Pourquoi je suis pro-européen (2/2)

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3. L’option européiste française

Je suis pro-européen. Je crois par principe aux valeurs portées par l’UE, je suis reconnaissant aux Pères de l’Europe d’avoir construit un monde dans lequel il n’y a pas de guerres entre nations européennes, après des centaines d’années de violences et de boucheries pour grappiller tel ou tel bout de territoire à ses voisins. Je réponds oui à la première question. Ce qui fait de moi un européiste, c’est de répondre oui à la seconde, c’est-à-dire de penser que l’option supranationale n’est pas une mauvaise façon de porter le projet européen. Je pense que les souverainistes sont trop radicaux dans leur façon de voir. Si l’on suit le Front National, il s’agirait de choisir entre une souveraineté exercée exclusivement par le peuple français ou une souveraineté exercée exclusivement par des institutions européennes. C’est totalement excessif et cela ne correspond pas à la réalité. Je défends ma position en trois arguments :

A. Il n’y a jamais d’abandon total de souveraineté

Les Etats-Unis, qui sont bien plus avancés que l’Europe ne le sera jamais en matière de fédéralisme, n’ont pas pour autant laissés toute la souveraineté au gouvernement fédéral. Des sujets aussi importants que le mariage homosexuel, les armes à feu, les crimes et les délits, la politique éducative, les impôts et les taxes, sont encore largement la prérogative des Etats fédérés et leurs gouverneurs. Texas, Californie, Oregon, Nevada…ont leur drapeaux, leurs hymnes, leurs devises, leur propre Parlement. Certes, les Etats-Unis avancent petit à petit vers plus d’intégration : avant que Roosevelt lance le New Deal, la politique fiscale était pratiquement impossible au niveau fédéral ! Un siècle plus tard, le gouvernement fédéral a l’exclusivité du pouvoir sur des sujets comme la monnaie, le commerce extérieur, la diplomatie, les droits de propriété, les règles de naturalisation, l’armée et la guerre, et peut lever des impôts nationaux (cf. article 8 de la Constitution américaine).  Il n’empêche que le fédéralisme américain n’a jamais empêché de grandes marges de manœuvres aux Etats fédérés, alors même que les Etats-Unis ont un niveau d’intégration bien plus élevé que l’Union Européenne.

B. Le pouvoir des institutions européenne n’est pas si important

Le pouvoir des institutions européennes est très largement exagérée par  les souverainistes. Je le montre de deux façons : d’une façon théorique et d’une façon pratique. En théorie, c’est-à-dire dans les traités européens, l’UE est fondée sur le principe de subsidiarité, inscrit dans le Traité de Lisbonne : ce principe impose que « toutes les sociétés d’ordre supérieur doivent se mettre en attitude d’aide (« subsidium ») — donc de soutien, de promotion, de développement — par rapport aux sociétés d’ordre mineur. De la sorte, les corps sociaux intermédiaires peuvent remplir de manière appropriée les fonctions qui leur reviennent, sans devoir les céder injustement à d’autres groupes sociaux de niveau supérieur, lesquels finiraient par les absorber et les remplacer et, à la fin, leur nieraient leur dignité et leur espace vital. À la subsidiarité comprise dans un sens positif, comme aide économique, institutionnelle, législative offerte aux entités sociales plus petites, correspond une série d’implications dans un sens négatif, qui imposent à l’État de s’abstenir de tout ce qui restreindrait, de fait, l’espace vital des cellules mineures et essentielles de la société. Leur initiative, leur liberté et leur responsabilité ne doivent pas être supplantées » (DSE, 185-186). Ce principe explique d’ailleurs le minuscule budget européen : l’UE ne va pas financer quelque chose si l’Etat concerné peut le faire plus efficacement, et ce dernier ne va pas le faire si la Région peut le faire mieux que lui, etc.

Les souverainistes avancent souvent des chiffres comme “80% des lois françaises ne sont que la transcription de directives européennes”. Ces chiffres sont faux. Un article des politologues Sylvain Brouard et Olivier Costa montre exactement le contraire : 80% des lois françaises sont adoptées en l’absence de contrainte européenne. Cela s’explique aisément : l’UE n’a pas vocation à remplacer les États dans des domaines qui sont de leurs compétences exclusives, ou qu’ils peuvent mieux gérer qu’elle. On parle de “compétences d’appui” : l’UE peut les aider par des financements, mais les laisse prendre leurs décisions. Cela concerne de nombreux sujets importants : l’éducation, la culture, l’industrie, la jeunesse, les sports, le tourisme, la formation professionnelle, la santé, etc. Dans d’autres domaines, l’UE et les États se partagent les compétences : environnement, énergie, recherche, politique sociale, marché intérieur, transport, etc. Dans un petit nombre de domaines, enfin, l’UE a la compétence exclusive : douanes, monnaie (zone euro), règles de la concurrence, certaines règles relatives aux ressources biologiques et marines. De tous les domaines de compétence exclusive de l’UE, il va de soi que c’est l’euro le plus important. Bien sûr, cette répartition des compétences reste toujours à approfondir, à aménager, à préciser. Un récent article de Charles Wyplosz l’affirme : « Il serait bon de remettre à plat tout ce qui a été centralisé, tout en se demandant si à l’inverse certaines fonctions aujourd’hui décentralisées ne doivent pas être centralisées. (…) les pays qui l’ont adoptée [la monnaie unique] doivent aussi centraliser la réglementation et la supervision bancaire. Il a fallu attendre la crise pour créer l’Union Bancaire, mais la centralisation est loin d’être achevée, tout simplement pour des raisons protectionnistes ou de refus de partager les risques. Quant à la fiscalité, rien n’indique qu’elle doit être centralisée, et pourtant de nombreux pays le veulent, la France en premier. (…) Autre exemple légendaire : la PAC. Son inefficacité est avérée mais elle continue à représenter le plus gros budget de l’UE. En sens inverse, la recherche scientifique gagne à être intégrée sur la plus grande échelle possible (le CERN est un bon exemple), or elle n’est que très partiellement centralisée ».

