acquis la nationalité française par la suite. Ce n’est donc pas une question de nationalité, mais de pays de naissance. Sous ce rapport les traits de la France sont les suivants :
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une immigration ancienne, majoritairement européenne jusqu’à la seconde guerre mondiale, majoritairement maghrébine, africaine et asiatique depuis ;
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une population immigrée de première génération d’environ 10%, dans la moyenne basse de l’OCDE (Etats-Unis : 13; Espagne : 15 ; Autriche : 16…) ;
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une population immigrée de seconde génération et suivantes importante (un quart de la population), compte tenu de l’ancienneté des flux et de l’importance du regroupement familial ;
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la fécondité de la population (d’origine) immigrée est un peu plus élevée (2,15 enfants par femme) que la fécondité des Françaises, cet écart étant surtout du aux Africaines subsahariennes. La population immigrée étant de toute façon minoritaire, cet écart n’a qu’une incidence de l’ordre de 10% sur la natalité française : si donc la population immigrée avait une fécondité identique à la population française, on aurait environ 1,82 enfants par femme au lieu de 2.
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la situation des immigrés est économiquement et socialement plus difficile que celle des natifs, et, en conséquence, ils bénéficient davantage des aides publiques. Ceci est parfaitement logique (à moins de remettre en cause le principe selon lequel plus on est pauvre, plus on a d’aides sociales). Mentionnons que certaines aides sociales, notamment le RSA, ne sont accessibles aux étrangers que sous des conditions sévères. D’autant que les étrangers payent comme les autres pour ces aides (TVA, cotisations sociales, impôt sur le revenu…). Enfin et peut être surtout, les aides dont ils bénéficient ne compensent pas les différences de revenu initiales : en gros, au mieux (ménages ouvriers), les aides sociales ramènent les écarts de revenu entre natifs et immigrés à 10%, au bénéfice des premiers.
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les descendants d’immigrés sont mieux intégrés : en moyenne, ils maîtrisent mieux la langue, gagnent plus, sont moins au chômage.
Analyse économique de l’immigration : ça coûte ou ça rapporte ?
Comme sur toute question qui a un rapport avec l’immigration, les débats sont passionnés. Faisons donc, si possible, clair (concis, je ne promets rien). En deux points.
1. Coût de l’immigration : pas d’exhaustivité possible
Il n’est pas possible d’avoir une mesure exhaustive précise de l’impact économique de l’immigration. Comme l’indique le bloggeur Captain Economics, les études sur le sujet concluent à des choses très diverses : “une équipe de chercheurs de l’université de Lille a estimé un impact positif de l’immigration sur les finances publiques de 12,4 mds d’euros par an (source ici), tandis qu’une autre étude de « Contribuables associés » estime un impact négatif de 26 mds d’euros par an (source ici).”
La raison ? La notion de “coût” en économie est fort vaste (je m’évertue à faire entrer ça dans la tête de mes élèves) : loin de concerner uniquement une dépense d’argent comme dans le langage courant, un coût économique est toute dépense d’une ressource, quelle que soit la nature de cette ressource (temps, argent, technique, organisation, cognitivité…). Ce coût peut être direct, indirect, d’opportunité (coût du renoncement à un autre choix possible…). Comment alors évaluer le “coût de l’immigration” ? On peut décider de se concentrer sur le plus simple et le plus facile, par exemple le coût économique de l’immigration sur les finances publiques (gains – pertes). Le résultat –l’immigration est bénéfique pour la France—sera précis et fiable, mais très partiel, excluant nombre de coûts.
Ou bien on veut être plus exhaustif mais il faudra alors des données détaillées que nous n’avons pas toujours. Par exemple, du côté des gains : le chiffrage de la contribution des immigrés au taux de chômage ; l’apport économique en termes de diversité des produits, de compétences linguistiques, scientifiques (notamment via l’immigration étudiante et l’immigration de travail, mais pas seulement, puisque d’après une enquête partielle de l’INSEE, 71% des entrées pour regroupement familial sont en activité deux ans après leur arrivée) ; l’impact sur le système de retraites, etc. Du côté des pertes, on peut ajouter à peu près tout (et n’importe quoi), de la part du budget de la police et de la justice qui concerne directement ou indirectement l’immigration au coût de l’intégration en passant par la part de l’aide publique au développement qu’on estime destinée à prévenir l’immigration massive, etc.
