Un stéréotype, du grec stereos, ferme, dur, solide, robuste, et tupos empreinte, marque, désignant à l’origine un cliché métallique en relief obtenu à partir d’une technique d’imprimerie particulière, est une « caractérisation symbolique et schématique d’un groupe qui s’appuie sur des attentes et des jugements de routine (Larousse) », une « idée, opinion toute faite, acceptée sans réflexion » (cnrtl). On distingue parfois le stéréotype du préjugé, entendu au sens péjoratif d’une « opinion hâtive et préconçue souvent imposée par le milieu, l’époque, l’éducation, ou due à la généralisation d’une expérience personnelle ou d’un cas particulier » (cnrtl). C’est le stéréotype qui fonde le préjugé : le stéréotype caractérise, le préjugé porte un jugement de valeur.
Un stéréotype, c’est donc :
– Un jugement ;
– Hâtif ;
– Qui caractérise ou schématise un individu ou un groupe d’individus donné.
Il fonde le préjugé, qui lui :
– Généralise ;
– Modifie le comportement (ce qui peut aller jusqu’à la discrimination).
Les stéréotypes ont mauvaise presse. L’homme moderne –en particulier quand il est de gauche– n’a de cesse de dénoncer l’infamie que représentent ces façons de réduire une personne à quelques-unes de ses caractéristiques particulières hâtivement et arbitrairement définies, de l’assigner à un comportement anticipé d’avance selon son genre, sa couleur de peau, son origine ethnique, son âge, que sais-je. La porte-parole du gouvernement n’a-t-elle pas assigné les ex-futurs IUFM Hautes Ecoles du Professorat et de l’Education à un « module de formation à l’égalité et à la déconstruction des stéréotypes » ?
Sans prétendre honorer les stéréotypes, je voudrais pourtant faire remarquer que les stéréotypes ne sont pas toujours néfastes. On ne peut donc se contenter de déconstruire les stéréotypes : il faut aussi déconstruire les stéréotypes sur les stéréotypes. Quelques éléments pour un débat.
Les stéréotypes ne sont pas tous méchants
« Les arabes sont des voleurs » : voilà un stéréotype dégradant et dévalorisant. « Les noirs ont le sens du rythme » en revanche, l’est déjà moins. C’est la même chose, d’ailleurs, de beaucoup de stéréotypes concernant les femmes : dire que les femmes sont douces est sans doute un stéréotype, il n’en reste pas moins que pour l’assimiler à un préjugé péjoratif, comme le font allègrement certains post-féministes (ou féministes de la n-ième vague, c’est selon), il faut porter un jugement de valeur selon lequel « être doux(ce) » est une mauvaise chose, une chose qui dégrade les femmes qui ne sont pas douces.
Tous les stéréotypes ne sont donc pas dépréciatifs. C’est un fait, mais il faut le rappeler. La qualité morale d’un stéréotype est donc, en soi, indéterminée. Elle dépend du contenu du stéréotype, de la personne/population sur laquelle il porte, voire de la façon dont il est interprété. Dans tous les cas, le jugement de valeur porté sur le contenu de tel ou tel stéréotype est subjectif.
Lutter contre les stéréotypes implique donc de révéler les valeurs sur lesquelles s’appuient le classement des stéréotypes dans une hiérarchie morale. Pourquoi certains stéréotypes sont-ils beaucoup moins appréciés que d’autres ?
Les stéréotypes peuvent être utiles
Les stéréotypes peuvent vous sauver la vie. Si vous êtes employé d’une bijouterie et qu’un client vous semble louche (en raison par exemple de ses vêtements), il est préférable que des stéréotypes vous poussent à le considérer à priori et jusqu’à preuve du contraire comme potentiellement dangereux. Et qu’une jeune fille rentrant seule chez elle, après une soirée dans une grande ville, use de stéréotypes pour considérer avec suspicion cette bande de jeunes bruyants à 50 mètres devant elle peut lui être fort salutaire.
Au-delà de ces cas particuliers, les stéréotypes sont utiles dans nombre de situations du quotidien. Tout simplement parce que tout le monde se conforme à des stéréotypes, y compris ceux qui ne rentrent pas dans les stéréotypes dominants (un homosexuel par exemple) : simplement, ils en ont d’autres. A toute culture correspond des contre-cultures et des sous-cultures. Donc ne pas rentrer dans au moins un stéréotype signifie vivre sur une île déserte.