Empiriquement, il faut noter que la pratique du pouvoir dans l’UE s’exerce largement via les États-nations. Soit de manière officielle (c’est le conseil de l’UE, organe législatif majeur composé des ministres nationaux) soit officieusement, via des discussions en dehors ou “à-côté”  du cadre européen prévu. Ainsi lors de la crise grecque, on a surtout vu au devant de la scène le couple franc-allemand (Sarkozy-Merkel), qui a pris des décisions sans passer par la Commission (cf. Rencontre de Deauville). De même la crise migratoire a donné lieu a d’intenses échanges entre ministres européens, pas à une décision arbitraire de la Commission européenne. Même le sacro-saint Pacte de Stabilité avec ses critères de Maastricht soit-disant inattaquables a été violé un nombre incalculable de fois, à commencer par la France de Chirac et l’Allemagne de Schröder qui se sont arrangés en 2003 pour ne pas subir de sanctions de la Commission européenne. Quant à François Hollande, il a revendiqué ses hausses de dépenses sécuritaires  dans son discours post-attentat en affirmant que “le pacte de sécurité est supérieur au pacte de stabilité”, ce dont la Commission s’est contenté de prendre acte. Combien de pays respectent les trois critères de Maastricht, en 2016 ? Trois. L’Estonie, la Lettonie et la Lituanie. En 2011, seule la Suède les respectait. Il y a à peine un mois, lorsque la Commission européenne envisage de sanctionner Madrid et Lisbonne pour leurs dérapages budgétaires, elle finit par renoncer, pour des raisons économiques (ne pas briser leur reprise) et politiques (ne interférer dans les législatives espagnoles, ne pas sanctionner un gouvernement portugais pour les erreurs de ses prédécesseurs). On voit bien qu’on peut reprocher tout ce qu’on veut à ces critères, d’être inadaptés, procycliques, idéologiques, mais certainement pas de dicter la politique européenne, puisque personne ne les respecte et que personne n’est réellement sanctionné pour cela. Quand les dirigeants européens sont décidés, pour une raison ou une autre, à violer les règles communes, il n’y a personne pour les empêcher de le faire, surtout s’il s’agit d’un “gros” pays, typiquement la France. Ils peuvent s’appuyer sur leur légitimité populaire : ils ont été élus, contrairement aux Commissaires européens. Envoyer se faire voir les Commissaires n’est peut être pas très malin, mais c’est aussi un rapport de force politique qui s’installe : contrairement à l’opinion commune qui voudrait que les gouvernements soient systématiquement soumis à Bruxelles, je crois au contraire que les élus ont facilement tendance à rejeter leurs erreurs sur le dos (large) de l’Union Européenne et de la Commission en particulier, l’avantage indéniable étant non seulement de se dédouaner de leur propres responsabilités, mais en plus de jouer habilement sur le sentiment anti-européen et d’augmenter ainsi leur légitimité politique.

Évidemment, ce qui est vrai de la France ou de l’Allemagne ne l’est pas forcément de la Grèce dont le pouvoir de négociation est incomparablement plus faible parce que son économie est incomparablement plus faible, et qu’en raison de son endettement excessif, elle s’est placée elle-même dans une situation plus que délicate vis-à-vis des autres pays européens qui, en retour, ne lui ont fait aucun cadeau ; de plus, la BCE tient les cordons de la bourse et mène une politique indépendante des gouvernants. Donc, les gouvernements n’ont pas toujours le dernier mot. Il n’en demeure pas moins bien excessif celui qui prétend que la méthode communautaire (décision de la Commission qui s’applique à tous) est la seule façon de prendre des décisions dans l’Union Européenne.  La méthode décisionnelle dans l’UE est très souvent intergouvernementale, que ce soit officiellement (conseil de l’UE) ou officieusement (négociations de couloirs). L’UE ne “dicte” pas toute leur politique aux États : elle s’occupe de ce qu’on lui donne à s’occuper, dans des domaines finalement assez circonscrits qui peuvent difficilement relever de la seule compétence nationale. Ce qui m’amène à mon troisième argument.

C. On a besoin de gouvernance supranationale

Il n’y a pas de souveraineté nationale chimiquement pure ! La mondialisation est un fait, qu’on le veuille ou non. Dans le contexte économique et social contemporain, il est évident que l’État-nation ne peut pas tout prendre en charge. Il est parfois nécessaire, sur certains sujets, d’avoir des institutions qui puissent contraindre les États-nations. Qui peut nier que l’OMC ne sert à rien, quand il s’agit de régler un litige commercial entre deux pays ? Quel souverainiste souhaite sérieusement la disparition de l’ONU ? ou pense que le réchauffement climatique peut être surmonté par le seul dialogue entre États-nations ? Est-ce que les États européens peuvent, seuls, négocier avec des géants comme Facebook, Google ? peser face aux États-Unis ou à la Chine dans les négociations internationales ? Poser ces questions, c’est y répondre.

 Les nations seront toujours là et n’ont pas vocation à disparaître. Mais on ne peut pas nier que certains problèmes dépassent le cadre national. Je dis bien : certains problèmes. Typiquement ceux pour lesquels les négociations entre États-nations n’aboutissent pas, parce que chacun joue (ou essaie de jouer) son intérêt particulier au détriment de l’intérêt général. L’économiste Dani Rodrik l’a parfaitement résumé avec son trilemne : si l’on veut la démocratie dans un contexte de mondialisation, il faut accepter la gouvernance extra-étatique dans certains cas. Cette solution a des inconvénients, mais beaucoup moins qu’un repli nationaliste et protectionniste comme dans les années 1920, qui ne fait que des perdants, ou l’ultralibéralisme actuel avec des États-nations en concurrence obligés de se soumettre à tous les vents de la mondialisation parce qu’ils n’y a pas d’autorité supra-étatique pour la réguler.

