L’ordre et le désordre
Rentrons dans le vif du sujet et examinons les arguments. Un volet important des arguments philosophiques sur l’existence de Dieu concernent l’ordre et le désordre. Si en effet on parvient à montrer que le monde est ordonné, structuré d’une façon régulière, alors on pourra peut être conclure que l’origine de cet ordre est Dieu ; à l’inverse, si le monde est chaotique, difficile d’imaginer un Dieu qui en soit à l’origine, car cela signifierait que l’ordre (Dieu) est à l’origine du chaos. Peut être que le premier mouvement philosophique de l’homme est de se regarder, et regarder son monde. Que voyons-nous ? Un monde complexe, mélange d’ordre et chaos.
Le désordre, certes, existe. Les violences du règne animal, de l’ordre du dominant/dominé, mangeant/mangé[1]. Les incertitudes du climat. Les maladies, les virus, les microbes. Les tremblements de terre, les éruptions volcaniques. Les imperfections et les bizarreries de notre nature, que ce soit dans l’ordre de l’esprit ou de la matière. Les animaux bizarres, effroyables ou dangereux, comme les vers parasites qui prennent le contrôle des insectes pour les tuer ou les faire manger par d’autres animaux, ou la guêpe Hymenoepimecis argyraphaga qui pond une larve dans le corps d’une araignée, celle-ci mangeant la pauvre bête de l’intérieur (Darwin l’évoque dans une de ses lettres, expliquant que cet animal lui a fait perdre la foi en un Dieu bon[2]). L’ordre parfois cache la terreur, comme dans cette formidable nouvelle de Dino Buzzati, où le calme apparent du jardin recèle le plus sordide des massacres. Il y aussi un désordre énergétique : quelle que soit sa température initiale, un café finira toujours par prendre la température ambiante et cette perte de chaleur est irréversible.
Mais derrière le chaos se tient l’ordre, car le monde n’est pas que chaos. De quel ordre parlons-nous ? D’abord des constantes physiques qui font que nous existons. C’est un fait : nous existons. Pour cela, il faut beaucoup de conditions. Dans un numéro récent[3], le magazine Sciences & Vie recensait trois conditions pour que la vie existe, trois conditions qui en elles-mêmes en impliquent des centaines d’autres : une planète tellurique (c’est-à-dire solide, non gazeuse), avec une atmosphère. Cette planète doit être située près d’une étoile et à bonne distance : ni trop près ni trop loin, pour que la température moyenne soit comprise entre 0 et 100 degrés, ce qui permet l’apparition de l’eau sous différentes formes. On ne connaît à ce jour pas d’autres solvant que l’eau pour dissocier les molécules dans les cellules, véhiculer les nutriments et évacuer les déchets. Cette étoile doit être stable, ni trop éruptive (les variations de luminosité seraient trop brutales), ni supermassive (elle ne vit pas assez longtemps), et la planète doit être protégée des vents solaires par un bouclier (comme la Terre avec le bouclier magnétique terrestre). Que de conditions pour notre existence !
Et l’on ne parle ici que de l’existence de la vie la plus élémentaire, pas des fantastiques possibilités offertes par la matière ou de la complexité du corps humain ! Ian Stewart, le célèbre vulgarisateur –il est mathématicien– recense ainsi « 17 équations qui ont changé le monde » : c’est-à-dire de ces relations formalisées par les scientifiques et à qui nous devons la totalité de la technologie moderne : de la télévision (impossible sans l’électromagnétisme de Maxwell) au GPS (qui se tromperait de plusieurs kilomètre sans l’apport d’’Einstein sur la vitesse de la lumière et la courbure de l’espace-temps) en passant par le nucléaire, l’informatique (qui doit tout aux maths), l’architecture, les voyages dans l’espace, etc.
