Trump et le reste du monde : un commentaire de l’actualité

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1- Trump n’est pas fou

Il est certainement bouffon et grotesque, inculte et incompétent dans à peu près tous les domaines, comme son gouvernement ; mais il n’est pas fou. Son projet est même plutôt clair, contrairement à son premier mandat. Il s’agit de baisser massivement les impôts aux Etats-Unis, en particulier pour les riches, et de faire financer cela par une hausse massive des droits de douane, avec l’idée simpliste que ce serait « les étrangers qui pairaient ». « L’âge d’or » qu’il évoque sans cesse renvoie à l’Amérique de la fin du XIXème-début XXème : une Amérique fortement protectionniste, isolationniste sur la scène internationale, avec des impôts quasiment inexistants, peu de droits sociaux, des inégalités abyssales mais aussi une croissance très forte et beaucoup d’innovations industrielles. Cette époque où se sont constituées les immenses fortunes dont tout le monde connait les noms : Rockefeller, Canergie, JP Morgan, Henri Ford. C’était aussi une Amérique racialement ségrégée où la totalité du pouvoir politique et économique était entre les mains d’hommes WASP, mais passons.

2- Les Etats-Unis vont être sévèrement impactés

Il n’est pas exagéré de dire que Trump tire une balle dans le pied de son pays. D’autant que, sur le plan économique au moins, il n’y avait aucun déclin américain justifiant un tel massacre. En fait, le pays allait très bien : un taux de chômage bas, une domination économique sans partage dans quasiment tous les domaines : tech, énergie, industrie, spatial, à quoi on peut ajouter un soft power toujours inégalé. Si la Chine peut espérer rivaliser dans quelques domaines, il lui faudra encore des années, voire des décennies pour égaler l’Amérique. Pensez que le PIB par habitant chinois n’est encore que le tiers de celui des Etats-Unis. Quant à l’Europe, qui croyait au tournant des années 2000 pouvoir faire jeu égal avec la superpuissance américaine, elle n’a pu que constater, en 20 ans, un spectaculaire décrochage économique. C’était l’objet du fameux rapport Draghi de l’année dernière, en forme d’état d’urgence. Pour ma part, j’avais exploré il y a un an les principales raisons de notre décrochage économique dans mon article Europe vs Etats-Unis, la Grande divergence.

Quoi qu’il en soit, au nom d’un idéal fantasmé (et improbable) de très long terme, Trump est prêt à faire payer un coût immédiat très fort à tous les Américains, en premier lieu un coût inflationniste puisque un droit de douane est prioritairement payé par le consommateur du produit importé. Coût qu’il assume d’ailleurs, et c’est l’une des différences avec son premier mandat, où les soubresauts de la bourse le faisaient rapidement reculer.

Notons au passage que même si les Etats-Unis sont une grande économie disposant de ressources abondantes, ils ne sont en aucun cas, et ne seront jamais, « autosuffisants ». Cela fait des décennies que les chaines de production des produits complexes (à peu près tout ce qui sort des usines, notoirement les véhicules) sont éclatées et cela ne va pas changer du jour au lendemain. Même les produits fabriqués localement peuvent donc être dépendants des importations que ce soit pour des pièces détachées, des composants internes… ou pour fonctionner : gaz, bois, engrais, pétrole, métaux rares… Aucun pays, si grand et avancé soit-il, ne peut tout fabriquer lui-même (ni d’ailleurs n’a intérêt à le faire : Ricardo l’a démontré il y a plus de 200 ans, mais je doute que Trump lise les économistes). Les Etats-Unis importent chaque année des dizaines de milliards de dollars de produits pharmaceutiques, composants électroniques, nourriture, textile, machineries, automobiles, acier, et ainsi de suite. Sans parler de la main d’œuvre dont ils manquent déjà, le problème ne devant que s’accroitre avec la politique migratoire trumpienne.

3- Deux erreurs de jugement majeures

Trump fait deux erreurs de jugement majeures. Aucune des deux n’est d’ailleurs très originale, même s’il est plus original qu’elles soient défendues par le Président des Etats-Unis d’Amérique.

