La TVA sociale est le mécanisme qui consiste a augmenter fortement la TVA en baissant en même temps les cotisations sociales, dans le but de « transférer » tout ou partie du financement de la protection sociale sur les consommateurs et non plus sur les seuls travailleurs et employeurs. Pour ses partisans, cette mesure présente plusieurs avantages:
- Elle permettrait de faire financer une partie de la protection sociale par les étrangers (incluant les multinationales françaises qui produisent en Chine et dans les pays du Sud). En effet, les produits importés sont taxés à l’entrée sur le territoire national, on leur applique immédiatement le taux de TVA local et c’est l’importateur qui paye. Si donc je suis une multinationale française délocalisée en Chine, et que j’importe mes propres produits depuis ma filiale chinoise, je paierai une TVA plus élevée. C’est la même chose si j’importe directement des produits chinois, ça me reviendra plus cher. La TVA sociale rend donc l’importation plus chère.
- Dans le même temps, la TVA sociale améliorerait notre volume d’exportation, car les entreprises ne payent pas la TVA sur leurs achats (elles se la font rembourser en aval, les entreprises exportatrices ayant même le droit de la déduire en amont). Donc, si je suis une entreprise exportatrice de produits français, je ne paye rien, c’est mon importateur (allemand, chinois…) qui paiera sa TVA au prix local. Les entreprises exporteraient donc au même prix qu’avant, voire moins cher. En effet la TVA sociale devrait améliorer notre compétitivité, car en finançant une partie de la protection sociale par celle-ci, on peut en contrepartie baisser les charges sociales, donc le coût du travail, donc vendre moins cher.
Les détracteurs de la TVA sociale arguent quant à eux qu’elle est au contraire antisociale, puisqu’elle va pénaliser d’autant plus les pauvres et les classes moyennes que ces derniers consomment une part importante de leur revenu (c’est le mécanisme keynésien de la propension marginale à consommer). Or, la TVA est un impôt injuste[1] puisque le même taux est appliqué à chacun, quel que soit ses revenus. Les pauvres seront donc plus pénalisés. Par ailleurs, l’augmentation des prix qui en résultera risque d’étouffer la croissance en contractant la demande.
Je me range du côté des opposants à la TVA sociale. Ses inconvénients paraissent plus certains et dangereux que ses avantages. Nous sommes parfaitement sûrs qu’une augmentation de la TVA fera augmenter les prix, pénalisant particulièrement les classes moyennes et les pauvres qui n’ont pas l’épargne suffisante pour maintenir un certain niveau de consommation (contracyclique). J’emprunte d’ailleurs ici à la théorie du revenu permanent de Friedman, qui n’était pas le dernier des keynésiens.
En revanche, les aspects positifs de la TVA sociale sont difficiles à cerner avec précision.
Commençons par rappeler que les impôts, au final, ne sont pas payés par des produits mais par des personnes. Autrement dit, comme l’expliquait Alexandre Delaigue, « le système actuel consiste à faire payer les cotisations sociales par les acheteurs de produits fabriqués en France; de ce fait, les acheteurs étrangers de produits français paient une partie des cotisations sociales, tandis que les acheteurs français de produits importés n’ont pas à le faire. Au total, pour la population française, cette opération génère un gain, pas une perte, puisqu’elle achète des produits moins chers et vend des produits plus chers ».
Ce que dit Alexandre Delaigue, c’est que les étrangers, ceux qui achètent des produits français, financent DÉJÀ une partie de la protection sociale française puisque les cotisations sociales sont intégrées dans le prix de vente à l’export. Il est donc ridicule de mettre en avant l’argument du « faire financer une partie de la protection sociale par les étrangers » —par les « tee-shirts chinois », dixit Fillon— car ils la financent déjà quand ils achètent une Renault dont le prix comporte entre autres les cotisations sociales des ingénieurs qui l’ont conçue et des ouvriers qui l’ont assemblée.
De plus, il ne faut pas oublier que les entreprises ne paient jamais la TVA. Une entreprise qui importe des produits chinois doit l’avancer, mais seulement l’avancer: elle se la fait ensuite rembourser par l’État. C’est donc bien le consommateur qui paie l’addition finale: la TVA sociale ne revient donc en rien à faire financer une partie de la protection sociale par les « multinationales françaises qui produisent en Chine et dans les pays du Sud ».