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Source : Alternatives Economiques à partir de Dani Rodrik.

Cette dilution inévitable et même nécessaire de la souveraineté nationale ne date d’ailleurs pas de la mondialisation post-seconde guerre mondiale. Richard Robert écrit fort justement :

Les États-nations du XIXe siècle, qui en furent  [du souverainisme] l’expression la plus aboutie dans l’ordre international, étaient pris dans le jeu de l’équilibre des puissances. Les crises de la dette souveraine sont aussi anciennes que la monnaie et rappellent l’autonomie toute relative dont jouissent les États dans leur politique monétaire et fiscale.  (…) Dans les relations internationales, les puissances moyennes que sont la France et la Grande-Bretagne ont appris dès 1956 qu’elles n’avaient plus les moyens de mener une politique autonome. En ce début de XXIe siècle les grandes puissances – les États-Unis à l’échelle du globe, la Russie et la Chine dans leur étranger proche – ont du mal à se dépêtrer d’un ordre international qui s’impose à elles malgré ses faiblesses manifestes. Beijing en mer de Chine, Moscou en Ukraine et en Syrie, Washington au Proche-Orient ne s’affranchissent des règles communes ou de la volonté de leurs concurrents qu’en en payant le prix fort, et avec des résultats pour le moins mitigés. Les autres pays pratiquent au mieux une forme de neutralité, au pire ils font l’expérience d’une « souveraineté limitée » au sens de Leonid Brejnev. D’une manière générale l’interdépendance et l’hétéronomie s’imposent à tous.

D. L’Union Européenne n’est pas “ultralibérale”

La plupart des eurosceptiques, surtout de gauche, sont aussi antilibéraux : ce qu’ils reprochent à l’UE, ce n’est pas seulement de bafouer la souveraineté des peuples, mais aussi d’être libérale par essence, donc d’imposer partout la (pseudo) “dictature des marchés financiers”. Ce n’est certes pas le cas de tous les eurosceptiques : les brexiters britanniques, au contraire, reprochent à l’UE d’être trop interventionniste et pas assez libérale. Bref, chacun voit ce qu’il a envie de voir ; les extrémistes étant malheureusement allergiques à la réalité, martelons les faits.

D’abord, l’UE n’a pas été fondée par une alliance secrète entre la CIA et les multinationales mais par des démocrates-chrétiens européens (au passage, le drapeau de l’UE est inspiré de la médaille miraculeuse de la Vierge Marie), ceux qu’on appelle les “Pères de l’Europe”. La plupart étaient anti-communistes et anti-nazis, sans aucun doute, mais n’étaient pas ce qu’on appelleraient aujourd’hui des “ultralibéraux”. Certains, comme le Français Guy Mollet ou le Belge Paul-Henri Spaak, étaient socialistes. Tous étaient avant tout soucieux de paix et de réconciliation franco-allemande, d’une part ; et de rattrapage de la croissance américaine, d’autre part.

Secondement, dire que l’UE est “ultralibérale” signifierait qu’elle a été fondée sur une volonté purement économique et avec pour seule intention de favoriser le marché. C’est faux. Certes, dès l’origine, sur le plan économique, la volonté était de favoriser l’intégration et le libre-échange (c’était plus facile, au sortir de la guerre, de commercer que de faire armée commune avec l’Allemagne), mais cela ne signifie pas que l’UE a été construite sur une volonté purement économique. Bien avant l’UE, la France et l’Allemagne mettaient en commun sous une Haute Autorité leur charbon et leur acier (CECA, 1951), matériaux à la base de la fabrication des chars. L’idée est ancienne et vient de Montesquieu : le commerce adoucit les mœurs. Pendant qu’on commerce, on ne guerroie pas, et en ce sens même l’intégration économique européenne est dès l’origine est acte autant politique qu’économique. Avec la création de l’UE, le projet politique a évolué, mais il y a loin avant de dire que l’UE ne se préoccupe que d’économie ! Même l’euro n’a pas été fondé pour des raisons strictement économiques, mais plutôt politiques, comme un partage de la souveraineté monétaire en Europe. Avant l’euro, la politique monétaire française était calquée sur la politique allemande, puisque le deutschemark dominait toute l’Europe. Économiquement la France avait tout intérêt à avoir une monnaie plus stable puisqu’elle subissait sans cesse les soubresauts du dollar et allait de crises monétaires en crises monétaires. Mais les Allemands n’auraient jamais accepté d’échanger leur puissante monnaie, pilier du redressement économique national, contre la faible monnaie des Français, gérée à coups de dévaluations. Seulement voilà, en 1989 tombe le mur de Berlin et l’Allemagne veut entamer le processus de réunification. En vertu des accords issus de la Seconde guerre mondiale, Helmut Kohl avait besoin de l’aval des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France pour toute décision concernant le territoire allemand. A cette époque, les dirigeants au pouvoir en Europe ont tous connu la seconde guerre mondiale et craignent la renaissance d’une nouvelle Allemagne dominatrice. Margaret Tatcher dira : “Quoi, nous avons battu deux fois les Allemands et les voilà encore de retour !”. Finalement, François Mitterrand accepte la réunification allemande à condition qu’elle partage sa puissance monétaire avec la France : ce sera la monnaie unique. Et les Allemands acceptent à condition que la nouvelle monnaie soit gérée comme le deutschemark : la BCE aura son siège à Francfort et sa priorité sera la lutte contre l’inflation. Au final, l’euro apparaît comme une création politique dont on n’a guère pensé le fonctionnement économique, dès l’origine. Il faudra plusieurs crises pour que les mécanismes de stabilité actuels (MES principalement) apparaissent.

