Quelques mots politiques

MARXISME

Je ne suis pas marxiste, car je ne crois que le travail soit seul créateur de richesses, ce qui est le cœur de la doctrine marxiste. Pas plus je n’adhère au matérialisme historique de Marx, à son prophétisme linéaire, à ses accents violents, à son refus du dialogue pour lui substituer une logique « classe contre classe ».

Pour autant, je retiens de l’analyse marxiste l’importance de connaître et de mesurer les logiques de domination à l’œuvre dans la société, de ne pas se voiler la face quant à la réalité des conflits sociaux et des intérêts parfois antagonistes qui sont en jeu, loin de l’illusion libérale d’individus atomisés faisant en permanence des choix libres.

SOCIALISME

Je retiens l’importance, trop négligée à droite, de la lutte contre les inégalités. Cette idée, au fond fondatrice de la gauche, que la politique a un pouvoir de transformation de la société, dans le bon sens. C’est le défaut de certaines tendances libérales, ou conservatrices, de prétendre qu’après Auschwitz, tout idéal social ou sociétal conduit, forcément, aux prémices de la dictature, par la route vers la servitude (clin d’œil hayekien). «  Assurément, écrivait déjà Smith, on ne doit pas regarder comme heureuse et prospère une société dont les membres les plus nombreux sont réduits à la pauvreté et à la misère. »

Bien sûr, la question de comment procéder, la question même de l’objectif de la réduction des inégalités (égalité réelle ? des chances ?) peut prêter à d’infinies discussions, mais l’idée fondatrice perdure qu’on ne peut s’en tenir à une seule égalité des droits, et que la société, par l’Etat, est fondée à réduire les inégalités. Qu’on peut et qu’on doit réfléchir à des préférences collectives, au-delà des seules préférences individuelles, à ce qui est bien (ou mal), et notamment au bien commun, au-delà des seules forces économiques impersonnelles. La logique patrimoniale d’accumulation sans fin, quand le rendement du capital est structurellement supérieur à la croissance économique, n’est pas tenable à long terme. Ni socialement, ni économiquement.

C’est aussi une pierre dans le camp des chrétiens, qui s’en croient quitte pour avoir pratiqué la charité. Certes, la charité est fondamentale. Mais, explique Jérôme Lallement, « Frédéric Ozanam, écrivain et historien catholique, béatifié le 22 août 1997, souligne que les remèdes à la pauvreté ne relèvent pas de la charité individuelle (qui reste, par ailleurs, indispensable), mais que ces remèdes ont nécessairement un caractère institutionnel : « Il faut porter une main hardie sur cette plaie du paupérisme. (…) Je crois, comme vous, qu’il faut enfin s’occuper du peuple, infiniment plus qu’on ne l’a fait par le passé. Les plus chrétiens se sont trompés en se croyant quittes envers le prochain quand ils avaient pris soin des indigents, comme s’il n’y avait pas une classe immense, non pas indigente, mais pauvre, qui ne veut pas d’aumônes, mais des institutions. » (Lettre à Alexandre Dufieux, 1848.) ». Benoit XVI, dans son encyclique Caritas in Veritate, ne dit pas autre chose : « On aime d’autant plus efficacement le prochain que l’on travaille davantage en faveur du bien commun qui répond également à ses besoins réels. Tout chrétien est appelé à vivre cette charité, selon sa vocation et selon ses possibilités d’influence au service de la pólis. C’est là la voie institutionnelle – politique peut-on dire aussi – de la charité, qui n’est pas moins qualifiée et déterminante que la charité qui est directement en rapport avec le prochain, hors des médiations institutionnelles de la cité. ».