« François, (…) il va vraiment falloir que je t’explique un truc ; les T-shirts chinois ne paient pas d’impôt. En fin de compte, c’est toujours le consommateur qui raque, et le travailleur français se trouvera fort dépourvu au moment de passer à la caisse pour régler son T-shirt chinois, sa voiture japonaise ou son iPhone américain. » Emmanuel, du blog Ceteris Paribus
A l’intérieur du pays, la hausse de la TVA ne profitera pas nécessairement aux salariés: l’augmentation des prix qui en résulterait grèvera leur pouvoir d’achat de manière certaine, tandis qu’à l’autre bout de la chaîne il n’est pas certain que cette hausse de TVA s’accompagne d’une baisse des charges dans les mêmes proportions. Et même si cette baisse de charge dans les mêmes proportions survient (c’est quand même à priori le but de la mesure, sinon ça ne sert à rien), rien ne garantit que les entreprises choisissent de baisser leurs prix: dans les secteurs qui sont en majorité à concurrence imparfaite (de type oligopole), elles pourront simplement choisir d’augmenter leur marge en profitant d’un effet d’aubaine. Ou bien elles choisiront d’augmenter les salaires, ce qui sera profitable aux salariés (surtout ceux qui sont capables de bien négocier) mais extrêmement dommageable pour les chômeurs et les retraités qui subiront de plein fouet la hausse des prix sans voir leur revenu augmenter[2].
On rappelle que la baisse de la TVA dans la restauration, cadeau de 3 milliards d’euros fait chaque année aux restaurateurs, ne s’est pas particulièrement traduite par une baisse des prix et une explosion de l’emploi dans le secteur, malgré les jolis autocollants à l’entrée de nos bars préférés. Tout au plus les restaurateurs se sont-ils abstenus d’augmenter leurs prix. Les véritables baisses ont été très rares. Chez moi, la pinte est toujours à 5€… si la baisse de la TVA n’a pas eu les effets escomptés, quid de sa hausse?
En admettant même que l’effet « hausse-des-prix » soit exactement compensé par l’effet « baisse-du-coût-du-travail », et que les entreprises y mettent la bonne volonté qu’il faut, qu’est-ce qui garantit qu’elles pourront baisser leurs prix de vente? Et même, qu’est ce que garantit qu’elles pourront ne pas l’augmenter? Même si les entreprises nationales ne payent pas la TVA et ne font que la collecter pour le compte de l’État, elles ont intérêt à ce que celle-ci soit la plus basse possible: d’une part parce que le remboursement n’est pas immédiat, et que la TVA est temporairement payée sur les achats, ce qui peut être un investissement très lourd pour les grandes entreprises; d’autre part, pour rester compétitive face aux concurrentes. La TVA est un impôt, et à ce titre tend à « discriminer » les entreprises entre celles qui peuvent se permettre de ne pas reporter immédiatement sa hausse sur les prix (parce qu’elles ont des réserves financières et donc les moyens d’attendre son remboursement, ou bien parce qu’elles d’autres leviers d’actions pour baisser les prix ou les maintenir bas), et celles qui ne peuvent pas se le permettre et devront donc augmenter leurs prix. Tout cela en fonction bien sûr du niveau de rudesse de la concurrence et de l’élasticité-prix de la demande.
« Acceptons toutefois la logique d’ensemble : d’un côté, la hausse de la TVA fait monter les prix, de l’autre, elle fait baisser les coûts de production; l’un dans l’autre, ces phénomènes se compensent : après tout, in fine, le financement de la protection sociale est toujours prélevé sur les Français. Mais même en admettant que ce basculement est au total neutre, il faut bien voir que c’est une forme d’ingéniérie sociale à côté de laquelle les 35 heures sont une aimable plaisanterie. Car certains secteurs d’activité vont pouvoir reporter les hausses de TVA, d’autres pas, en fonction de l’élasticité de la demande par rapport au prix; les premiers secteurs bénéficieront de la mesure, les autres en pâtiront.