Aujourd’hui encore, il est clair que l’UE, ce n’est pas uniquement le marché unique et l’euro.  L’UE, c’est aussi l’espace Schengen, qui favorise la libre circulation des personnes, cette dernière ne pouvant être refusée que pour des raisons d’ordre public ou de sécurité : les gouvernements peuvent restreindre l’immigration dans certains cas de crise sans enfreindre les traités européens, mais vous pouvez faire du tourisme et vos enfants partir en Erasmus facilement. Il y a aussi la charte des droits fondamentaux, qui s’applique à tous les pays de l’UE, interdit la torture, l’esclavage, le travail forcé, promeut le respect de la vie privée et familiale, la liberté d’expression, de pensée, de conscience, d’association, de religion, des arts et des sciences, le droit de propriété, l’égalité en droit, les droits des enfants, l’intégration des handicapés, des protections en cas de licenciement injustifiés, l’accès à une sécurité sociale, la protection des consommateurs, le droit de vote, de pétition, à la présomption d’innocence, à une défense en cas de procès, etc. Vous pouvez fort bien penser que les États-nations pourraient signer ce genre de charte sans l’UE ; cependant, je me réjouis de vivre dans un territoire comme l’Europe où il existe une Commission ayant des pouvoirs pour la faire appliquer, ce qui me garantit qu’un gouvernement européen qui voudrait revenir sur ces droits élémentaires ne le pourrait pas, juridiquement, sans quitter l’UE.

Terminons avec un point essentiel : même du point de vue économique, de nombreuses institutions européennes ont vu le jour, avec des fonctions de régulation, contrôle et surveillance des marchés. La construction européenne a très largement recours aux normes, qu’il s’agisse des normes relatives à la qualité des produits (contrepartie nécessaire de la libre circulation des marchandises), des normes en matière de droit de la concurrence, etc. On dit souvent que l’UE exige la privatisation des services publics mais on confond libéralisation et privatisation : l’UE estime que la libre concurrence des services non régaliens est une bonne chose et pousse à ouvrir davantage de services à la concurrence, mais elle n’a jamais exigé de privatisations (sauf cas grec) : la Poste est désormais une SA en concurrence avec d’autres mais appartient toujours à l’Etat. Ce sont les gouvernements eux-mêmes qui décident de privatiser, généralement pour des raisons budgétaires. 

Il y a là un sacré paradoxe que les souverainistes devraient élucider : d’un côté, ils reprochent à l’UE d’empiéter sur les libertés des peuples quand elle se dote d’un vrai projet politique ; de l’autre, ils lui reprochent de n’en pas avoir, de ne penser qu’à l’économie. Ceux qui disent que l’UE est “ultralibérale” lui reprochent dans le même temps d’empiler des normes administratives tatillonnes. Je cite ici Koz :

Pour parler aux vrais gens, les anti-UE n’ont de cesse que d’invoquer la « règlementation tatillonne Bruxelloise ». Comme beaucoup de critiques, elle est à prendre en compte. Mais ceux qui y sont sensibles doivent aussi admettre que c’est le propre de toute règlementation que d’insupporter celui qui y est soumis. La règlementation tatillonne française n’est pas plus sexy que la bruxelloise. Mais essayez donc de faire avec la règlementation tatillonne française, et la règlementation tatillonne italienne, et la règlementation tatillonne allemande, et la règlementation tatillonne hollandaise, et la règlementation tatillonne espagnole (et pourquoi pas basque, catalane etc.), et… A tout le moins l’Union œuvrait à une règlementation tatillonne harmonisée.

L’UE n’est donc pas “ultralibérale” : elle est libérale, ni plus, ni moins. Elle défend un grand marché commun avec  la promotion de la concurrence et le contrôle de cette concurrence par des règles communautaires clairement établies et appliquées, avec derrière l’idée que le marché ne peut fonctionner en l’absence d’un encadrement normatif et institutionnel adéquat. Ce qui est de mon point de vue une excellence chose. Elle promeut de nombreux droits sociaux, et cherche à compenser les différences de productivité par des aides à différents secteurs, à différents pays, sans négliger des réformes structurelles. Cela correspond à une position social-démocrate, ou sociale-libérale, un mélange de promotions des droits individuels, de libéralisme économique et d’interventionniste étatique qui est déjà en vigueur dans tous les pays européens. Est-ce que l’UE “ultralibérale” a empêché les gouvernements de dépenser massivement à partir de 2008 pour empêcher leurs grandes banques de s’écrouler, puis de le faire à nouveau pour relancer l’économie ? Est-ce que l’UE “ultralibérale” empêche la France de dépenser via ses administrations publiques près 60% du PIB national ? Est-ce une Europe “ultra-libérale” qui dépense sans compter pour les primes PAC (la France étant, et de loin, le premier bénéficiaire des primes agricoles européennes, recevant environ 9 milliards par an), les subventions européennes aux infrastructures françaises, formations, transport, inclusion sociale, environnement, énergie, etc. ? Vous voulez la sortie de l’UE ? Très bien.  Vous voulez la liste des subventions européennes à l’économie française qui seront perdues ? Allez-y.

