Faut-il réduire les déficits publics ? (4/4)

En trois articles, nous avons présenté et étudié succinctement la question des déficits publics, en concluant à la nécessité de leur réduction. Mais rien de ceci n’est très original. Chez les économistes, la question des déficits publics, dans son aspect diagnostique, est plus consensuelle qu’on le croit (ou qu’on veut le faire croire).

Plus clairement : il n’est pas grand-monde de raisonnable qui nie la nécessité de l’usage raisonné et efficace de la dépense publique, et des excès historiques en la matière des APU françaises. Qui peut prétendre que, face aux flots d’argent public déversé à flux continu dans l’économie, et aux résultat (modestes) obtenus tant en termes de croissance que de service public, on ne peut pas collectivement mieux faire ? Il n’y a pas d’un côté des économistes irresponsables qui pensent qu’on peut dépenser sans compter, et de l’autre de vertueux gardiens de la discipline budgétaire. Tous sont (à peu près) intéressés à une gestion sérieuse des ressources publiques. Mais qu’est-ce qu’une gestion sérieuse ? De l’extrême-gauche à l’extrême-droite, on s’écharpe bien plus pour savoir quelles dépenses il faut réduire, et/ou quels impôts il faut augmenter, et dans quelles proportions, et pour quel résultat, que pour savoir s’il est nécessaire à l’État d’être plus frugal.

Ainsi, on peut raisonnablement conclure à la nécessité de réduire les déficits publics…sans prétendre savoir comment faire. A contrario, les arguments qui montrent l’inefficacité d’une réduction des déficits publics mal pensée sont légions.

Toujours dans l’optique plutôt libérale des théoriciens du Public Choice, on peut tout d’abord mentionner que ceux qui décident de la réduction des déficits publics sont aussi, le plus souvent, ceux qui profitent et vivent de la dépense publique. Rien ne garantit alors qu’une réduction des dépenses ou une hausse des impôts ne viennent frapper les gaspillages les plus évidents. « (…) Comme le rappelle Noah Smith, si les gaspillages existent, c’est qu’ils ont réussi à se frayer une place inexpugnable dans le processus de décision publique. Résultat, un mécanisme indifférencié de réduction des dépenses publiques aura tendance à épargner les activités les plus parasitaires. Au bout du compte, la réduction des dépenses publiques aura pour effet de rendre le fonctionnement de l’Etat moins efficace, en se focalisant sur les choses utiles plutôt que sur les gaspillages. » (Delaigue).

En matière d’impôts, par exemple, la méthode française est emblématique de cette absence d’efficacité de la réduction des déficits : on annonce une hausse d’impôt, puis on introduit, devant les divers mécontentements qui s’expriment, des exceptions à cette hausse (abattement, exemptions, crédit d’impôt…), pour aboutir à un système bancal, impopulaire et inefficace (à revenu égal, certains payent des impôts, d’autres pas, les taux sont élevés et les assiettes très faibles) détruisant encore un peu plus la cohérence et la stabilité de notre système fiscal, qui n’en a vraiment pas besoin.

Et puis, la réduction des déficits doit être proportionnée à ce que l’économie peut endurer. Plus l’Etat est engagé dans l’économie, plus il faudra y aller doucement et graduellement. La méthode de la thérapie de choc ne fonctionne que rarement. Il faut se rappeler que le multiplicateur keynésien fonctionne dans les deux sens : positif, quand l’Etat augmente ses dépenses, ou négatif, quand il les réduit. Les années post-crise, surtout en Europe, ont fournit suffisamment d’exemple pour connaître désormais les effets dramatiques que peut provoquer une réduction trop brutale des déficits publics. De Krugman à Stiglitz en passant par tout ce que la France compte d’économistes “hétérodoxes” (de Sapir à Lordon, appuyés par une palanquée de magazines antilibéraux), les voix n’ont pas manqué, ces dernières années, pour souligner les mauvaises conséquences des cures d’austérité imposées bon an mal an à divers pays de l’Europe du Sud.  L’argument est connu : si l’on saigne la bête trop vite, elle perd du sang, et entraîne avec elle tous ceux qui s’en nourrissaient. Si l’Etat réduit ses dépenses de 100, c’est autant de revenus en moins pour tel agent, qui dépensera donc un pourcentage de 100 en moins, ce qui entraîne une chute des revenus d’un second agent, qui à son tour, etc.

On retrouve la suite géométrique dont la raison dépend du comportement des agents. Mais cette fois, le multiplicateur est négatif. Le cas grec est évidemment emblématique. Condamné à convaincre les prêteurs internationaux, le pays a fait des réformes rapides (brutales, diront certains) pour résorber son énorme dette publique. Résultat, le chômage a triplé en deux ans. « 240 000 PME (sur 780 000) ont mis la clé sous la porte. (…) les ONG estiment que 2 à 3 millions de personnes ne sont plus assurées dans le pays et donc dans l’impossibilité de se soigner. La chute de la consommation– 23,7 % de la population grecque est passée sous le seuil de pauvreté en 2013 – mais aussi le manque de liquidités bancaires et la pression fiscale accrue continuent d’empêcher toute véritable reprise alors même que les investissements étrangers, malgré la dévaluation interne, se font attendre. » (LeMonde). Dans un tel contexte, il va de soi que la dette n’est pas remboursée, et l’on sait pourquoi : c’est la croissance qui, rappelons-le, finance les déficits publics…

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Source : Eurostat.