De même, pour les secteurs intensifs en capital, la baisse des cotisations ne compensera pas la hausse des prix de vente; les secteurs dépendant des importations (au hasard, la distribution) vont devoir largement élever leurs prix de vente. Il s’agit d’un choc conséquent sur l’économie française dont l’impact serait, a priori, de défavoriser les entreprises les plus productives (celles qui utilisent beaucoup de capital) au profit (très discutable, car à la prochaine dévaluation, cet avantage disparaît) de quelques secteurs en déclin et peu productifs. Par ailleurs, il est fort probable que cette mesure élève le coût réel du travail peu qualifié; les salariés en question génèrent d’ores et déjà peu de cotisations du fait des allègements existant, mais par contre, subiront de plein fouet la hausse du prix des produits qu’ils achètent. Le coût réel de leur travail[3] va donc considérablement augmenter. » Alexandre Delaigue
La situation relative des branches serait donc modifiée à terme: comme le souligne Henri Sterdyniak, « (…) les entreprises qui utilisent beaucoup de main-d’œuvre et peu de capital supportent à la fois beaucoup de cotisations sociales et beaucoup de TVA, car elles bénéficient peu de la déductibilité de la TVA sur l’investissement. Les entreprises capitalistiques supportent peu de cotisations sociales employeurs et peu de TVA (puisqu’elles bénéficient du remboursement de la TVA sur leur capital). » Mais contrairement à ce qu’il explique ensuite, la TVA sociale modifierait cet équilibre. En effet, les entreprises travaillistiques paieraient (proportionnellement) beaucoup moins de cotisation sociales mais un peu plus de TVA, tandis que les entreprises capitalistiques paieraient (proportionnellement) un peu moins de cotisations sociales mais beaucoup plus de TVA. Or, la TVA liée aux dépenses en capital deviendrait plus chère que les cotisations sociales liées au travail… Certes, cette TVA serait à terme remboursée par l’État —contrairement aux cotisations sociales— mais il reste que les entreprises travaillistiques seraient, hors ce remboursement tardif, favorisées.
Alexandre Delaigue pense que ce serait porter un coup aux entreprises les plus productives (puisque plus intenses en capital). On peut aussi juger que ce serait une bonne chose pour favoriser la « substitution du travail au capital » et remettre le travail au centre. D’autant que les firmes exportatrices sont en général les plus efficaces (VA supérieure de 13% en moyenne aux firmes non-exportatrices), paient des salaires plus élevés (de 15% en moyenne) et embauchent plus, ce qui est logique puisque les firmes exportatrices sont les firmes présentes sur le marché mondial et que le marché mondial est suffisamment impitoyable pour ne laisser en vie que les meilleures entreprises. Seulement voilà: il faut que baisse des cotisations et hausse de la TVA se compensent exactement. Or:
Un autre argument est essentiel. Les recettes de cotisations sociales de l’État (plus exactement des administrations de sécurité sociale, car ce sont deux organismes bien distincts, les administrations de sécurité sociale ayant d’ailleurs un poids budgétaire 1,5 fois supérieur à celui de l’État) sont supérieures au double de celles de la TVA. En 2008, le montant des cotisations sociales prélevées par la Sécu s’élevait à 303,7 milliards d’euros, à quoi il faut ajouter 3,8 milliards prélevés directement par l’État (les cotisations des fonctionnaires). Les recettes de TVA étaient quant à elles de 169,3 milliards (2009).
Autrement dit, si l’on veut maintenir le budget des Administrations Publiques, pour chaque point de baisse de cotisation sociale, il faut augmenter la TVA de 2 points. Par exemple si l’on baisse les cotisations sociales de 2%, on perd 6,15 milliards d’euros (0,02*307,5). Pour récupérer ces 6,15 milliards, il faut augmenter la TVA d’environ 3,632% (6,15/169,3), soit presque le double… Supprimer intégralement les cotisations sociales pour les remplacer par la TVA revient donc à multiplier la TVA par 1,816 (307,5/169,3), soit une augmentation de… 81,6%. Je vous laisse imaginer l’effet sur les prix.
« Oui, mais la baisse des cotisations sociales produira une augmentation de l’emploi via la baisse des cotisations sociales », répliqueront certains. Bien sûr, je ne remets pas en cause le fait qu’une baisse du coût du travail peut donner un coup de fouet à l’emploi (enfin, surtout l’emploi peu qualifié, l’effet sur l’emploi qualifié est très discutable puisqu’il dépend moins du prix que de la qualification, justement). Je considère que permettre aux très petites entreprises françaises ayant moins de 3 salariés (on rappelle que les TPE françaises avec 0 salariés représentent 60% (!) des entreprises françaises) d’embaucher un ou deux salariés sans charges pendant un ou deux ans n’est pas une idée idiote.
Néanmoins, nous ne pouvons pas préjuger de l’effet exact sur l’emploi de la baisse des cotisations sociales: le processus d’embauche est lié à bien d’autres facteurs que le seul coût du travail, et il faut pouvoir comparer le coût de la mesure avec l’effet sur l’emploi. Par exemple, le gouvernement s’est vanté en mai dernier d’avoir « sauvé 50 000 emplois » grâce à la baisse de la TVA dans la restauration. Seulement, la mesure a coûté plus de 3 milliards. Soit un emploi sauvé à… 60 000€ par tête. Bien entendu ces 3 milliards vont gréver le budget de l’État tous les ans, tandis que l’effet sur l’emploi ne dure qu’une fois. Un beau résultat, en effet.
