A propos du vote RN

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Les marqueurs sociaux du vote RN

Les marqueurs prédictifs les plus forts du vote RN sont dans l’ordre:

1- L’absence de diplôme. Toutes les enquêtes montrent que le fait de ne pas avoir le bac augmente fortement la probabilité de voter RN et le fait d’avoir au moins un bac+3 la divise par deux. En 2022, Marine Le Pen faisait environ 10% chez les bac+3 et plus contre 35% chez les non-bacheliers (Ipsos). Ceci se vérifiait encore au second tour où selon un autre sondage, 80% des diplômés du supérieur votaient Macron contre seulement 55% des non diplômés. Le premier ressort du vote RN, c’est la relégation culturelle.

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Ceci explique au passage un mystère pour les intellos : comment se fait-il qu’en se faisant défoncer dans la campagne sur quasiment tous les sujets, que ce soit par Attal, Aubry ou Glusckmann, en montrant clairement qu’il n’a jamais foutu un pied au parlement européen et qu’il est totalement incompétent, Bardella parvienne à un tel score ? Je veux dire qu’il a été littéralement incapable de dire comment était élu le président de la Commission européenne alors que c’est l’un des premiers rôles du Parlement.

Selon le sociologue Félicien Faury qui vient de sortir une enquête issue fruit de plusieurs années de terrain auprès des « électeurs ordinaires » (titre du livre) du RN, cela n’est nullement un obstacle chez eux : au contraire, cela peut réactiver des souvenirs d’humiliation des « donneurs de leçons » et des « élites », lesquelles sont d’ailleurs souvent modestes et ne se réduisent pas à la caricature des « technocrates bruxellois » : le responsable associatif du coin, l’institutrice, le maire local…

Évidemment, c’est particulièrement marqué dans une élection européenne, sujet technique s’il en est où 99% des électeurs n’ont aucune idée du fonctionnement des institutions européennes, et qui pourrait le leur reprocher ? C’est fort complexe, trop complexe, et je le sais uniquement parce que je l’enseigne et que c’est mon travail de le savoir. Donc, si personne n’y comprend rien, ce n’est pas là que ça se joue, en tout cas pour cet électorat.

2- La ruralité. Le célèbre géographe Christophe Guilluy a à peu près tout dit sur le sujet de la « France périphérique » : même si certaines de ses affirmations ont été depuis nuancées, il reste exact que vivre en ruralité est un fort marqueur du vote RN : Paris, où Le Pen dépasse rarement 10% (voire 5%), n’est que l’exemple emblématique d’une situation où les métropoles votent peu RN, le périurbain et les campagnes bien davantage. Vous pouvez prendre toutes les circonscriptions et regarder les cartes : dans les villes, le vote RN est presque toujours plus faible ; dès qu’on s’éloigne, il explose. À l’échelle de la France, on connaît aussi l’ancrage du RN dans le nord (où le parti fait toujours des meilleurs scores) et dans le sud-est, alors qu’il est historiquement faible en Bretagne et en Occitanie par exemple. Ce facteur se lie au précédent : dans les villes et spécialement à Paris, la concentration de diplômés est bien plus importante.

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3- La pauvreté. C’est un marqueur qui découle logiquement du premier puisque un faible niveau de diplôme s’accompagne très souvent d’un poste à faible responsabilité et de revenus modestes. Néanmoins, ce n’est pas typique du vote RN. D’abord, l’électorat pauvre vote aussi fortement à gauche : à revenus égaux, c’est le niveau de diplôme qui fait la différence. D’autre part, si les électeurs du RN sont pauvres, ils sont loin d’être les plus précaires. Schématiquement, les employées à temps partiel des services sont bien plus précaires que les ouvriers chez Renault : ces derniers votent pourtant beaucoup plus RN. Les plus précaires s’abstiennent ou votent LFI, surtout s’ils sont d’origine immigrée : pensez à la députée LFI Rachel Keke, ancienne femme de chambre qui a commencé à travailler à 16 ans et s’est fait connaitre par sa défense des précaires de l’hôtellerie, typique de cet électorat. Au passage, elle a continué à faire l’objet d’attaques racistes et d’un mépris de classe constant une fois élue : « elle n’y va pas pour faire le ménage » selon sa rivale macroniste, « j’avais peur qu’elle vienne en boubou » selon l’inénarrable Elisabeth Levy.

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Pourquoi votent-ils RN ?

Il existe deux grands types d’explications qui sont toujours peu ou prou les mêmes :

1- L’explication par les difficultés socioéconomiques qui est celle de Cagé-Piketty et de bien d’autres auteurs. Elle tourne autour du thème du « vote de colère », de la « France abandonnée », des « perdants de la mondialisation ». Le vote RN serait une demande de social et de protection, il suffirait de développer l’État providence et de lutter contre les inégalités pour l’éteindre. C’est une idée qu’on va souvent retrouver dans les médias (« ils ne sont pas racistes, il faut les comprendre ») et qui peut se transformer en stratégie politique, chez un Ruffin par exemple.

2- L’explication par la xénophobie. Le vote RN serait un vote fondamentalement raciste qui rejette les minorités ethno-raciales, spécialement les arabo-musulmans.

La réalité est que… c’est les deux. Oui, le vote RN est un vote social : d’une part, il est indéniable que le parti a un programme économique socialisant, en tout cas beaucoup moins libéral que la plupart des partis de droite, Macron compris. J’en avais déjà parlé : la retraite à 60 ans figure depuis 2017 dans le programme de Le Pen, ainsi que la défense des 35h, le protectionnisme économique, la garantie du statut public pour La Poste, etc. On est très loin d’un Fillon qui voulait au contraire abandonner toute référence aux 35h, ouvrir de nombreux services publics à la concurrence et aller bien plus loin que Macron sur les retraites.