Premièrement, il reprend la vieille idée mercantiliste (qui date au moins du XVIIème siècle) qui considère qu’exporter c’est bien et importer c’est mal, et qu’il faut donc les excédents commerciaux les plus élevés possibles. C’était déjà faux il y a 300 ans, ça l’est encore plus aujourd’hui. En fait, l’économiste contemporain pourrait même défendre l’inverse : exporter ne sert qu’à obtenir des revenus en vendant des choses dont les autres ont besoin et qu’ils n’ont pas, pour pouvoir consommer soi-même davantage, notamment en important des choses dont a besoin et qu’on ne fait pas. Schématiquement, exporter ne sert qu’à importer. Non pas que les exportations soient inutiles : il est important d’exporter pour s’insérer dans la mondialisation, trouver de nouveaux débouchés et financer ses importations, surtout quand on est un petit pays peu peuplé. Mais l’exportation n’est pas un but en soi : elle doit servir l’enrichissement du pays, donc sa productivité à long terme, le développement de sa classe moyenne, etc. Les pays qui sont trop dépendants de leurs exportations et qui développent peu leur demande intérieure (de l’Allemagne au Vietnam en passant par la Chine) courent justement le risque de voir leur PIB chuter en cas de ralentissement de la demande mondiale. C’est particulièrement le cas si le pays exporte surtout des produits dont le prix est instable comme les matières premières ou l’énergie. Même si le Venezuela a fait de très mauvais choix, le fait que les recettes de l’Etat dépendaient à 95% du pétrole (à l’époque de Chavez, mais c’est toujours largement vrai) ne pouvait qu’entrainer une crise dès l’instant où le prix du baril diminuait. Avoir un déficit commercial n’a donc rien de grave en soi : c’est le contexte qui peut dire si c’est grave. Un pays avec un déficit commercial structurel mais qui par ailleurs a une croissance régulière, une bonne productivité et des entreprises innovantes, comme le sont typiquement les Etats-Unis, ne devrait nullement se préoccuper de son déficit commercial. L’économiste américain Paul Krugman (prix Nobel en 2008) le disait déjà à propos des Etats-Unis en… 1994.

Deuxièmement, Trump fantasme le retour de l’industrie et néglige complètement les services. Là encore, ce n’est guère original : il y a plus de dix ans, l’économiste Alexandre Delaigue critiquait déjà le fétichisme industriel de nos hommes politiques. Ce qui frise l’absurde, c’est que l’Amérique domine particulièrement dans les services ! Ainsi que le soulignait le journaliste au Monde Pascal Riché, la balance courante entre les Etats-Unis et l’Europe est pratiquement équilibrée si on ajoute les services. Sans négliger l’importance de l’industrie, s’agissant notamment des gains de productivité, le fait est que toutes les économies développées se sont tertiarisées ces dernières décennies, y compris la Chine. On a pourtant pas délocalisé sur la lune ! Bien plus que le commerce mondial, la raison majeure est connue depuis longtemps : c’est la vieille théorie du déversement de l’économiste français Alfred Sauvy (1980). Les progrès techniques dans l’industrie impliquent moins de main d’œuvre (et une partie de la main d’œuvre est externalisée), ce qui fait reculer l’emploi industriel au profit de l’emploi de services. Ce n’est ni bien ni mal en soi, c’est une pente naturelle de toutes les économies développées. Plus de médecins, de comptables, d’enseignants, de commerciaux, et moins d’ouvriers à l’usine. Conserver des compétences industrielles dans des secteurs clefs (comme savoir construire des centrales nucléaires) est bien sûr nécessaire, mais il y a souvent une dimension fantasmée et même sexiste de l’industrie dans les visions des hommes politiques, dont Trump est un représentant typique. Comme le souligne Delaigue :

Lorsque l’emploi augmente dans des secteurs très féminisés (distribution, commerce, justice, médecine, etc.) c’est toujours perçu comme « moins bien » que les « vrais emplois » immanquablement masculins. La métallurgie est mieux perçue que le textile, le BTP mieux perçu que la vente. Or, la croissance de la part des services dans le PIB total a coïncidé avec celle de l’emploi féminin.