On peut parfaitement vouloir quitter l’UE, mais pas sur un mensonge. Les brexiters britanniques sont incohérents : ils veulent le beurre et l’argent du beurre. Ils ont défendus le leave pendant des mois et maintenant veulent négocier avec les dirigeants européens pour garder de l’UE ce qui les arrange (c’est-à-dire ce qui rapporte) sans payer pour cela. Ils veulent quitter l’UE, mais garder les subventions, le programme Erasmus, l’espace Schengen, l’accès au marché unique (et les exportations, donc les emplois qui vont avec), la reconnaissance des diplômes, l’harmonisation des normes, etc. C’est bien la preuve que même pour eux, l’UE n’est pas si mauvaise. Mais si tout le monde se comportait de cette façon de passager clandestin –je prends ce qui m’arrange, mais je ne participe pas et je ne paye pas—alors il n’y a plus d’UE. Les Norvégiens, qui ne sont pas membres de l’UE, ont tout de même accès au marché  commun parce qu’ils y contribuent financièrement et appliquent du coup la quasi-totalité de la législation européenne, sans pour autant participer à la décision collective au sujet de cette législation. Est-ce idéal ? Les eurosceptiques français feraient bien de se poser la même question.

Sans la contrainte de l’UE, les normes environnementales seraient sans doute bien plus faibles en France [NB : cela explique le soutien généralement fort dont bénéficie l’UE chez les Verts]. La politique de cohésion aide les régions les plus pauvres au sein de l’UE, comme les territoires d’outre-mer français. Il est vrai que la France métropolitaine profitait plus de ces subsides avant les élargissements successifs mais c’est le jeu de la solidarité, qui est au cœur de l’Europe sociale.

Laurent Warlouzet

4. La critique interne de l’UE

Ce que j’ai appelé “européisme français” est un européisme qui défend la nécessité d’une Europe supranationale, sans pour autant nier la nécessité de réformes internes dans l’UE. Cela le distingue d’un européisme “allemand”, ortho-libéral, qui tient d’abord et avant tout au respect des Traités et pour qui les crises européennes ne viennent pas du fonctionnement de l’UE mais du non-respect des règles communes. Entre les européistes favorables à la réforme, on peut distinguer diverses positions, selon le sens dans lequel la réformer, et l’ampleur des réformes. J’ai appelé “européisme français” une option favorable à des réformes modérées, et “européisme de gauche” une option favorable à des réformes radicales qui s’apparente à de l’euroscepticisme (c’est la position de Mélenchon, assez ambigüe). Quels reproches internes sont fait à l’UE ?

A. Un élargissement trop rapide et mal maîtrisé

Cela a multiplié la complexité des procédures et la gestion de la “machine Europe”, augmenté les divergences économiques et culturelles. Ce qui est fait est fait, mais l’UE ne peut guère se permettre désormais des élargissements précipités, a fortiori concernant l’euro qui a été une catastrophe pour la Grèce. La France est encore largement gagnante en restant dans  la zone euro ; c’est beaucoup moins sûr pour la Grèce qui a du faire des sacrifices si considérables pour garder cette monnaie que beaucoup d’économistes, y compris pro-européens, estiment désormais qu’une sortie de la Grèce de la zone euro aurait été préférable, en tous cas à long terme.

Au-delà de l’aspect monétaire :

Le choix de l’élargissement aux dépends de l’approfondissement nous a condamnés à l’ingouvernabilité, à l’illisibilité et à l’impuissance. La crise avec l’Ukraine ou la Turquie résulte pour une bonne part de cette course à l’Orient. Que voyons-nous donc ? Une Europe sans contenu lisible, car en peine de parler d’autre chose que de monnaie ; sans contours stables, car en négociation permanente avec de nouveaux adhérents ; sans défense, car plus dépendante de l’Otan que jamais, par exemple dans sa relation avec la Russie ; sans démocratie, car enfermée dans son byzantisme. Jean-Pierre Denis

B. Un biais technocratique oligarchique

L’UE est démocratique :  les gouvernants élus n’ont jamais été forcés de la rejoindre ; le Parlement européen, instance législative qui représente les citoyens de l’UE, est élu au suffrage universel et son pouvoir a été plusieurs fois renforcé ; le conseil de l’UE, autre instance législative qui représente les États membres, prend ses décisions à la majorité qualifiée en fonction de la population des États membres ; les Commissaires européens doivent être approuvés par le Parlement, après avoir été désigné par le Conseil de l’UE qui est composé des ministres des États membres. Le pouvoir de sanction de la Commission reste de toute façon modéré et pas toujours effectif. On est très loin d’un « diktat de Bruxelles »…

Il n’empêche que démocratique, l’UE ne l’est pas assez. La constitution européenne a été instituée dans divers pays au mépris des référendums qui l’avaient rejeté, notamment en France. La Commission européenne, organe exécutif au pouvoir conséquent, n’est pas élue. L’UE souffre à certains égards d’un « déficit de démocratie« , pour reprendre l’expression habituelle.

C. Un manque de cohésion

Il vient des égoïsmes nationaux : tout le monde veut l’UE et ses avantages mais chacun essaie de jouer pour son camp. Si le sentiment européen est faible, c’est peut être le pitoyable spectacle de ses dirigeants qui l’explique. L’unité européenne existe dans les intentions mais se fracture à chaque instant, dès qu’il s’agit d’avancer sur les sujets importants. Si la France et l’Allemagne sont un couple, cela fait longtemps qu’il y a de l’eau dans le gaz !  Parmi tous les sujets de division je ne prendrai que deux exemples typiques qui ont largement fait l’actualité ces dernières années : l’économie et l’immigration.