A ce sujet les anglo-saxons parlent de fine tunning (ajustement fin) : « qu’une seule des constantes qui régissent l’Univers soit un brin différente, et la vie est impossible »[4]. Citons encore Stephen Hawking, qui dans son célèbre ouvrage de vulgarisation de physique Une brève histoire du temps, écrit : « Pourquoi l’Univers a-t-il commencé avec un taux d’expansion aussi proche de la valeur critique qui sépare les modèles annonçant sa recontraction de ceux qui le dilatent à jamais, de telle façon que même maintenant, dix milliards d’années plus tard, il se dilate encore à un taux voisin de cette valeur critique ? Si, une seconde après le big bang, le taux d’expansion avait été plus petit ne serait-ce que d’un pour cent millions de milliards, l’univers se serait recontracté avant d’avoir atteint sa taille présente [NB : en raison de la gravité qui pousse les corps les uns vers les autres] ». Commentant, Francis Collins écrit : « ces circonstances remarquables s’appliquent également à la formation des éléments plus lourds. Si la puissante force nucléaire qui maintient groupé les protons et les neutrons n’avait été que légèrement plus faible au sein de l’Univers, seul l’hydrogène aurait pu se former. Si, au contraire, la force nucléaire forte avait été légèrement plus forte, tout l’hydrogène aurait été converti en hélium (alors que, dans l’Univers actuel, ce fut le cas pour environ 25% de l’hydrogène) et les cœurs en fusion des étoiles n’auraient jamais été engendrés, ne les rendant ainsi plus à même de générer des éléments plus lourds. S’ajoutant à cette observation remarquable, la force nucléaire semble être précisément ajustée pour que le carbone puisse se former, lequel est essentiel aux formes de vie sur Terre. Si cette force avait été ne serait-ce qu’un tout petit peu plus attractive, tout le carbone aurait été converti en oxygène »[5]
Ainsi non seulement le monde n’est pas que chaos –même s’il en contient– mais encore l’ordre précède le chaos. Si le microbe détruit l’existence, c’est donc qu’il y a une existence. « Le mal ne nous heurte si profondément, écrit Hadjadj, que parce qu’il défigure un univers qui est beau. Le désordre ne nous frapperait pas si nous n’avions pas l’habitude de l’ordre. La défiguration suppose une belle figure. L’horreur ne peut être si noire que sur fond de clarté ».
Il y beaucoup d’autres signes d’un ordre dans le monde : les puissants mécanismes de reproduction, d’assimilation des nutriments et d’évacuation des déchets utilisés par les mammifères pour perpétuer leur espèce ; les capacités incroyables de notre cerveau, et notamment ses facultés d’apprentissage ; notre système nerveux qui nous protège des agressions extérieures, etc.
Il est exact que le désordre existe : une brebis met bas un agneau à cinq pattes. Mais cela rappelle la nature ordonnée de l’agneau, qui a normalement quatre pattes, une forme et pas une autre. Notons bien que pour l’instant, nous ne tirons aucune conclusion de l’existence d’un ordre dans l’Univers.
[1] Encore que l’on peut se demander si la chaine alimentaire est un bien un chaos…
[2] « En ce qui concerne l’aspect théologique de la question, il est toujours pénible pour moi. Je suis déconcerté. Je n’avais aucune intention d’écrire en faveur de l’athéisme mais, où que je regarde autour de nous, j’avoue qu’il m’est impossible de voir aussi clairement que d’autres, et comme je le voudrais bien, la preuve d’un dessein et d’une bienveillance. Il me semble qu’il y a trop de misère dans le monde. Je ne peux pas me persuader qu’un dieu bienveillant et tout-puissant aurait créé exprès les ichneumonidés dans l’intention qu’ils se nourrissent du corps vivant de chenilles ou le chat pour qu’il jouât avec les souris… D’un autre côté, en revanche, je ne peux pas me contenter de voir cet univers magnifique et surtout la nature de l’homme et conclure que tout cela n’est que le résultat de forces brutes. Je suis disposé à regarder toute chose comme provenant de lois faites à dessein, mais dont les détails, soit bons soit mauvais, auraient été abandonnés à ce que nous pouvons appeler le hasard. » (Lettre à Asa Gray, 1860).
[3] Janvier 2014
[4] Dominique Leglu, directrice de la rédaction de Science & Avenir.
[5] Francis S. Collins, De la génétique à Dieu (The langage of God), 2006 (2010 pour la trad. Française)
je ne connait pas la positon du christianisme sur l origine du mal mais dans l islam du moins il est précise que dieu et autant origine du bien que du mal mais qu il reste tous de même bon peux être c est la même chose dans le christianisme