L’addition précise de tous ces chiffres est impossible : soit nous n’avons aucune donnée et peu de moyens de les obtenir ; soit nous avons des données, mais partielles ou difficiles à interpréter ; soit nous avons des modèles socio-économiques ou socio-démographiques prospectifs mais sujets, comme tous les modèles de ce genre, à des limites nombreuses. Bref, l’ensemble ne sera pas suffisamment fiable pour en tirer des conclusions exhaustives définitives. On comprendra donc qu’un xénophobe, une fois encore, puisse s’appuyer sur cette difficulté pour en tirer les conclusions qu’il veut à partir des estimations faites à la louche avec la méthode (classique) qui consiste à faire dire aux chiffres ce qu’on a prévu de leur faire dire. C’est un bazar statistique sans gage de fiabilité.
2. Tentatives d’estimation
En renonçant à l’exhaustivité pour gagner en fiabilité, nous pouvons néanmoins donner les principaux enseignements des études qui existent (forcément partielles, donc). Ces études concluent généralement à un bilan positif de l’immigration (soit légèrement, soit significativement), pour les raisons que les gains connus sont supérieurs aux coûts connus.
Les coûts
Dans la rubrique “coûts connus”, le plus évident est le surcroît d’aides sociales qu’on attribue aux immigrés (nouveaux ou anciens) du fait de leur situation socio-économique plus fragile. On peut citer des exemples emblématiques comme l’aide médicale d’urgence, qui concerne en grande partie les étrangers, et coûte autour de 500 millions d’euros par an. Au passage, cette mesure est loin de concentrer les clichés auxquels elle a généralement droit (d’ailleurs la principale destination des réfugiés n’est pas la France, comme on le sait) : lire l’article de Koz. On peut ajouter le coût des infrastructures d’accueil, les subventions aux associations du secteur, etc.
Par contre, il y a d’autres coûts (souvent pris en compte dans les études qui concluent à un impact négatifs) sur lesquels je suis plus dubitatif. Par exemple, les coûts indirects du type “pression à la baisse sur les salaires des natifs non qualifiés”, qui sont très difficiles à évaluer. Plus significatif, on parle souvent du coût des contrôles aux frontières, des procédures, des reconduites à la frontières, etc. Essayons d’être précis. Lorsqu’on parle de coût (connu) de l’immigration, on parle d’une dépense inévitable, d’une part, et directement imputable aux immigrés (c’est-à-dire qu’on aurait pas à la faire s’ils n’étaient pas là), d’autre part. La question est de savoir si cela concerne les coûts de contrôle/procédures.
Je ne suis pas sûr, tout d’abord, que ces coûts soient inévitables. Naturellement, il faut contrôler nos frontières. Je ne défends aucunement l’ouverture totale des frontières, qui est de toute façon un mythe d’extrême-droite qui n’a jamais existé nulle part, sauf dans la tête de quelques idiots d’extrême-gauche : comme d’habitude les extrêmes se répondent. Mais je crois que certains de ces coûts sont évitables parce qu’ils sont mal utilisés, disproportionnés, et souvent inefficaces. La France contribue en 2015 à hauteur de 20 millions d’euros au budget de Frontex, l’agence européenne qui coordonne les politiques de contrôle aux frontières. Ce budget, de plus de 110 millions en 2015, a été multiplié par près de cinq depuis 2010. Le mur construit par les États-Unis pour se protéger des migrations mexicaines aurait couté entre 10 et 20 milliards de dollars !! Ces sommes considérables dépensées dans des bateaux, des murs, des tours, des agents, des patrouilles, des barrières, des caméras, n’auraient-elles pas pu être nettement mieux utilisées à accueillir mieux les immigrés ? Et que dire des objectifs et des priorités affectés à la justice, du type “renvoyons au moins X immigrés illégaux dans leur pays cette année”, ce qui se fera, bien entendu, au détriment d’autres dossiers, par exemple le droit fiscal, donc conduira au ralentissement de ces contentieux…avec d’autres coûts à la clé. Croit-on vraiment que les quotas de renvois, avec leur lot d’objectifs et de délais irréalistes, sont des moyens efficaces d’utiliser l’argent du contribuable en matière d’immigration ? Savez-vous qu’une reconduite à la frontière coûte en moyenne 21 000€ par personne ? Je ne trouve pas réellement juste de compter dans les “coûts de l’immigration” les dépenses, que nous faisons volontairement pour repousser les migrants, plutôt que pour les accueillir, surtout lorsqu’elles sont manifestement excessives ou mal utilisées.