De ce point de vue se conformer aux stéréotypes, c’est aussi s’intégrer en société, même si ce n’est pas toujours amusant. Dans une situation donnée, les stéréotypes nous permettent d’utiliser le vocabulaire et les manières appropriés : porter une chemise à un entretien d’embauche pour se conformer au stéréotype du bon employé ne vous garantira sans doute pas un emploi, mais ne pas le faire vous garantira de ne pas l’obtenir ; de même, appliquer l’attitude studieuse et silencieuse stéréotypée d’un étudiant dans une bibliothèque est une bonne façon de réussir vos études. Et sans un minimum de stéréotypes sur la culture locale, tout voyage à l’étranger peut mal se passer : penser aux tenues en Arabie Saoudite ou à la politesse au Japon.
Les stéréotypes sont donc parfois recherchés. C’est exactement ce que nous faisons quand nous cherchons à entrer dans un groupe social donné, imitant les attitudes et les comportements de ce groupe, en nous y socialisant. C’est le cas d’un jeune qui veut entrer dans une bande, d’un patron en déjeuner d’affaires, d’un prof nouveau-venu, d’une fille en boite de nuit, etc. A une échelle plus globale, c’est aussi ce que fait la ville de Venise ou l’Etat grec quand ils usent de publicités pour touristes débordant de stéréotypes sur la population locale.
On note ici une autre utilité, économique celle-là, des stéréotypes : que serait l’emploi touristique à Venise sans le cliché selon lequel les italiens sont amoureux, beaux et font de bonnes pizzas ? Et que serait l’attractivité culturelle française sans la réputation de la gastronomie française, « meilleure cuisine du monde » ? N’est-ce pas pourtant un stéréotype, alors que le succès des fast-foods en France est insolent ?
Les stéréotypes servent l’art
Milan Kundera rappelait dans un entretien en 2007 que « les protagonistes des grands romans n’ont pas d’enfants. A peine un pour cent de la population n’a pas de progéniture, mais au moins cinquante pour cent des personnages romanesques quittent le roman sans s’être reproduits. » Le héros de roman standard se conforme donc au stéréotype –pourtant minoritaire dans les sociétés humaines– du célibataire (endurci, héros, romantique) ou de la personne en couple mais sans enfants. Les héros des comics américains, par exemple, n’ont presque jamais d’enfants. Mais sans ce stéréotype, que seraient Batman, Superman et Spiderman ?
Quid de la peinture, du cinéma, de la photographie, de l’architecture, des arts numériques (comme les jeux vidéo) ? Les histoires d’amour ne ressemblent pas toutes à celles de Roméo et Juliette, de Tristan et Iseult ou de Dicaprio et Kate Winslet dans Titanic. Mais que deviendrait la puissance romantique de ces œuvres sans une part de stéréotype ? Que deviendraient aussi l’humour, si l’on devrait supprimer l’humour sur les Juifs, les noirs, les arabes, les blancs, les racistes, les handicapés, etc. ? En retirant l’humour stereotype-based, c’est pratiquement tout Coluche, et tout Les Inconnus, qui disparaît.
De toute façon les stéréotypes sont inévitables
Les stéréotypes font partie de notre héritage culturel. Chaque culture étant imprégnée de divers stéréotypes plus ou moins diffus, prétendre ne se conformer à aucun stéréotype équivaut à se dire déculturé, désocialisé. Sauf échoué sur une île, c’est impossible et les sociologues (notamment Becker, Anderson) savent que les stéréotypes et l’enrôlement culturel naissent et renaissent même dans les contre ou sous-cultures (punks, anarchistes, milieux libertaires, SDF, etc.). Parce que même les groupes déviants (qu’ils soient innovateurs, rebelles ou évasifs, au sens de Merton) se socialisent.
Citons Ethnoart : « (…) ces croyances ont de nombreuses fonctions sociales : en catégorisant les « autres », elles permettent de définir les contours d’un « nous ». En les stigmatisant, elles valorisent l’appartenance au groupe. En accentuant les similitudes de ses membres, elles renforcent la cohésion sociale. Celle-ci se fait toutefois au détriment des personnes extérieures au groupe. Les stéréotypes justifient ainsi les attitudes discriminatoires, racistes et xénophobes. Nous sommes tous tour à tour victimes, auteurs et manipulateurs de stéréotypes. Les populations les plus stigmatisées se défendent souvent en produisant elles-mêmes des stéréotypes concernant des groupes qu’elles situent dans une position inférieure à la leur dans l’échelle sociale. Lors d’un atelier dans un quartier particulièrement défavorisé de Seine-Saint-Denis, les élèves étaient ainsi très virulents à l’égard des « SDF » et des « sans-papier ». Alors même que la classe était composée de jeunes issus pour la plupart de l’immigration, vivant dans des conditions parfois très précaires, ils se moquaient de la pauvreté des premiers, et reprochaient aux seconds de venir en France pour y « voler le travail » et « se marier pour les papiers. »
Plus psychologiquement, les stéréotypes sont caractéristiques de notre façon de penser. L’idée selon laquelle on pourrait s’abstenir d’user de stéréotypes revient à penser que l’on peut s’abstraire des jugements, alors que l’esprit humain est fait de jugements permanents et d’évaluation critique des situations.
