Réformer la France #6 : l’assurance chômage pour tous

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Cette mesure est la première de ma série qui figure explicitement dans le programme de Macron. Voici en quelques mots ce qu’il faudrait faire, selon moi.

On en avait déjà parlé ici :  l’assurance chômage en France est problématique. D’abord, la France a l’un des systèmes les plus généreux d’Europe. On peut toucher des indemnités jusqu’à deux ans (trois pour les seniors) à partir de seulement quatre mois de cotisation. Il n’y a aucune dégressivité : on touche la même chose que l’on soit au début ou à la fin de sa période de chômage. Enfin, les plafonds de la Sécurité sociale sont très élevés (on peut toucher jusqu’à 7200€ par mois !).

D’un autre côté, le système français est très peu généreux puisque les motifs pour obtenir des indemnités sont stricts : en gros, le licenciement doit être involontaire. Les chômeurs licenciés pour faute ne touchent rien (ce qui semble assez logique) mais ceux qui démissionnent n’ont rien non plus, sauf exception (si la démission est considérée comme légitime par Pôle Emploi, il y a des critères). Surtout, les indépendants sont exclus du régime, ce qui fait quand même près de trois millions d’exclus !

Voilà pour la description du système, à la fois généreux pour ceux qui y ont droit et très restrictif pour y avoir droit. Voyons les difficultés que cela pose.

Premièrement, nul besoin d’être un économiste “ultralibéral” pour saisir que de telles conditions n’incitent pas à reprendre un travail. Les chômeurs sont des gens comme tout le monde : assez rationnels. Quand on est bien indemnisé, on est moins pressé de chercher un travail. Et quand on a un emploi mais que l’entreprise va mal, on préfère un licenciement sec qui permet de toucher de généreuses indemnités qu’une renégociation du salaire qui (pourtant) sauverait l’emploi. Évidemment, il ne s’agit pas de dire que les chômeurs sont tous des fainéants qui se gavent d’allocs. Ce genre de jugement de valeur émanant d’imbéciles de droite n’a aucun intérêt. La question n’est pas plus de savoir si le chômeur est fainéant ou travailleur que s’il aime le rock ou le blues. Quand on a droit à quelque chose, on fait valoir ses droits, point. Et quand on peut toucher (en moyenne) 71% de son salaire pendant deux ans sans avoir grand-chose à justifier, il est rationnel de prendre son temps avant de démarrer les recherches d’emploi. C’est une logique d’aléa moral qui est en jeu, exactement comme un assuré automobile à 100% sans franchise ne serait pas aussi prudent, avec la même voiture, qu’assuré au tiers ; ou qu’un système de santé qui rembourse tous les soins à 100% incite à surconsommer des médicaments, comme c’était le cas en France il y a peu (et c’est encore partiellement vrai).

Cela ne veut pas dire qu’il faut imiter le modèle américain où l’indemnisation chômage dépasse rarement six mois. Économiquement le modèle idéal se situe entre les deux extrêmes français et américains. Trop faibles, les indemnités incitent le chômeur à accepter n’importe quel emploi, y compris un où il sera faiblement productif (où il prendra la place de quelqu’un qui l’aurait été davantage), comme par exemple un docteur en histoire qui bosse au MacDo. La qualité des appariements sur le marché du travail sera donc diminuée, et le chômage augmentera. Trop élevées, les indemnités auront l’effet inverse. Or, la dette de l’UNEDIC dépasse les 30 milliards, et le taux de chômage français est bien plus élevé qu’aux États-Unis, donc il y a sans doute des choses à améliorer.