Dire qu’une réduction des déficits publics mal calibrée nuit à la croissance et, au final, produit le résultat inverse de celui espéré est donc presque une tautologie, mais à partir de là, les interprétations divergent. Pour les uns, majoritaires en France, c’est la preuve qu’il faut “changer de politique” et que « (…) réduire les déficits pour relancer la croissance, c’est une idée fausse qui ne marche pas. » (Sterdyniak). D’autres estiment que, dans un pays où l’Etat subventionne des secteurs de l’économie à fonds perdus, il est logique qu’un désengagement de ce dernier se traduise par une chute de l’activité, comme l’arrêt de la perfusion oblige le malade à trouver ses propres ressources. Dit autrement, la nécessité de la réduction des déficits publics s’impose au-delà de ses mauvaises conséquences, et finira par payer : à long terme, le désengagement de l’Etat redonnerait du souffle au secteur privé, permettrait de faire repartir la croissance, donc de rembourser les dettes.

C’est la question, récurrente en économie, du « chaos nécessaire » : quand les variables économiques fondamentales (inflation, chômage et croissance) ont atteint un point de non-retour dangereux, faut-il attendre voire susciter le chaos, pour purger le système, c’est-à-dire éliminer le trop-plein d’activité non-rentables, et repartir sur des base saines, au faut-il tout faire pour contrer le marasme ? Cette question a divisé en son temps des esprits aussi brillants qu’Hayek (pour qui le crash est le seul moyen de purger une croissance tirée facticement par l’inflation et la dépense publique) et Keynes (selon le mot duquel « Les économistes se fixent une tâche (…) peu utile s’ils peuvent seulement nous dire que lorsque l’orage sera passé, l’océan sera plat à nouveau »). Cela dit et paradoxalement, des keynésiens retrouvent aujourd’hui l’argument hayekien, en affirmant que la sortie de l’euro pour des pays comme la Grèce serait un chaos nécessaire, et au final, salutaire.

L’austérité nuit-elle à la croissance ? Comme toujours en sciences humaines, la réponse est : ça dépend. Alexandre Delaigue évoque quelques conditions pour que l’austérité fonctionne à long terme : un petit pays, qui maitrise sa monnaie, dans un contexte mondial favorable. Rien qui concerne la France. Tout dépend de l’impact du multiplicateur, qui dépend lui-même du comportement des agents, différent selon les pays. Cela dépend aussi de l’importance de la cure austéritaire, des conditions d’emprunt sur les marchés, de ce que font les pays partenaires, etc.

Conclusion

Ce qui est sûr, c’est que les pays développés doivent faire face avec la plus grande crise économique de la seconde moitié du 20ème siècle, et qu’il n’est pas étonnant, dans ce contexte, que les déficits publics explosent. Il faut raison garder : personne ne devrait exiger d’un pays en récession grave qu’il dégage des excédents publics et rembourse l’intégralité de ses dettes. A cet égard, l’attitude européenne à l’égard de la Grèce a été particulièrement irresponsable : au lieu de restructurer immédiatement ses dettes présentes et de garantir ses dettes futures en rétablissant la confiance des marchés (ce qui devait certes passer par des réformes), les européens, Merkel surtout, ont tardé à accepter la restructuration (laissant la Grèce s’effondrer, comme si le pays devait en quelque sorte expier ses péchés) et ont installé la défiance en mettant en garde les prêteurs contre le risque de défaut grec.

Un relâchement sur les déficits en période de crise est nécessaire pour éviter un effondrement de l’activité qui serait, au final, préjudiciable au solde budgétaire des APU, sans parler des conséquences sociales (on parle à juste titre de stabilisateurs automatiques). Enfin, les déficits publics jouent un rôle incontestable dans le maintien du lien social, de la solidarité nationale, de la réduction des inégalités, de la production de service public auxquels la plupart des Français (mais plus généralement des occidentaux) sont légitimement attachés. Il n’est donc pas question de prétendre se passer de l’intervention étatique et de la dette publique.

Tout cela ne saurait masquer la responsabilité historique des gouvernants, droite comme gauche, dans la mauvaise gestion des ressources publiques et dans un endettement coupable et excessif, quelle que soit la conjoncture, associé à une gestion clientéliste des impôts. Accepter l’utilité des déficits publics ne signifie pas cautionner ses excès. Ils doivent être réduits, mais la mauvaise nouvelle, c’est qu’on ne sait pas comment (bien) faire. L’immensité des enjeux sociaux, économiques et politiques rend cette question éminemment complexe. Cela redonne aussi du poids aux enjeux locaux, aux décisions locales (implanter ou pas une école, construire ou pas une autoroute, agrandir ou non un hôpital, développer une formation ou implanter un réseau haut-débit, etc.), ce qui est plutôt une bonne nouvelle.

En attendant, que faire ? Développer le contrôle citoyen sur les dépenses publiques, réformer notre système fiscal (des impôts moins nombreux, plus lisibles, plus progressifs, avec des assiettes plus larges et des taux moins élevés), freiner l’embauche de fonctionnaires, encourager les Français à détenir de la dette publique, harmoniser les politiques économiques européennes en desserrant l’étau austéritaire pour relancer un peu l’inflation allemande, … ce ne sont là que des pistes, qui mériteraient chacune d’être largement débattues.

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