C’est extrêmement utile, car c’est grâce à cela que notre cerveau fait le tri dans toutes les informations que nous recevons en permanence : sons, images, odeurs, sensations. Le cerveau met en place des stratégies, des routines de pensées qui permettent de gagner du temps et de se sortir de certaines situations, de façon à ne pas être submergé. La catégorisation de ces données passe par une simplification des informations et a pour conséquence la création de stéréotypes. Ils fonctionnent alors comme des repères pour comprendre le monde et s’y situer.
Si j’ai une mauvaise expérience avec un garagiste ou avec un noir, la première réaction, impression de mon cerveau à ma prochaine rencontre avec un garagiste noir sera probablement –consciemment ou pas — négative. C’est regrettable, mais c’est ainsi que le cerveau fonctionne : catégoriser et généraliser –c’est-à-dire utiliser des stéréotypes– est le moyen que nous mettons en place pour gagner du temps et comprendre face à des situations nouvelles.
Bien souvent nous usons mêmes d’autostéréotypes à notre égard ! C’est précisément ce qu’on appelle une « identité » ou « personnalité » : un ensemble de caractéristiques homogènes que nous nous plaquons nous-mêmes, par habitude ou via la pression sociale, en nous y rattachant et nous y définissant. Ce qui bien souvent nous empêche d’avancer, sur le mode du « je ne peux pas, c’est mon caractère ! »
“Nul n’échappe aux apparences, mais tout le monde n’est pas obligé de s’y tenir.”
Au fond, ce qui compte, ce n’est pas tant de chercher à échapper aux stéréotypes, soit en tant que victime ou en tant que producteur. Ce qu’il faut –et c’est difficile– c’est plutôt de ne pas s’y conformer. La citation du philosophe Alexandre Jollien en exergue ne saurait mieux le dire, et c’est là que la distinction entre stéréotype et préjugé prend tout son sens.
Le stéréotype, comme « caractérisation schématique d’un groupe donné » ou plus généralement comme schématisation d’une information, est inévitable. Pourtant le stéréotype ne fonde pas obligatoirement un préjugé, au sens où, pétri de stéréotypes, on n’est pas obligé de s’y tenir et de modifier son comportement en fonction, en particulier de se laisser aller à la discrimination. Tout du moins, la raison peut nous amener à corriger à posteriori nos premières réactions, nos premières impressions.
Plutôt que de véhiculer des stéréotypes sur les fonctionnaires fainéants, par exemple (stéréotypes qui servent à justifier à postériori leur véracité, sur le mode « il n’y a pas de fumée sans feu »), on peut choisir de mettre l’accent sur les situations de fonctionnaire pas fainéant rencontrées. De même, un recruteur, peut être pétri de stéréotypes face à un candidat, mais lorsqu’il s’agit de faire un choix, il peut choisir de prendre du recul, de se concentrer sur les CVs qu’on lui a envoyé, plutôt que sur tel ou tel aspect physique du candidat aperçu en entretien. Il s’agit au fond de se débarrasser de l’aspect hâtif du stéréotype pour éviter qu’il ne fonde un préjugé, ou pis, qu’il conduise à discriminer sur des critères qui ne sont pas justes (c’est ce qu’est une discrimination : un choix opéré sur des critères injustes).
Ce qui permet de conclure sur une invitation à l’ouverture : car pour s’apercevoir que tous les prêtres ne sont pas frustrés sexuellement, que toutes les blondes ne sont pas connes, les profs grévistes et les militaires de droite, il faut déjà en connaître qui ne rentrent pas dans les stéréotypes usuels. D’où la nécessité de rester ouvert…et donc de se méfier, non tant des stéréotypes que de leur usage immodéré.
Autrement dit, nul n’est obligé de rester sur ses expériences premières et de les généraliser en mettant en œuvre des mécanismes de blocage systématique. Car si le stéréotype a un caractère empirique (et inévitable), le préjugé a un caractère moral dont on peut se délester, au moins en partie, en élevant sa conscience.
PS : vous pouvez aussi allez lire cet intéressant post de Fikmonskov sur l’usage de la généralisation.
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