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Notez au passage que le modèle des pays nordiques, que l’on vante régulièrement (Danemark, typiquement) ont effectivement un système d’assurance chômage aussi généreux que la France : le taux de remplacement est encore plus élevé, de l’ordre de 90%. Mais d’une part, il y a souvent une dégressivité. Ensuite, le marché du travail est très flexible, beaucoup plus qu’en France (pas de salaire minimum au Danemark, des procédures de licenciement expéditives). Enfin, le contrôle des chômeurs est beaucoup plus strict que la France et ses conseillers Pôle emploi débordés (et donc inefficaces). Les indemnités chômage sont systématiquement et rapidement supprimés si les efforts du chômeur pour réintégrer le marché du travail sont jugés insuffisants. En l’espèce, ça marche : le Danemark n’a quasiment pas de chômage (à ce jour).

Ceci étant dit, à chaque pays sa culture et son modèle de l’assurance chômage. Je pense pour ma part que ce genre de système (générosité + contrôle) est la mauvaise solution, car c’est un système très coûteux en suivi des chômeurs. Le Danemark a moins de 200 000 chômeurs. La France en a vingt fois plus ! D’autre part, l’idéologie qui le sous-tend (si on ne contrôle pas les chômeurs, ils ne vont rien branler car ce sont des fainéants) me pose problème. Je ne parle même pas des politiques de droite qui voudraient imposer un TIG à chaque chômeur en échange de ses indemnités : cela revient à demander à un automobiliste accidenté de faire des heures gratuites dans un centre de lavage auto en échange de ses indemnités d’assurance…

Je pense qu’une société mature doit laisser les individus prendre leurs décisions, à partir de données claires. Si le système d’incitation à la reprise d’emploi est suffisamment bien calibré entre préservation des droits et dégressivité dans le temps, le système de contrôle devrait être léger voire inutile, car les individus décideront eux-mêmes de l’urgence (ou non) de reprendre un emploi en fonction de leurs propres objectifs de vie et de revenus. Aide de l’Etat pour se former : oui. Flicage : non.

Cela impliquerait de baisser la durée et/ou d’installer une dégressivité.  Je suis plutôt favorable à la seconde solution :  par exemple, indemnité maximum pendant 6 mois, puis baisse de 20% tous les six mois. Au bout de deux ans, le chômeur ne touche plus que 40% de son indemnité. Parallèlement, on leur lâcherait un peu la grappe : la logique voudrait qu’on les aide, pas qu’on les contrôle comme des enfants. Avec un système clair et dégressif, libre ensuite à chacun de choisir de retarder ou non la recherche active d’un emploi. La durée pourrait aussi être réduite : un an et demi, voire un an, me semble largement assez long pour retrouver un emploi (c’est déjà trois fois plus qu’aux États-Unis !)

Poussons la logique jusqu’au bout. Une fois qu’on a réformé le système en laissant les individus plus libres mais avec des indemnités moins généreuses, il faut ouvrir l’accès de façon bien plus large. Le refus des indemnités pour démission non légitime pose tout un tas de problèmes, à commencer par la souffrance au travail d’individus qui voudraient quitter leur entreprise (y compris pour en fonder une) mais ne veulent pas se retrouver sans rien. Si la direction refuse une rupture conventionnelle (cas très fréquent), il ne leur reste qu’à prendre leur mal en patience et souffrir jusqu’à trouver autre chose. Ridicule !

Il faut donc permettre à tous d’accéder à l’assurance chômage, y compris en cas de démission. Bien sûr, le nombre de démissions autorisées devrait être limité (dans la réforme Macron, c’est une tous les cinq ans)  car la démission est le motif de fin d’au moins 60% des CDI. Et il y en a plus de 20 000 par jour. Autant dire que si tout le monde est indemnisé à chaque démission, la Sécurité sociale s’écroule. Ajoutons dans le même esprit qu’on ouvrira l’assurance aux indépendants : il n’y a pas de raison valable. Cela amènerait progressivement à la fin du (scandaleux) RSI.

Combien ça coûterait ? Beaucoup d’argent (de l’ordre de 5 milliards d’euros) si on se contente d’ouvrir le système sans installer la dégressivité. Mais si on rend le système moins généreux, là encore il est possible de faire une réforme peu coûteuse, voire équilibrée.

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