L’économie européenne est divisée entre un groupe de pays autour de l’Allemagne (Allemagne, Autriche, Pays-bas, Royaume-Uni), qui est libéral, et prône la plus grande rigueur vis-à-vis des déficits publics, une intervention de l’État réduite, l’application stricte des critères de Maastricht, la priorité à la lutte contre l’inflation, le respect de la clause du « no bail out » ; et un bloc centré autour de la France (France, Espagne, Italie et autres pays du sud), nettement plus interventionniste, qui ne cesse de plaider pour une nouvelle relance de la demande à  l’échelle européenne, voire envisage une Sécurité sociale européenne, un impôt européen, etc. La BCE étant dans le camp allemand, c’est le camp allemand qui domine puisque c’est la BCE qui tient les cordons de la bourse. L’immigration, quant à elle, divise entre les pays de l’Ouest plutôt ouverts à l’accueil –spécialement l’Allemagne qui a besoin de main d’œuvre en raison de sa démographie en berne, et dont l’économie très solide peut supporter sans problème un million d’immigrés supplémentaires— et les pays de l’Est comme la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque, la Slovaquie, qui refusent la politique de quotas de migrants proposée par la Commission européenne. Ces pays sont tous d’anciens pays du Bloc de l’Est et sont donc par principe très méfiants dans l’interventionnisme extérieur et très attachés à leur identité nationale.

La construction européenne est constamment remise en cause par ces divisions. Si la crise grecque n’est pas de leur fait, le camp allemand, Angela Merkel et son ministre des finances Wolfgang Schaüble en tête, ont largement contribué par leurs hésitations calculées à l’aggraver. La vision allemande de l’UE –que Schäuble vient encore de rappeler dans le New York Times (lien)– est trop obsédée par la réduction des déficits publics, ce qui bloque la reprise européenne, aggrave le chômage et n’a guère d’effets sur les déficits. De plus, l’économie allemande, comme l’économie chinoise, est beaucoup trop déséquilibrée –si bien que la Commission a plusieurs fois émis des rappels à l’ordre à ce sujet !- car l’Allemagne a une stratégie non-coopérative d’excédent extérieur massif. Explications :

Imaginons qu’un pays de la zone euro (mettons, l’Allemagne) se lance dans une politique de recherche de compétitivité en bloquant ses salaires ou en les faisant progresser nettement moins vite que la productivité du travail ; il gagne des parts de marché qui lui permettent d’impulser sa croissance [puisqu’il est plus compétitif à l’exportation] grâce à sa balance extérieure tout en bridant sa demande intérieure, ceci au détriment de ses partenaires de la zone euro. Ceux-ci voient leur compétitivité se dégrader [par rapport à l’Allemagne], leur déficit extérieur se creuser, leur PIB se réduire. Ils ont alors le choix entre deux stratégies : imiter l’Allemagne, ce qui plonge l’Europe en dépression par un déficit de demande ; soutenir leur demande, ce qui aboutit à creuser un fort déficit extérieur. Plus un pays réussit à brider ses salaires, plus il apparaît gagnant. Ainsi, le pays trop excédentaire peut-il se vanter d’obtenir des très bonnes performances économiques sur le plan de l’emploi, des soldes public et extérieur. Comme il prête aux autres pays membres, il est en position de force pour imposer ses choix à l’Europe. Un pays qui accumule les déficits se heurte tôt ou tard à la méfiance des marchés financiers, qui lui imposent des taux d’intérêt élevés ; ses partenaires peuvent refuser de lui prêter. Mais rien ne fait obstacle à un pays qui accumule les excédents. En monnaie unique, il n’a pas à craindre une appréciation de sa monnaie ; ce mécanisme correctif est bloqué.

Henri Sterdyniak

Il est navrant de constater qu’aujourd’hui encore, les dirigeants européens continuent d’exiger de la Grèce qu’elle dégage un excédent budgétaire primaire de 3,5 % du PIB pour les décennies qui viennent, tout cela dans un pays dont le niveau d’activité économique est un quart plus faible qu’en 2008, et où le chômage a explosé, ce qui n’a strictement aucun sens. Il est normal de demander à un pays un léger excédent, de l’ordre de 0,5 % ou 1 % du PIB, mais pas davantage. (…) L’histoire démontre qu’il est impossible de réduire un endettement public élevé dans de telles conditions, et qu’il vaut mieux avoir le courage de restructurer clairement les dettes lorsqu’elles deviennent impossibles à rembourser pour les nouvelles générations (ce dont a d’ailleurs bénéficié fortement l’Allemagne lors de l’annulation de sa dette dans les années 1950). La création monétaire et le développement de nouvelles bulles sur les prix des actifs ne résoudront pas le problème à la place des gouvernements, bien au contraire.

Thomas Piketty

Est-ce que la France se comporte mieux ? J’ai des doutes. La France est mal placée pour donner des leçons aux fourmis allemandes alors qu’elle a joué pendant des décennies la carte non-coopérative de la dévaluation pour gagner des parts de marché au détriment de ses voisins. Entre 1945 et 1986, il y a eu 9 dévaluations de la France (dont 3 de De Gaulle et 4 de Mitterrand) contre le mark. Pendant que les Allemands gagnaient en compétitivité par la recherche de la qualité et de la baisse des coûts, les Français utilisaient l’arme monétaire (« dévaluation compétitive ») pour gagner en compétitivité. Et que dire des Grecs, des Espagnols ou des Italiens, qui ont profité des largesses européennes en matière de subventions, de la garantie implicite de l’Allemagne sur les emprunts publics grâce à l’euro, donc de taux d’intérêts faibles, et cela pendant au moins 10 ans, et pour faire quoi ? Chercher à améliorer la productivité, diminuer le chômage, réduire les inégalités ? Pensez donc. Laisser filer une bulle immobilière désastreuse en Espagne, et dépenser dans les armes en Grèce. À quoi il faudrait ajouter le dumping fiscal irlandais, le refus de Londres de réguler sa place boursière, les divergences sur les travailleurs détachés entre les pays de l’Est (qui le veulent) et les pays de l’Ouest, la France en tête (qui y voient un dumping social), etc.