REDISTRIBUTION

Il faut de la redistribution, mais on peut le faire en entravant le moins possible les mécanismes (par nature inégalitaires, puisque relativement impersonnels) du marché, par exemple par l’impôt. Il est en effet plus efficace de laisser à l’économique la tâche de produire efficacement (via les mécanismes de prix), et au politique le soin de redistribuer. Cela étant dit, les règles d’éthique élémentaires (passant par le Code du travail, par exemple) doivent être respectées « dès la mise en route du processus économique, et non avant, après ou parallèlement. (…) La doctrine sociale de l’Église estime que des relations authentiquement humaines, d’amitié et de socialité, de solidarité et de réciprocité, peuvent également être vécues même au sein de l’activité économique et pas seulement en dehors d’elle ou « après » elle. (…) La cité de l’homme n’est pas uniquement constituée par des rapports de droits et de devoirs, mais plus encore, et d’abord, par des relations de gratuité, de miséricorde et de communion. (…) La sphère économique n’est, par nature, ni éthiquement neutre ni inhumaine et antisociale. Elle appartient à l’activité de l’homme et, justement parce qu’humaine, elle doit être structurée et organisée institutionnellement de façon éthique. » (BXVI, Caritas in Veritate).

Mais ne pas oublier cette phrase de Comte-Sponville : « Le but de la politique, ce n’est pas de rendre heureux les gens, mais de combattre le malheur, ce qui est complètement différent ». Il faut un État qui régule, pas qui administre.

IDÉAL

A mon avis, il faut maintenir la tension (inconfortable) entre idéalisme et pragmatisme : l’éthique de responsabilité sans idéal tombe dans le pragmatisme cynique : selon le mot de Régis Debray, « avoir l’économie pour idéal conduit vite à faire l’économie de l’idéal ». C’est une éthique sans espérance. Mais, à l’inverse, l’éthique de conviction sans responsabilité va vers une pureté idéaliste sans issue. Comme le moralisme kantien, elle a les mains propres, « mais elle n’a pas de mains » (Charles Péguy). Coupée du terrain et enfermée dans son système théorique (qu’il soit néoclassique ou marxiste), elle est aveugle et inadaptée. Pis, si elle fonctionne en système clos, elle peut se révéler dangereuse et conduire au totalitarisme. La fin ne justifie pas les moyens, mais les circonstances peuvent diminuer ou annuler la faute.

EXTRÊME-GAUCHE

Démagogue et simpliste, centrée sur des logiques d’indignation plutôt que force de proposition. L’extrême-gauche, comme l’extrême-droite d’ailleurs, c’est l’idéologie qui prend le pas sur tout, ce qui entraîne un faible ancrage dans les réalités du monde. Une méculture économique déplorable. Un mépris courant de la démocratie, comme une assemblée générale étudiante, ou des manifestations anti-Le Pen. Des divisions et des groupuscules innombrables.

ÉTHIQUE

On ne fait pas de politique avec de la morale, mais on n’en fait pas davantage sans.  André Malraux

LIBÉRALISME

Bien sûr, libéralisme peut signifier beaucoup de choses différentes.

C’est d’abord et avant tout un synonyme d’individualisme : une conception philosophique et politique qui privilégie les droits, les intérêts et la valeur de l’individu par rapport à ceux du groupe. L’individualisme prône l’autonomie individuelle face aux diverses institutions sociales et politiques (la famille, la société, le clan, la corporation, la caste…). L’individualisme repose sur l’idée lockéenne selon laquelle l’individu a des « droits naturels » à la naissance, inaliénables : propriété des biens et de soi, liberté religieuse ou d’expression. L’individualisme n’est donc pas, de prime abord, synonyme d’égoïsme : l’individualisme comme doctrine défend tous les individus, et pas uniquement soi. De plus, l’individualisme au sens philosophique n’est pas incompatible avec la défense d’institutions et de collectifs visant justement à protéger et à développer l’autonomie de l’individu (incluant la protection sociale), alors que l’individualisme au sens populaire implique de ne vivre que pour soi.