Passons à la question de l’imputabilité. Comment compter parmi les “coûts de l’immigration” (ie. les coûts imputables aux immigrés) des coûts qui sont le fruit de la fermeture des frontières (contrôles, procédures, renvois), et non de leur ouverture ? Je trouve qu’il y a une part de cynisme à inclure cela dans le coût de l’immigration, comme si c’était de la faute des immigrés si beaucoup de pays riches consacrent des moyens exponentiels à la protection de leur frontière. Il est facile de dire : “ces coûts sont imputables aux immigrés, car s’ils ne venaient pas chez nous, on aurait pas à les payer”. C’est en fait exact, mais complètement absurde. Cela revient en effet à dire que pour éviter ces coûts, il ne faut pas que les immigrés quittent leur pays pour (tenter de) venir chez nous. Autrement dit, cela consiste à affirmer à quelqu’un qui vit dans un pays en guerre, ou, moins tragiquement, à quelqu’un dont l’épouse est en France : “ne cherche pas à retrouver ta famille, ne cherche pas à fuir la guerre, car tu nous imposes des coûts pour te repousser aux frontières et te renvoyer chez toi si tu réussis à passer”. Faut-il vraiment rappeler que la nature humaine pousse à recherche la sécurité de soi et de sa famille (besoin primaire de la pyramide de Maslow, pour les amateurs de psychosociologie), et donc à quitter son pays, dans l’espoir de troquer moins de sécurité temporairement contre plus de sécurité plus tard ? Faut-il rappeler que lorsqu’on a fait venir par millions des immigrés pour reconstruire la France après une guerre dans laquelle on s’était soi-même fourré, et qu’on adhère à l’idée (généralement humaine) qu’il est nécessaire que les individus puissent vivre, dans la mesure du possible avec leur famille, on voit mal comment on pourrait reprocher aux individus de chercher à venir chez nous ? Les immigrés continueront donc de venir, y compris, pour certains, en prenant des risques mortels. Je ne suis pas certain que les coûts des contrôles et des procédures soient entièrement imputables aux immigrés eux-mêmes.
Les gains
Dans la rubrique “gains connus”, mentionnons le fait que, premièrement, les immigrés sont des êtres humains, donc ils contribuent positivement à une Europe démographiquement moribonde. Les situations européennes peuvent varier, mais on ne peux pas contester que nombre de pays européens verraient leur population quasiment disparaître à horizon quelques dizaines d’années s’ils ne connaissaient depuis de nombreuses années des flux migratoires continus. Ceci est bien un gain, avec des conséquences économiques évaluables avec les modèles démographie/croissance, qui nous enseignent grosso-modo que plus d’habitants, c’est plus de croissance. Ajoutons que les immigrés viennent rarement à 65 ans. Ils sont jeunes, en situation de vie active, dans l’âge où l’on contribue souvent plus qu’on reçoit. Donc ils consomment, payant la TVA (50% du budget de l’État en France). Et des cotisations sociales (impact sur les retraites). On parle souvent des allocs pour les familles nombreuses africaines (avec pas mal de clichés racistes d’ailleurs). Mais combien d’immigrés payent les retraites de nos petits vieux “Français de souche” des campagnes profondes ?