Conclusion : pro-européen !

Il est clair que l’UE souffre de défauts graves. Les dissensions sont importantes et concernent des points essentiels de politique économique. Trop de pays mènent une stratégie non-coopérative, et le Brexit vient encore le rappeler, la mentalité britannique consistant peu ou prou à calculer la rentabilité de l’engagement européen. L’Europe sociale existe, mais elle est hypotrophiée par rapport à l’Europe économique. Le bicaméralisme européen entre Conseil de l’UE et Parlement fonctionne mal. Cependant, malgré tous les défauts, malgré les défaillances de l’euro, malgré les difficultés de gouvernance, malgré les problèmes économiques et culturels, malgré le manque de cohésion, je reste pro-européen. Pour trois raisons.

Pour les valeurs portées par l’Union Européenne

Je  crois dans le projet axiologique européen, ce qui se passe de justifications. Certes, tous les euroscepticismes ne sont pas des autoritarismes nationalistes, et beaucoup croient dans les valeurs européennes, mais d’une autre façon ; il n’en demeure pas moins que la méfiance vis-à-vis de l’Union Européenne est portée, en France du moins, quasi-uniquement par les partis d’extrême droite et d’extrême gauche, par des individus dont les idées sont radicales, qui manquent de nuance, et fonctionnent essentiellement à l’invective et à la caricature –sans parler des complotistes qui trouvent en Bruxelles un nouveau suffixe à ajouter à la liste de leurs délires, après Washington, Israël ou la Franc-maçonnerie. Cela ne fait pas un argument, mais me pousse à la méfiance, parce que, par principe, je me méfie des extrémistes.

Parce que la gouvernance supranationale est nécessaire

Les Nations européennes sont liées de fait par les rapports commerciaux étroits qu’elles entretiennent, bien plus étroits que tout autre groupes de Nations dans le monde. Ces rapports rendent nécessaire une gouvernance supranationale, non pour supprimer les États-nations, mais pour les relayer ou en certaines matières les réguler, au nom de l’intérêt général des peuples européens : la prospérité, la paix, l’application de la charte des droits fondamentaux, par exemple. Ce n’est pas nouveau. Un certain François de Callières, conseiller de feu Louis XIV, commis en 1716 un De la manière de négocier avec les souverains, qui connu assez longtemps après sa mort un succès considérable, loué par des personnages aussi divers que Thomas Jefferson, John Kenneth Galbraith ou Winston Churchill qui le reconnurent comme un des précurseurs de la négociation internationale. Voici ce qu’écrivit Cullières au sujet des Nations de l’Europe, au lendemain de la mort du Roi soleil :

Tous les États dont l’Europe est composée ont entre eux des liaisons et des commerces nécessaires qui font qu’on peut les regarder comme des membres d’une même république…Il ne peut arriver de changement considérable en quelques-uns qui ne soit capable de troubler le repos de tous les autres. Les démêlés des moindres souverains jettent d’ordinaire de la division entre les principales puissances, à cause des divers intérêts qu’elles y prennent et de la protection qu’elles donnent aux partis opposés. L’histoire est pleine des conséquences de ces divisions qui ont eu souvent de faibles commencements, aisés à étouffer dans leur naissance, et qui ont causé ensuite des guerres sanglantes…

…et qu’elle peut être améliorée

Gouvernance supranationale ne veut pas forcément dire « technocratie » et encore moins « dictature » si l’on respecte les textes fondamentaux, que l’on applique le principe de subsidiarité et que l’on améliore le fonctionnement des institutions. La démocratie ne surgit pas ex nihilo et il n’y a aucune raison de penser que les institutions nationales sont automatiquement plus démocratiques que les institutions supranationales. Les institutions européennes doivent et peuvent être améliorées. Elles le sont déjà ! Je pense en particulier à l’institution la plus importante qui soit, la BCE :  la clause du no bail out ne rend pas impossible toute intervention de la BCE, qui a parfaitement le droit d’acheter des titres de dettes publiques sur le marché secondaire et qui déjà mené (certes tardivement et timidement par rapport à la FED) des politiques dites de quantitative easing, en bafouant ses principes lorsque l’urgence économique l’imposait. Il faut pousser davantage la BCE a gérer l’euro de façon plus active ou pragmatique (certains diront : « à la française ») et moins passive ou légaliste (« à l’allemande »), et si possible à s’orienter vers un objectif d’inflation de 3 ou 4% plutôt que 2 ; mais il y a longtemps que la BCE ne peut plus être qualifié d’obsédée de l’inflation.

Quant aux autres institutions, les idées ne manquent pas :

Il me semble plus prometteur d’imaginer une forme originale de bicaméralisme européen, fondée d’une part sur le Parlement européen (élu directement par les citoyens), et d’autre part sur une nouvelle Chambre parlementaire composée de représentants des Parlements nationaux, en proportion de la population de chaque pays et des groupes politiques présents dans chaque Parlement.

Cette Chambre parlementaire comporterait par exemple une quarantaine de membres du Bundestag, une trentaine de membres de l’Assemblée nationale, etc., et se réunirait environ une semaine par mois, pour trancher notamment les décisions budgétaires et financières engageant directement les contribuables nationaux : choix du niveau de déficit budgétaire au sein de la zone euro, supervision du Mécanisme européen de stabilité, budget de la zone euro, restructuration des dettes, etc.

On peut imaginer pour cela différentes règles de majorité qualifiée, qui dans tous les cas seraient plus satisfaisantes que la situation actuelle, où chaque Parlement national dispose de facto d’un droit de veto, ce qui pose de redoutables problèmes de légitimité démocratique (Bundestag contre Parlement grec, etc.) et conduit le plus souvent au blocage. En donnant la possibilité aux députés nationaux de siéger les uns aux côtés des autres et de prendre des décisions majoritaires, à l’issue de délibérations publiques et démocratiques, on peut au moins espérer faire des progrès dans la bonne direction.

