Quand on tape “La décroissance” sur un moteur de recherche, les trois premiers résultats renvoient vers un parti politique (le “Parti pour la décroissance”), qui en fait ressemble plus à un blog promouvant une association, un journal (La décroissance), et un “Institut d’études économiques et sociales pour la décroissance”, une sorte de blog, d’annuaire ou de recueil de liens et de citations.
Wikipédia le définit comme un « concept », mais il s’agit plus probablement d’un mouvement, ayant une certaine cohérence sans être pour autant unifié. Car « la » décroissance, c’est tour à tour ou simultanément un mode de vie ou une théorie socio-économico-politique, une façon de voir le monde ou une façon d’agir, une explication du système ou des valeurs personnelles.
Bien que son poids politique, sociologique et (surtout) médiatique soit encore très faible, le mouvement se développe et l’on en trouve des signes nationaux ou internationaux : articles de presse y compris en-dehors des cercles de la presse « alternative » (Libération, Courrier International voire Le Monde), déclarations d’artistes, de journalistes ou de politiques (plus rarement) déclarant adhérer aux idées de ce mouvement, actions locales plus ou moins affiliées à la décroissance (Notre-Dame des Landes, Sivens, mouvements anti-pubs), etc.
La décroissance en tant que mode de vie individuel
Prétendre détailler exhaustivement les différentes facettes de ce mouvement est hors de propos. D’abord, parce qu’on peut difficilement critiquer un mode de vie, surtout quand il est individuel. Pour le dire autrement, n’importe qui est libre de vouloir consommer moins ou différemment, préférer réparer plutôt qu’acheter, travailler moins et consacrer plus de temps à soi ou à sa famille, développer une spiritualité, cultiver un jardin, passer du temps dans la forêt, que sais-je. Non seulement cela est acceptable, mais on peut sans avoir besoin d’être un décroissant militant comprendre ce mode de vie ou le pratiquer. Et je dirais même que c’est plutôt répandu.
Je ne prétends pas qu’utiliser des toilettes sèches ou refuser de prendre l’avion soit une attitude très courante ; je pense à des choses plus banales : prendre plus de temps pour soi et sa famille ou faire attention à sa consommation par exemple. La plupart des gens, même ceux qui aiment leur travail, ne vivent pas, ne veulent pas vivre uniquement pour travailler. La plupart des gens ne considèrent pas non plus que leur bonheur dépend uniquement de la quantité de gadgets qu’ils reçoivent à Noël, et j’avancerai même que beaucoup font attention à la provenance et la qualité de leur consommation. Il y a bien sûr quelques ultra-riches déconnectés, quelques shopping-addicts et quelques matérialistes qui ne vivent que par la quantité de biens qu’ils possèdent. Cela existe, mais il n’est pas certain que ce soit ainsi que la majorité des gens « normaux » vivent.
Peut-on alors dire que la décroissance n’est qu’une version plus radicale de cette façon de vivre ? ne pas se contenter d’acheter des produits de saison, mais refuser tout aliment qui ne soit pas bio et produit localement ; ne pas se contenter de faire attention à sa consommation d’essence, mais refuser de posséder une voiture ; ne pas se contenter de partager son temps entre travail et loisirs, mais travailler volontairement à mi-temps ; ne pas se contenter de consommer différemment, mais consommer moins ; ne pas se contenter de regarder à deux fois avant de prendre l’avion, mais manifester contre Notre-Dame des Landes.
C’est une façon de voir les choses, mais une fois encore si la décroissance est seulement un mode de vie individuel promouvant la « simplicité volontaire » ou une façon de résister à des projets locaux jugés néfastes, on voit mal ce qu’on pourrait en dire qui n’aurait pas qu’une portée individuelle. Les modes de vie regardent ceux qui les pratiquent. On pourrait, à la rigueur, trouver que certains décroissants sont un peu radicaux avec eux-mêmes (se passer de réfrigérateur, par exemple, comme affirme le faire Vincent Cheynet, le rédacteur en chef de La décroissance), mais c’est un peu comme trouver que la vie monastique est radicale : et après ? cela regarde les moines qui l’ont choisie. En clair, si un mode de vie peut éventuellement être partagé, échangé, on voit mal en quoi il peut être critiqué, démontrer, analysé comme l’est un concept, une théorie, une donnée.
La décroissance en tant que système de pensée
Sauf qu’évidemment, la décroissance n’est pas que cela est c’est bien pour ça que le mouvement fait parler de lui. Outre un mode de vie, c’est aussi, et peut être surtout, une philosophie politique qui prétend 1. Dire pourquoi le « système » actuel ne convient pas, ou ne peut pas se poursuivre 2. Dire ce qu’il faut faire. Autrement dit, « la » décroissance ne se contente pas de proposer à ceux qui militent une nouvelle façon individuelle de vivre et de consommer, elle leur propose une façon de penser et des solutions pour la société entière. Il s’agit donc soit de convaincre les autres individus qu’ils doivent suivre le mode de vie décroissant de façon à ce que celui-ci se généralise (méthode morale) et/ou d’agir sur les lois pour que ce mode de vie soit imposé (méthode institutionnelle).
En tant que telle la décroissance peut donc être regardée, comprise et analysée comme un système de pensée s’attaquant à des sujets sociologiques, économiques, politiques. C’est seulement en tant que telle que la décroissance m’intéresse ici, puisque c’est seulement en tant que telle qu’elle peut être analysée et critiquée.
La décroissance comme système analytique positif
La décroissance, c’est donc un regard sur le monde, un système analytique de faits (positif) qui repose sur des hypothèses propres. On peut assez facilement le résumer en quelques phrases : les ressources de la planète sont limitées, mal réparties et nous les épuisons trop, trop vite. Notre mode de vie n’est pas tenable à long terme. Une croissance infinie est impossible dans un monde fini.
De telles affirmations nécessiteraient à elles seules des heures et des centaines de pages d’analyse, faisant appel à une multitude de sciences : géothermie, ingénierie de l’énergie, géologie, prospection économique. Je n’ai évidemment pas le temps ni les moyens de faire cette analyse exhaustive que le débat sur l’épuisement des ressources mérite, mais d’autres le feront ou le font déjà, et c’est tant mieux. Pic du pétrole, production d’énergie alternative, photovoltaïque ou éolien, GES, CO², cycle du carbone, changement climatique… tout cela mobilise la réflexion de milliers d’experts pour savoir où, quand, quoi, comment, et c’est tant mieux.
Je me contenterai pour ma part de rappeler l’analyse de la catégorie scientifique que je connais le mieux : l’économie. Les économistes, contrairement à ce qu’entendent ou sous-entendent parfois les décroissants, ne sont pas insensibles à ces débats. Par définition l’analyse économique s’intéresse aux ressources rares comme la monnaie, le temps…ou le pétrole. Les ressources naturelles sont donc l’objet d’analyse des sciences économiques. Pourquoi alors la majorité des économistes n’adhèrent-ils pas à la vision des choses de la décroissance ?
J’y reviens dans la seconde partie.
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