Enfin, l’immigration a un impact positif sur l’emploi. En effet, dans le cas où les compétences des immigrés et des locaux sont peu substituables (ce qui est souvent le cas), l’immigration va augmenter l’emploi local des qualifiés ou les faire progresser dans l’échelle sociale : en clair, si l’on veut construire plus d’hôpitaux et de laboratoires de recherches, il faudra davantage de personnes pour y faire le ménage, la manutention, ou servir les repas ; si l’on a davantage de main d’œuvre dans la construction, on peut embaucher un chef de projet local, etc. La main d’œuvre immigrée permet d’occuper ces emplois avec un coût du travail moins élevé que la population locale, dégageant des ressources pour investir davantage, embaucher de la main d’œuvre (native) plus qualifiée, etc. Ainsi l’étude des chercheurs de Lille souligne que sans immigrés, les prix à la consommation (produits agricoles et autres) seraient bien plus élevés, la main-d’œuvre étrangère étant bien moins payée. Par exemple 90 % des autoroutes ont été et sont construites et entretenues avec de la main-d’œuvre étrangère. Ou encore, 60% des travailleurs des sociétés de nettoyage sont immigrés.
De cette analyse on a quelques exemples empiriques. L’analyse la plus célèbre est sans doute celle de l’économiste David Card, étudiant l’impact de l’arrivée en Floride de 125 000 cubains en six mois en 1980 (épisode du Mariel Boatlift). En trois mois, le taux de chômage y passe de 5 à 7%… avant de revenir à son niveau précédent. En un an, la ville avait absorbé l’afflux exceptionnel de population: l’équivalent de 2 millions de personnes pour la France. Et ce, alors qu’à cette époque l’économie américaine était en récession. Le même phénomène s’est produit en France, lorsqu’en 1962, les autorités françaises tremblent à l’idée que les 400 000 rapatriés d’Algérie vont venir gonfler le chômage puisqu’on ne compte que 35 000 emplois «vacants» dans l’Hexagone. « Il n’en fut rien, signalent Pierre Cahuc et André Zylberberg (en 2004) : les rapatriés ont créé des emplois et l’économie ne s’en est portée que mieux. » Notons pour nuancer le tableau que derrière cet impact positif, les Français les moins qualifiés peuvent être perdants car en concurrence avec les immigrés. Mais les qualifiés sont gagnants, et la population française étant de façon générale de plus en plus qualifiée, on peut estimer que dans l’ensemble, les Français sont gagnants.
De même qu’avec les coûts, les autres bénéfices mentionnés de l’immigration, comme l’augmentation de la diversité des produits disponibles, où le gain en matière de capital humain directement traductible en ressources économiques (chercheurs immigrés, sportifs de haut niveau immigrés, chanteurs immigrés…) sont à mon humble avis nettement plus difficiles à évaluer.
Conclusion
Si vous êtes arrivé jusqu’ici, vous devez commencer à avoir mal à la tête. Des chiffres, des chiffres et encore des chiffres, que vous aurez oublié demain (moi aussi). Il y a pire que l’alignement des chiffres : dès le début de cette série, on a été confronté des statistiques, et puis à leurs limites. L’immigration est faible à l’échelle de la France, mais peut être forte à l’échelle d’un département, et créer de ce fait de grandes tensions. La population immigrée n’est pas si nombreuse, mais leurs descendants le sont. Ils sont qualifiés, mais ça dépend des pays d’origine, et des vagues d’arrivée. On ne connaît précisément ni l’immigration illégale, ni les sorties du territoire. L’immigration apporte des bénéfices économiques, mais il y a aussi des coûts, et de toute façon on n’a aucune mesure exhaustive, définitivement fiable.
Ce résultat apparemment décevant ne l’est peut être pas tant que ça. Paradoxalement, l’immigration est le sujet le plus sensible qui soit, le plus violemment débattu ; or, les analyses que j’ai modestement menées peuvent montrer que la réalité invite à être profondément nuancé sur le sujet. Les seuls déçus sont finalement les extrémismes de l’un et l’autre camp : ceux qui ne voient d’immigration qu’une chance formidable pour la France, les sourcilleux n’étant que d’odieux racistes, et font mine d’ignorer des difficultés réelles qu’ils ne vivent souvent pas ; leurs mimes de l’autre bord, pour qui l’immigration n’est que menace, peur, conflit, valeurs en danger, dépenses, et font mine d’ignorer emplois, apport démographique, intégration, diversité culturelle sans fusion, islam pacifique, etc. Si ces deux extrémismes sont renvoyés dos-à-dos, c’est déjà bien.