Le taquin Michel Abhervé rappelle d’ailleurs qu’en comparaison, « les vilipendés emplois jeunes, preuve s’il en est, de la calamiteuse gestion de la gauche coûtaient à l’Etat “80 % du SMIC brut par emploi créé sur 5 ans au plus”, ce qui, sur une année, représente 16 125 Euros, soit pratiquement quatre fois moins que le coût de l’emploi affirmé comme sauvé dans la restauration (et pendant un maximum de 5 ans et non sans limite de temps) »
En conclusion: la TVA sociale, c’est une idée (très) moyenne. Ce qu’il faudrait faire, ce n’est pas l’augmenter pour remplacer les cotisations sociales, mais la moduler pour, par exemple, inciter à l’achat de produits écologiquement et socialement vertueux. A quand une TVA réduite sur les produits bios et équitables ? Une autre ingénierie sociale…
[1] Injuste au sens de non-progressif, du point de vue d’une théorie de la justice rawlsienne.
[2] Bon, c’est vrai qu’avec la TVA sociale, les rentiers aussi, qui par définition ne travaillent pas, financeraient une partie de la protection sociale. Mais s’ils sont rentiers, cela ne les affecteraient guère, justement. Contrairement aux chômeurs et aux retraités susnommés.
[3] Coût réel du travail = pouvoir d’achat. Le coût réel qui monte revient à dire que le pouvoir d’achat baisse.
Partagez votre TVA sociale:
J’imagine que les chiffres que tu donnes cumulent les cotisations salariales et patronales. Or, dans l’idée de TVA sociale, il ne s’agit que de transférer les cotisations patronales de manière à baisser le coût du travail.
D’ailleurs, cet objectif ne vise pas directement à créer de l’emploi comme on l’a fait avec les baisses de charges sur les bas salaires. Il s’agit essentiellement de retrouver un peu de compétitivité-coût à l’export. Ce qu’il faudrait voir en réalité c’est l’impact que pourrait avoir cette mesure sur les industries exportatrices. Il n’est pas sûr en effet que cet impact soit déterminant, mais rappelons tout de même que cette mesure a été appliquée par l’Allemagne et qu’elle ne lui pas si mal réussi …
Oui, ce sont les chiffres cumulés. Effectivement le coût du travail pourrait être réduit mais à quel prix? Celui d’une inflation démesurée? Quid de ceux qui ne travaillent pas?
Je pense qu’on peut réduire pour certaines entreprises les cotisations sociales en le finançant autrement que par une hausse brutale de la TVA: un IRRP beaucoup plus élevé par exemple. J’ai aussi mis à jour le texte pour ajouter un passage sur l’effet de cette mesure sur l’équilibre entre entreprises travaillistiques et entreprises capitalistiques. Je crois finalement que la TVA, plus que d’être augmentée, doit plutôt être modulée en fonction des produits. A quand une TVA réduite sur les produits bio/équitables?
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Bonjour,
Excellent article comme à votre habitude, néanmoins je voue avoir ne pas avoir compris cette partie :
» Acceptons toutefois la logique d’ensemble : d’un côté, la hausse de la TVA fait monter les prix, de l’autre, elle fait baisser les coûts de production; l’un dans l’autre, ces phénomènes se compensent : après tout, in fine, le financement de la protection sociale est toujours prélevé sur les Français. Mais même en admettant que ce basculement est au total neutre, il faut bien voir que c’est une forme d’ingéniérie sociale à côté de laquelle les 35 heures sont une aimable plaisanterie. Car certains secteurs d’activité vont pouvoir reporter les hausses de TVA, d’autres pas, en fonction de l’élasticité de la demande par rapport au prix; les premiers secteurs bénéficieront de la mesure, les autres en pâtiront. »
Ma question porte sur la dernière phrase. Reporter sur quoi ? Si l’on s’accorde en effet sur la logique d’ensemble de la TVA sociale, il n’y a aucune hausse. Car même si l’entreprise doit avancer le coût de la TVA, cette TVA équivaut aux protections sociales, protections qu’elle finançait déjà via les cotisations et donc qu’elle avançait, les salaires étant versés avant la vente de la production. Il n’y aurait donc pas de hausse des coûts pour cette dernière, ni de hausse de prix si l’on suit le principe de la TVA sociale (Mais si je vous appuie sur le fait que la baisse des cotisations n’engendre pas mécaniquement une baisse des prix)
Bien cordialement
Autant pour moi, je n’avais pas lu le paragraphe suivant qui explicite la chose et m’étais arrêté dans ma lecture pour rédiger ce commentaire