Thomas Piketty

J’ajoute que l’intervention de l’UE est et restera circonscrite à certains domaines. L’Union Européenne ne signifiera jamais la fin des Nations, car l’UE ne sera jamais un seul État, une seule Nation. Au mieux (au pire, diront les eurosceptiques), elle deviendra une sorte de fédération d’Etats moins intégrés que les États-Unis (leur intégration dure depuis deux siècles !), où les Parlements nationaux garderont la majorité de leur souveraineté, mais en perdront une partie importante, qui sera transféré à des institutions européennes tout aussi légitimes parce qu’élues démocratiquement.  Tant qu’existeront en Europe des peuples, des langues et des cultures différentes, les États-nations ne disparaîtront pas, quelle que soit l’intensité de la mondialisation et les pouvoirs de la Commission européenne.

Bien sûr que la nation est une forme passagère condamnée à disparaître… Le Mont-Blanc aussi !

Max Gallo

L’UE ne nous enlèvera ni notre vin ni notre fromage, ni notre drapeau, notre hymne, notre langue, notre culture, nos choix en matière d’Education, de santé ou de politique de la jeunesse, ni notre Sécurité sociale ni même la plus grande partie de nos décisions économiques. L’UE n’a jamais cessé de promouvoir les cultures et les langues locales et la plupart des mouvements indépendantistes (comme les Catalans) sont très favorables à l’UE. Comment peut-on sérieusement penser que la finalité de la construction européenne est de détruire les États-nations ? Elle n’en a ni la volonté, ni (surtout) les moyens.

Parce que ce serait pire sans l’Union Européenne

Je suis pro-européen, enfin et surtout, parce que je pense que ce serait pire sans l’UE. Les divergences que j’ai longuement mentionné existeraient tout de même sans l’UE, mais seraient plus difficiles à résoudre. L’euro n’est pas idéal ? Certes, mais il apporte toujours d’importants bénéfices : fin des coûts de change, des attaques spéculatives, des crises de change, augmentation des échanges, concurrence du dollar. Sortir de l’euro serait probablement pire : désastreux à court-terme, avec des bénéfices incertains à long terme. Les Commissaires européens sont technocratiques et incompétents ? Peut être, mais les dirigeants des Nations européennes sont souvent pires. Ils ne sont pas légitimes ? Discutable. L’enquête annuelle de Science-Po sur le baromètre de confiance politique des Français montre que la confiance dans les institutions européennes est souvent supérieure à la confiance dans les institutions nationales. En décembre 2013, seuls 32% des individus font confiance à l’UE, mais l’Assemblée nationale ne fait guère mieux (36%) et le gouvernement fait bien pire (25%) ! L’enquête de 2016  (page 22) donne des résultats équivalents : la confiance dans toutes les institutions a progressé mais la hiérarchie reste la même : l’AS est à 41%, l’UE à 38% et le gouvernement à 29%. Ils donnent des ordres à des gouvernements élus alors qu’ils ne le sont pas ? Eh bien, il faut peut être trouver un mode d’élection du Président de la Commission mais qui peut franchement se plaindre que la Commission exige que la France améliore le traitement des eaux usées (lien) ? Critique les millions dépensés à perte pour une (ex)entreprise en quasi-monopole aussi inefficace que la SNCM (lien) ? Rappel un premier ministre à l’ordre qui traite des citoyens européens comme des  indésirables (lien) ? Sanctionne les prélèvements excessifs de la France sur les ressources marines (lien) ? Parfois, l’intervention d’une autorité supranationale est bienvenue, précisément au nom de l’intérêt général. Il y a beaucoup de lobbying à Bruxelles ? Le lobbying fait partie de la démocratie, et la pression sur la France serait probablement plus forte sans l’UE. L’UE est ouverte à tous les vents migratoires ? C’est largement discutable et de toute façon, l’espace Schengen n’a jamais empêché les pays de l’Est (notamment la Hongrie, la Slovaquie, la République Tchèque) puis finalement l’Allemagne de fermer leurs frontières suite à la crise migratoire récente, comme l’a fait la France après les attentats, et ce indépendamment de la volonté de la Commission. L’UE ne protège pas toujours efficacement ses citoyens des conséquences négatives de la mondialisation ? mais elles seraient probablement plus violentes si la France faisait cavalier seul en jouant protectionnisme des uns contre protectionnisme des autres. Si c’est pour perdre en Cognac ce qu’on gagne en tee-shirt…

L’Union Européenne est divisée ? Français, sommes-nous bien placés pour lui faire la leçon ? Sans même parler de notre atavisme bagarreur, la République une et indivisible a elle-même du plomb dans l’aile. Nous nous divisons nous aussi, par communautés et identités qui se veulent, se croient, irréductibles. Nous nous divisons au souvenir d’une ancienne unité, incapables de communier à une unité – même nationale – plus haute. (…) Ne mettons pas abusivement sur le dos de l’Europe, de l’Union Européenne, ce que portent les vents mauvais de l’époque. L’angoisse devant les menaces actuelles – économiques, sécuritaires, migratoires – laissent certains imaginer que les structures d’hier répondraient mieux aux défis d’aujourd’hui. Les meilleurs veulent retrouver le cadre connu, comme si l’époque glorieuse devait nécessairement revenir avec lui. D’autres cultivent les réflexes ancestraux, et le nationalisme réflexe. Ils vous disent que ce n’est pas l’Europe qui a fait la paix ? Soit. Eh bien essayez les nationalistes, pour voir. Si vous n’aimez pas l’Union, essayez la désunion.

Koz

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