Mais doit-on, sous prétexte de renvoyer les idiots à leur idioties, choisir une position “modérée” qui serait en fait indifférente voire anti-scientifique ? Du type “Tout ça est trop compliqué, chacun interprète bien les chiffres selon sa propre vision du monde, au final on ne peut rien dire de sérieux sur le sujet”. Cette option a le même défaut que toutes les théories café du commerce : dire qu’on est limité en matière de data ne permet pas pour autant de conclure que toutes les interprétations se valent ; dire que les chiffres et les mesures ont des limites ne permet pas pour autant de conclure qu’on peut leur faire dire ce qu’on veut.
Et donc, concluons. Les chiffres et les analyses ne sont pas, ne seront jamais parfaites, mais existent et ne peuvent être contestés qu’avec des arguments au moins aussi fiables. Les clichés (voire les fantasmes) existent aussi, et doivent être démontés. Démonter un cliché ne doit pas pour autant conduire à défendre les clichés inverses. En dehors d’une poignée d’authentiques xénophobes, imperméables au moindre débat contradictoire (les mêmes qui adhèrent aux théories du complot), il n’est pas question de conclure automatiquement qu’un Français qui a peur de l’immigration, pour une raison ou pour une autre, est un vilain raciste. Raciste, c’est une théorie, une pensée, une idée. La peur, c’est un sentiment, plus ou moins justifié (il l’est plus quand on est un commerçant toulonnais dans un quartier sensible que quand on est un creusois, notez). Qui peut sérieusement reprocher à quelqu’un d’avoir peur ? La peur peut être irraisonnée, mais alors il faut la raisonner, pas la moquer. Assimiler systématiquement les Français qui se méfient de l’immigration à des racistes est le meilleur moyen de les voir courir dans les bras du FN, au nom de ces élites bobos insensibles aux problèmes du peuple.
Par ailleurs, l’immigration n’est pas un but en soi. D’une manière ou d’une autre, elle est le signe d’un monde défaillant : quelqu’un qui émigre le fait parce qu’il ne trouve pas chez lui ce qu’il devrait y trouver : sécurité, études, niveau de vie, etc. Nous devons accepter et gérer l’immigration parce qu’elle est un fait, mais elle demeure une situation anormale. Le mythe gauchiste d’un monde sans frontières où les gens adoreraient quitter leur pays, leur famille, leur terre, leur langue, pour « voyager et découvrir de nouvelles cultures » est risible. En 1891, Léon XIII, dans son encyclique sociale Rerum novarum déclarait : « L’arrêt dans le mouvement d’émigration sera un avantage. Personne, en effet, ne consentirait à échanger contre une région étrangère sa patrie et sa terre natale, s’il y trouvait les moyens de mener une vie plus tolérable. »
L’accueil légitime du migrant doit être ordonné aux lois et aux capacités d’accueil des pays. Personne ne souhaite accueillir des personnes qu’on ne pourrait intégrer. On connaît aussi la citation de Rousseau dans l’Emile, qui nous rappelle que charité bien ordonnée commence par soi-même : « L’essentiel est d’être bon aux gens avec qui l’on vit (…). Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d’aimer ses voisins. »
L’inquiétude est donc légitime. Le problème est que l’inquiétude ne se transforme en fanatisme, les limites des chiffres en fantasme d’invasion, et que cela prenne le pas sur tout le reste. Toute inquiétude, qu’elle quelle soit, et même si elle est (ou paraît) légitime à vue humaine, ne doit pas occulter la confiance et l’espérance, qui lui sont supérieures. Chacun connaît la citation de Michel Rocard (la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde), mais les xénophobes évitent soigneusement de dire la suite : ….mais elle doit en prendre sa part.
Être prudent et circonspect à l’égard de l’immigration est possible. On peut même être légèrement inquiet. C’est défendable. On peut aussi être modérément enthousiaste, ou simplement confiant. C’est largement aussi défendable, et peut être même un peu plus. C’est tout.
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