Le libéralisme, c’est aussi dans un aspect plus économique, la défense des libres associations marchandes et du marché. L’économiste Augustin Landier distingue trois thèmes auxquels on reconnaît la sensibilité libérale en économie : l’importance des incitations (les individus sont rationnels la plupart du temps et ils réagissent aux incitations, notamment monétaires) ; l’importance du mécanisme des prix dans l’allocation des ressources rares (le meilleur moyen de répartir des ressources rares à des besoins illimités est d’organiser un marché avec un système de prix concurrentiels) ; la méfiance vis-à-vis de l’État, et de sa bienveillance ou de sa capacité à planifier (les hommes politiques au pouvoir sont regardés comme des agents comme les autres, ils se soucient de leur carrière). J’en retiens l’importance du marché, car je pense avec ce grand économiste que fut Paul Samuelson qu’il est impossible « de trouver dans l’histoire documenté un seul cas où une région impliquant des millions de personnes peut être gérée sans un important recours au marché. Mais cela ne veut pas dire que je suis devenu un Milton Friedman, et que je crois au laissez-faire… Je crois que nous avons besoin de règlementation, mais je pense que nous avons besoin de rationnelles, bonnes règlementations pour corriger la surrèglementation irrationnelle. »

Mais le libéralisme n’est pas l’ultralibéralisme. Une chose est d’estimer que le marché a un rôle (important) à jouer, que les prix ont un rôle régulateur primordial dans un marché libre et que, la plupart du temps, ce système fonctionne bien pour remplir sa fonction principale, qui est d’allouer des ressources rares à des besoins illimités. De même, une chose est de penser que l’autoréalisation de l’homme par le travail est une bonne chose, que le principe de subsidiarité, visant à l’autonomie de la plus petite entité possible, doit être respecté, où d’admettre l’évidence, que les sociétés ayant tenté d’abolir le marché furent des échecs lamentables, n’ayant réussi qu’à recréer un marché noir, attiser les tensions et se transformer en dictatures.

Une autre, qui relève davantage de la croyance ultralibérale, est d’oublier les nombreuses limites du marché, qui vont des externalités négatives aux inégalités en passant par le conflit entre éthique et extension de la logique marchande à des pans de plus en plus larges de la société. « De même que les médecins travaillent sur les cas pathologiques, affirme Landier, une grande part de la tâche des économistes est de réfléchir aux situations où le marché fonctionne mal, par exemple l’assurance santé, le système bancaire ou le financement de la recherche. » Si « l’ultralibéralisme » est la croyance au marché comme absolu (les relations marchandes prévalant systématiquement sur toute autre forme de relations, et la régulation marchande sur toute autre régulation), je ne suis pas ultralibéral. Sans aller jusqu’à prétendre, comme les penseurs collectivistes, que l’individu n’est rien sans la société, ou qu’elle le précède, il faut remarquer que le lien social est fait d’interdépendances réciproques (dans les sociétés modernes, ce que Durkheim qualifie de solidarité organique), ce qui exclut d’avoir une vision étroitement individualiste de la cohésion sociale, avec des affirmations comme « l’impôt, c’est le vol ». Par exemple, il faut de la concurrence, car elle est source d’émulation et d’efficacité. Mais il faut des garde-fous face aux violences économiques et sociales qu’elle peut générer : un droit du travail suffisamment protecteur, équilibré, et le faire respecter.

C’est d’ailleurs la même chose dans cette vieille querelle sur la cupidité. Une chose est de montrer l’importance de la recherche du profit dans la dynamique du capitalisme qui permet à tant et tant de sortir de la misère ; une chose, aussi, est d’insister avec Smith sur la recherche de l’intérêt personnel, car « ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt. Nous ne nous en remettons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme » (Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776). Une autre est de professer que cette recherche du profit, considérée comme exclusive, doit être le moteur et la fin de tout. Le boucher ne recherche pas que son intérêt, sinon quel besoin de sourire au client, et pourquoi chercher à faire de bons pains ?