4- La bourse

Ce n’est pas l’économie réelle, mais ses liens avec l’économie réelle sont très forts, surtout aux Etats-Unis, où l’investissement en bourse est très banal et l’épargne de nombreux Américains en partie indexée sur les marchés financiers : quand ça va bien, il s’enrichissent plus que nous, quand ça va mal, ils perdent plus que nous. Il ne faut ni minorer ni exagérer l’importance de la finance. L’effondrement actuel de toutes les bourses mondiales reflète les perspectives négatives des investisseurs : on s’attend à ce que le commerce mondial recule fortement en 2025, que la croissance ralentisse partout, que les entreprises fassent moins de bénéfices, et ainsi de suite : il en résulte des mouvements de vente plus importants que les mouvements d’achat, d’où des baisses massives du prix des actifs. On peut bien sûr se réjouir cyniquement (la fameuse « schadenfreude ») de voir Tesla perdre 35% en trois mois et Musk pâlir, mais ce sera comme toujours les petits épargnants qui seront le plus impactés, à l’échelle de leurs revenus.

5- Les petits pays seront bien plus impactés

Ce qui est vrai des individus est vrai des pays. Les Etats-Unis restent une économie forte, innovante, très productive, avec une énergie bon marché, un immense marché intérieur. S’ils vont être impactés, ce ne sera rien en comparaison de petits pays fortement dépendants du commerce extérieur. Pensez qu’au Vietnam, qui vient de se voir imposer des droits de douane de 46%, près de… 30% du PIB dépend des exportations aux Etats-Unis. Sur la base d’un calcul absurde, Trump impose même 50% de tarifs douaniers au Lesotho, un pays minuscule enclavé en Afrique du sud, qui ne menace personne, mais où 100 à 200 000 emplois dépendent des exportations.

6- Négocier

Tout le monde, surtout les petits pays, veut envoyer sa délégation pour se prosterner devant le bureau ovale. Le cas du Vietnam dont je viens de parler est évident, s’agissant d’un pays de 100 millions d’habitants dont Apple a un besoin vital pour ses exportations. Le prix de l’iPhone, téléphone qui représente pas moins de 60% du marché américain, pourrait être fortement impacté. On s’attend à des négociations spécifiques avec ce pays, mais cela reste un échec : Trump détruit la stabilité du commerce mondial fondée sur des règles partagées, ce pour quoi l’OMC a été créée, pour la remplacer par des négociations de gré à gré à base de deals secrets, où s’impose généralement la loi du plus fort. Méthode qu’il utilise dans tous les domaines, comme on l’a vu, persuadé que gérer la première puissance mondiale est à peu près pareil que négocier le rachat du Plaza Hotel de New York (l’un des seuls talents qu’on peut lui concéder : il a formidablement réussi dans l’immobilier, certes pas en partant de zéro, mais tout de même, avec une exceptionnelle capacité à faire des « deals » à son avantage. Voir le documentaire Netflix à ce sujet).

7- Trump est imprévisible, mais

Selon les accords qu’il estimera obtenir, selon la pression que lui mettront les grands patrons de l’industrie et de la finance qui comme d’habitude, s’accommodent très bien de l’extrême droite tant que leurs affaires ne sont pas impactées (saluons au passage la clairvoyance de notre Bernard Arnault national qui se réjouissait de l’élection de Trump il y a quelques mois : l’action du groupe a perdu 20% depuis janvier), selon la force de la réplique des autres grands pays, Chine et Europe en tête, on peut s’attendre à des revirements de sa part.

Même si la bourse se calme, cela ne changera pas le fond de l’affaire : les Etats-Unis ne sont désormais plus considérés comme un partenaire fiable qui prend des décisions stables. Or, la stabilité des décisions politiques est de loin l’ingrédient le plus important pour une économie prospère. Et puis les grandes décisions d’investissements des multinationales sont des choses qui ne se changent pas en quelques semaines. Tout le monde est encore très attentiste, mais si la guerre commerciale se confirme, peu importe que Trump revienne en arrière, le mal est fait. C’est encore plus valable sur le plan des choix géopolitiques. L’Europe se renforce et se réarme, comme le disait Benjamin Haddad : notre sécurité et notre indépendance ne peuvent pas être remises en cause tous les quatre ans par les électeurs du Wisconsin.