De plus, vivre en ruralité signifie expérimenter concrètement le manque de services publics : vivant en Charente qui dans le top 5 des déserts médicaux, je sais de quoi je parle. Ici, trouver un dentiste est mission impossible (le mien a longtemps été à Rochefort, chez mes parents, soit 1h30 de route) et pour avoir un arrêt maladie il faut parfois attendre presque une semaine (c’est du vécu). Ce sentiment d’abandon des services essentiels peut être un carburant du vote RN qui est sur ce plan antilibéral.

Mais le vote RN est aussi un vote xénophobe, ce que montrent toutes les enquêtes. La quasi-totalité des électeurs du RN répondent « tout à fait d’accord » à la phrase « Il y a trop d’étrangers en France ». La demande de social de cet électorat n’est nullement de gauche au sens où elle n’est pas universaliste : ils veulent des aides publiques mais pas pour les étrangers, car ils ont le sentiment (parfaitement faux mais bien entretenu par les médias de Bolloré) que les plus pauvres qu’eux et surtout les immigrés touchent plus d’aides. Ah, ce plaisir de toucher 207€ d’aide par mois ! (montant de l’allocation pour les demandeurs d’asile, qui rappelons-le n’ont pas le droit de travailler). Ah, la joie d’être au RSA ! (635€ par mois).

Ici, on ne peut sans doute pas parler de racisme au sens strict, mais plutôt d’une demande de social xénophobe : la fameuse « préférence nationale » selon laquelle même des étrangers en situation régulière qui travaillent et cotisent n’auraient pas les mêmes droits que les nationaux, ou seulement après un temps très long : c’est contraire à la Constitution comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel encore récemment en censurant la loi immigration.

Il y a aussi un racisme plus direct, quoique probablement pas chez tous les électeurs du RN, mais très visible chez ceux de Reconquête : l’idée que les étrangers (surtout musulmans) menacent notre mode de vie et nos valeurs, qu’il y aurait des vrais et des faux Français avec tout ce que ça implique. Ceci dans un contexte de multiplications des attentats islamistes depuis une dizaine d’années, de crise migratoire européenne, d’embrasement des banlieues et surtout d’hypermédiatisation des faits divers accréditant l’idée (discutable) que la délinquance explose partout (merci encore Bolloré) et qu’elle est la conséquence directe d’une immigration violente « par nature » et « inassimilable ».

La sécurité, vrai sujet bien exploité par le RN avec ce paradoxe que leur électorat n’est pas le plus touché puisqu’en ruralité, il y a beaucoup moins d’insécurité qu’ailleurs. L’insécurité du quotidien, elle est d’abord dans les métropoles et les banlieues populaires, qui votent peu RN. A l’inverse, des bourgs sans un seul Arabe en vue, où le dernier accident mortel est un accident de chasse, où les cambriolages sont si rares que les portes restent ouvertes la nuit et qui pourtant placent le RN ou Reconquête à 70 ou 80%, il y en a des centaines. Cela n’empêche donc pas chez ces gens un « sentiment d’insécurité » qui peut être très fort tout en étant une pure construction médiatique.

Conclusion

Il ne faut pas opposer les analyses : le sentiment d’abandon social cohabite très bien avec l’idée que la voisine voilée que je croise parfois dans le bourg « touche plein d’aides » (je reprends ici les mots d’un électeur RN dans une enquête de Libé, qui bien sûr n’en avait pas le début d’un commencement de preuve). Même si je salue les efforts de Ruffin, on aura compris pourquoi ces électeurs ne votent pas, et ne peuvent que très difficilement voter pour la gauche :

1- la gauche n’a rien à leur dire qui pourrait leur plaire sur l’immigration, et c’est normal, si la gauche n’est pas universaliste elle n’est plus de gauche.

2- la gauche ne leur parle pas d’insécurité : là, c’est regrettable car c’est un vrai sujet et une fonction régalienne de l’Etat.

3 – le programme économique de gauche n’est pas vraiment pour leur plaire : il est trop universaliste et trop redistributif. Certes, la gauche a un programme social bien plus clair et développé que le RN, néanmoins c’est un programme de redistribution qui parle en fait peu d’économie et de travail. Schématiquement, Mélenchon a 150 idées pour redistribuer les richesses, pas beaucoup d’idées pour en créer : au passage, quelqu’un peut-il expliquer à LFI que bloquer les prix et augmenter les salaires sont deux mesures incompatibles ? Si l’électorat du RN est demandeur de social, c’est avant tout par le travail : ils sont pour la retraite à 60 ans (même si elle est infinançable) parce que la retraite est issue des cotisations donc du travail, mais critiquent le RSA des « assistés » (même s’il est très finançable) parce qu’on a pas besoin de travailler pour toucher le RSA. Ils peuvent avoir fait tous les ronds-points des Gilets jaunes pour se plaindre du prix du diesel, des aides trop faibles et des salaires trop bas, tout en critiquant un Etat trop généreux avec les « autres » (les assistés).

4- enfin, les attaques caricaturales de la gauche sur le mode « oh mon Dieu, le fascisme au pouvoir, Bardella = Hitler » ne font que renforcer leur vote. Parce qu’il est évident que c’est une caricature grossière qui ajoute au sentiment que la gauche ne sait que donner des leçons de morale, que cet électorat est de toute façon trop jeune pour avoir connu les grandes heures de Le Pen père, de ses outrances antisémites et des nazis d’arrière-boutique, et que tout ce qu’ils voient, c’est « qu’on a jamais essayé le RN » (argument imparable !) et que le poli et cravaté Bardella présente beaucoup mieux sur TikTok que papy Mélenchon et ses coups de gueule douteux.

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