Confondre saine gestion et cupidité, recherche du profit et malhonnêteté, croissance de son entreprise et exploitation de son prochain, recherche de son intérêt et recherche exclusive de son intérêt, autant mettre sur le même plan l’entrepreneur qui cherche à acheter et vendre au meilleur prix pour la croissance de son affaire, et le financier mu par le gain immédiat au mépris de toutes autres considérations, autant confondre ce qui est à la base de l’enrichissement de toute la société et ce qui provoque sa perte !

TRADITION

Si je mesure l’importance de l’égalité sociale et institutionnelle qui me ferait plutôt abonder dans le camp de la gauche, je crois à l’idée d’une nature humaine ce qui implique une écologie intégrale, Homo imago Dei, « prendre soin de tout homme, de tout l’homme », à certaines permanences chez l’homme qu’il ne faut toucher qu’avec une extrême circonspection (« d’une main tremblante », écrivait Montesquieu à propos de certaines lois), à l’existence d’une radicalité transcendante, bref, à certaines formes de tradition. Qui s’oppose inévitablement à certaines volontés transformatrices de la gauche sociétale, et des innovations du post-humain : GPA, euthanasie, entre autres.

Entre autres combats d’ailleurs, mon côté traditionnel me rappelle l’importance de sa part morale aux côtés de sa part institutionnelle, car « je ne crois plus que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur que nous n’ayons d’abord corrigé en nous » (Etty Hillesum). C’est alors être circonspect face au scientisme, comme l’était Max Weber. La science économique est sans doute la science de la rationalité par excellence, ce qui est bon en soi (il vaut 100 fois mieux être rationnel qu’ignorant !). Mais la rationalité n’est la fin de tout, sait-elle que « la dernière démarche de la raison, c’est reconnaître qu’il y a des choses qui dépassent la raison » (Pascal) ? Et si existe le péché ? « ce n’est pas une donnée scientifiquement observable, excepté si l’on regarde dans un miroir », disait Frossard. Et si existe la mort ? Ainsi rappelle le poète persan Omar Khayyâm : «

De temps à autre un homme se dresse en ce monde,
Étale sa fortune et proclame: c’est moi !
Sa gloire vit l’espace d’un rêve fêlé,
Déjà la mort se dresse et proclame: c’est moi ! »

Illusions que sont les tentatives d’organiser rationnellement la société, illusion que de croire l’homme animé par la raison, illusion que de croire la vertu progresser avec l’accroissement de la raison. Ne soyons pas dupes, les hommes ne recherchent pas la rationalité ; ils obéiront toujours davantage aux passions.

GAUCHE ET DROITE

En règle générale, la gauche est plus interventionniste sur le plan économique, là où la droite est davantage favorable au marché et au capitalisme, encore que la droite française soit très interventionniste et très peu libérale (comme si donner des subventions aux entreprises était une idée libérale !) ; de même, la gauche est davantage progressiste sur le plan des valeurs tandis que la droite y est plus conservatrice. Si l’on doit mettre des étiquettes, je suis probablement de centre-droit, plus à gauche sur certaines choses, plus à droite sur d’autres, votant généralement au centre.

EXTREME-DROITE

J’ai peu de sympathies pour les radicalités qui ne sont pas spirituelles, intellectuelles ou individuelles (donc pour les extrémismes). La Tradition, oui, mais pas une vision éthérée et trop exclusive de la nation. Pas de déclinisme, de racisme, de stupidités. Pas de dynamiques enfermantes. Pas d’extrême-droite.

TOLÉRANCE

La tolérance, en soi, c’est neutre. Tout dépend de ce dont on la charge, c’est-à-dire ce qu’on tolère ! Si on tolère le mal, les injustices, les fascismes, les intégrismes religieux, notre tolérance méritera de s’appeler laisser-faire, collaboration, complicité, crime, péché par omission, lâcheté. La tolérance comme valeur en soi, c’est une grande erreur moderne.

DISCERNER

Le mot le plus important de la politique.

2 réflexions sur “Quelques mots politiques

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