L’Allemagne semble enfin abandonner sa doctrine séculaire et qui est même constitutionnelle depuis 2009 (la « Schuldenbremse ») du rejet de toute dette publique importante, ce qui a longtemps bloqué les investissements dont l’Europe a besoin : très bonne nouvelle ! le pays est à peu près le seul en Europe en capacité budgétaire de soutenir de forts investissements. Macron a beaucoup de bonnes intentions et affiche toujours une ligne claire et une certaine fermeté internationale (il en a besoin pour exister, sa crédibilité nationale étant faible), néanmoins la France n’a absolument pas les moyens de remplacer seule les Etats-Unis en Europe, ne serait-ce que sur le plan de la défense. Quand on met 2 à 3 points de PIB en plus que les autres pour payer nos retraites, on ne peut pas non plus mettre 2 à 3 points de plus dans l’armée, dans l’éducation, dans les infrastructures, et rembourser une dette colossale. Friedrich Merz assume un coût politique important pour opérer un virage à 180° en Allemagne : tant mieux ! Dommage qu’il n’aille pas jusqu’à revenir sur l’abandon du nucléaire, probablement la pire décision de Merkel, mais passons.

8- Un peu de théorie économique

Le consensus économique n’a jamais prétendu qu’il était souhaitable d’aller vers un libre-échange absolu dans tous les domaines. Cela n’a du reste jamais été le cas. Pour diverses raisons (indépendance stratégique, urgence sanitaire, normes environnementales…), certains secteurs ont été temporairement ou durablement protégés derrière des barrières douanières. Par exemple, l’Europe a toujours interdit le poulet américain lavé au chlore sur son sol, ce qui était parfaitement accepté par les règles de l’OMC, dès lors qu’il existe un risque sanitaire prouvé (c’est plus controversé s’agissant des OGM). De même, les arguments du « dumping environnemental » ou du « dumping social » sont légitimes, même s’ils ont souvent été utilisés abusivement par les pays riches pour juger trop bas le coût du travail des pays en développement, alors que nous étions bien pire au même stade de développement : schématiquement, il y a une différence entre interdire/taxer des produits fabriqués par des enfants et interdire/taxer des produits parce que les travailleurs ne sont pas payés au SMIC français. On peut citer encore l’argument du protectionnisme « éducateur », qui date du XIXème siècle, et qui a été utilisé avec succès par des pays comme la Corée du sud ou le Japon, et avant eux, par l’Allemagne : construire une industrie derrière des barrières douanières puis s’ouvrir progressivement au commerce international quand on est suffisamment gros. La France ajoute encore quelques particularités avec sa fameuse « exception culturelle » que le monde nous envie (paraît-il), qui n’est rien d’autre qu’une forme de protectionnisme. On pourrait ajouter bien d’autres débats et arguments, qui remplissent les étagères du rayon économie depuis des décennies. Vous pouvez éventuellement parcourir mon blog dans la rubrique « économie internationale », j’ai écrit une trentaine d’articles sur le thème.

Bref, il y a des raisons légitimes d’être protectionniste, tant que cela est modéré (rien à voir avec les taux démentiels annoncés par Trump !) et ciblé sur des secteurs particuliers. Le protectionnisme est acceptable s’il s’inscrit dans une stratégie précise dont l’intégration dans le commerce mondial est l’objectif majeur. Pas besoin de relire Ricardo : il suffit de comparer la Corée du Nord et la Corée du sud, une génération après la guerre de Corée, pour savoir que l’autarcie est préférable à l’ouverture au commerce mondial. Une ouverture trop rapide et mal maitrisée peut faire des perdants dans un pays ; mais une guerre commerciale ne fait que des perdants, partout.

Une réflexion sur “Trump et le reste du monde : un commentaire de l’actualité

  1. Excellent Vianney
    Très bon résumé de la situation actuelle
    Ce que j’aime c’est que tu écris de manière synthétique et concise du coup l’exposé est facile et rapide à lire
    À la fin on a l’essentiel et on en sait davantage
    A quand ton 1e livre d’économie et ou d’analyse socioéconomique du monde?
    Tu es prêt mon fils
    Bisous
    dad

    Envoyé à partir de Outlook pour iOShttps://aka.ms/o0ukef

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